Que faire quand deux satellites envoyés dans l’espace n’arrivent pas à atteindre leur orbite à cause d’une défaillance du lanceur et ratent leur mission première ? Tester la relativité générale d’Einstein, bien sûr ! C’est précisément ce à quoi l’Agence spatiale européenne s’affaire en ce moment avec les satellites Galileo 5 et 6. Ils ont été lancés en août 2014 dans l’espoir de créer un système GPS contrôlé par l’Europe et n’ont malheureusement pas pu atteindre l’orbite prévue par l’ESA. Qu’importe, leur recyclage au-delà de l’atmosphère pourrait servir tout aussi bien la science.
Comment tester la relativité générale ?
Pendant un an, les scientifiques européens vont pouvoir tester de manière très précise la théorie de la relativité générale d’Einstein, et notamment l’idée que le temps se ralentit à proximité d’un objet dont la gravité est importante par rapport à un point qui en serait éloigné. Cette prédiction d’Einstein a déjà été testée en 1976 par la fameuse sonde Gravity Probe A qui a transporté à 10 000 km de la Terre un maser à hydrogène pour mesurer avec une précision extrême à quelle fréquence le temps passait. GP-A avait pu tester et approuver la théorie d’Einstein une fois : les satellites Galileo pourront le faire plusieurs centaines de fois en une année.
Car tout le challenge de l’ESA pour trouver une utilité à ces satellites perdus à cause d’un mauvais lancement aura été de corriger leur orbite pour la rendre plus circulaire. Et malgré les ajustements, cette orbite reste une ellipse qui les fait grimper et chuter de 8 500 kilomètres deux fois par jour. Ces changements d’altitude sont une aubaine pour tester la théorie de la relativité générale dans la mesure où ils s’accompagnent d’une modification de l’influence de la gravité sur les satellites. Bien entendu, tout cela serait inutile si les deux satellites Galileo ne transportaient pas, eux aussi, un élément essentiel pour mesurer le temps, le fameux maser à hydrogène, en guise d’horloge atomique.
Tous ces éléments réunis vont permettre aux scientifiques de mesurer la dilatation du temps en fonction de la position des satellites. Javier Ventura-Traveset, responsable du Global Navigation Satellite System, a estimé dans un communiqué publié par l’ESA que cette expérience permettrait de « raffiner petit à petit les mesures en identifiant et en corrigeant les erreurs systématiques que nous avions pu faire. Et éliminer ces erreurs est l’un de nos plus grands défis. ».
Tous ces éléments réunis vont permettre aux scientifiques de mesurer la dilatation du temps en fonction de la position des satellites.
C’est une équipe française, celle du Syrte de l’Observatoire de Paris dont vous retrouverez l’interview d’un des scientifiques juste en-dessous et une équipe allemande, celle du Zarm, rattachée au Center of applied space technology and microgravity qui conduiront cette expérience. Les résultats sont prévus dans un an.
Entretien avec Pacôme Delva, scientifique au laboratoire Syrte de l’Observatoire de Paris
En quoi la nouvelle expérimentation de l’ESA est utile à la science par rapport à celle menée par Gravity Probe A en 1976 qui a déjà confirmé les prédictions d’Einstein ?
Une théorie physique comme la relativité générale (RG) ne peut être confirmée que jusqu’à un certain point (une certaine précision), en la confrontant à l’expérience. Or, beaucoup de théories alternatives à la relativité générale prévoient une violation du principe d’équivalence d’Einstein, un des piliers de sa théorie.
C’est pourquoi nous nous efforcons de tester la relativité générale, c’est-à-dire de la confronter à l’expérience avec la plus grande précision possible. Les satellites Galileo vont permettre d’améliorer la précision de l’expérience GP-A, d’un facteur environ 4, on l’espère. En 2017, une expérience dédiée nommée ACES/PHARAO va encore améliorer cette précision du test de redshift gravitationnel. Les détails de cette expérience ont été dévoilés dans l’article de CQG qui vient de paraître.
[floating-quote float= »right »]La relativité générale doit être confrontée à l’expérience[/quote]
Comment allez-vous mesurer la « dilatation » du temps à bord des satellites ?
En comparant le temps donné par les horloges atomiques situées à bord des satellites Galileo et des horloges atomiques situés sur Terre (notamment celles du Syrte), grâce à une analyse fine du signal envoyé par ces satellites aux récepteurs Galileo terrestres, qui sont branchés, entre autres, à nos horloges.
Quelles sont les valeurs théoriques que vous devriez trouver si vous appliquez la relativité générale à cette variation d’altitude de 8 500 km ?
Cette variation d’altitude pour les satellites Galileo en question correspond à une variation relative de la fréquence de l’horloge d’environ 10^{-10}, ce qui correspond à une variation en temps d’environ 0,8 microsecondes entre le périgée et l’apogée. L’impact sur le positionnement est donc d’environ 0.8*10^{-6} * 3*10^8, soit 240 mètres. Ceci est à comparer au même effet sur les satellites Galileo qui ont une orbite circulaire, qui est inférieur au mètre.
Cet effet relativiste est déjà largement visible (très supérieur à la précision d’un bon recépteur terrestre et de la connaissance des orbites Galileo, de l’ordre de la dizaine de cm) et pris en compte dans tous les récepteurs (correction en eccentricité). Cependant, nous recherchons à mesurer cet effet avec la plus grande précision possible, et cela nécessite un gros travail statistique et de modélisation, afin de prendre en compte les effets perturbateurs, par exemple la pression de radiation solaire et les effets de température.
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