C’est une constante dans l’histoire de la conquête spatiale. De Spoutnik 1 à Artemis, le programme qui va renvoyer des humains sur la Lune pour la première fois depuis 1972, la plupart des missions spatiales n’ont pas une trajectoire rectiligne. Malgré les immenses progrès technologiques réalisés, les agences spatiales misent généralement sur des trajets ponctués de plusieurs allers-retours, quitte à ce qu’ils soient plus longs.
Ce sera le cas de la mission JUICE, qui s’est envolée avec succès vers les lunes de Jupiter le 14 avril 2023. Pourtant, ne serait-il pas plus facile de parcourir en ligne droite les 628 millions de kilomètres qui séparent la Terre de Jupiter ? Ce n’est pas si simple.
La trajectoire d’une mission spatiale fait partie des nombreux éléments pris en compte lors de sa préparation. Elle joue un rôle important sur la durée de la mission, sur son coût et sur son apport scientifique. Pour définir cette trajectoire, les scientifiques prennent énormément de données. Gravité, distance, vitesse ou encore pression atmosphérique sont ainsi prises en compte. Mais le plus important, c’est l’impact que peuvent avoir des corps célestes sur une mission spatiale, grâce à leur gravité.
Une histoire de gravité
C’est ce qu’on appelle l’assistance gravitationnelle, comme l’a expliqué Elisabet Canalias, dans une émission du CNES du 6 avril 2023 : « L’assistance gravitationnelle, c’est profiter de la masse, de l’énergie d’un corps afin de modifier la vitesse de la sonde sans dépenser du carburant, qui coûte un poids additionnel. Ça rend possible des concepts de missions qui ne le seraient pas autrement. »
Dans le cadre de la mission JUICE, par exemple, la sonde a quitté la Terre le 14 avril 2023. Mais avant d’arriver sur Jupiter, la sonde va d’abord passer près de Vénus, en août 2025. La force gravitationnelle de cette planète va lui permettre de se relancer dans l’espace pour revenir… vers la Terre. Et oui, en 2026, c’est à partir de la gravité de notre planète que la sonde JUICE va se propulser à nouveau, avant de revenir encore une fois en 2029.
Ce sera son dernier retour vers la Terre, puisqu’elle se dirigera ensuite définitivement vers Jupiter, où elle est censée arriver en juillet 2031. Une fois arrivée là-bas, la sonde JUICE va cette fois profiter de la gravité des 35 lunes glacées autour de Jupiter pour se propulser entre juillet 2031 et novembre 2034, avant d’arriver sur Ganymède un moins plus tard. Au total, il faudra donc plus de 10 ans de voyage pour que la sonde atteigne son objectif final, en tirant pleinement parti de la gravité des planètes.
Ce trajet n’est pas une surprise : il a été défini par les scientifiques pour des raisons bien précises. En étant bien utilisée, la gravité permet aux missions spatiales d’utiliser la force attractive des planètes pour accélérer ou ralentir, ce qui permet d’économiser du carburant et de l’énergie. Une donnée qui peut s’avérer cruciale dans le cas d’une mission comme JUICE.
Sur les 6 100 kg qui seront propulsés, 3 600 seront consacrés au carburant, soit 60 % du poids total de la mission spatiale. Sans l’assistance gravitationnelle, la sonde aurait été beaucoup plus lourde, puisqu’il aurait fallu encore plus de carburant nécessaire, comme c’est expliqué sur le forum Stack Exchange : « Il faut d’énormes quantités d’énergie pour se mettre en orbite terrestre, la quitter et se mettre en orbite autour du Soleil. Il faut aussi beaucoup plus d’énergie pour élever (ou abaisser) l’orbite afin qu’elle corresponde à celle d’une autre planète. Enfin, il faut utiliser plus d’énergie pour se mettre en orbite autour de la planète cible. »
De plus, l’économie n’est pas qu’énergétique. Si le coût moyen d’une mission comme Mars 2020 est estimé à 2,5 milliards de dollars (2,3 milliards d’euros environ), la mission JUICE coûte un peu plus de 1,6 milliard d’euros. Certes, ces missions sont d’un niveau différent, et il est vrai que la Nasa et l’ESA n’ont pas mis les mêmes moyens. Mais la différence de budget reste notable et les économies réalisées sur le carburant en évitant un voyage rectiligne jouent un rôle incontesté dans cette économie.
Tout dépend aussi de la mission, selon Elisabeth Canalias que nous avons aussi interviewé : « La technologie (pour voyager en ligne droite) existe. Mais c’est toujours un compromis entre le poids que l’on veut lancer, le lanceur dont on dispose et son prix. Les Américains ont fait des missions directes vers Jupiter. Mais ce sont des contraintes différentes et chaque mission à ses spécificités.»
Les imprévus de l’espace
En plus de ces données économiques et techniques, les scientifiques doivent aussi prendre en compte l’environnement extrêmement dangereux qu’est l’espace, en particulier pour des missions spatiales. Même si elles sont conçues avec des matériaux capables de résister à un bon nombre d’imprévus, il est tout de même compliqué de s’en sortir intact en cas de collision avec des débris spatiaux ou en se prenant des radiations et des tempêtes solaires en pleine face.
Ces possibilités, que les scientifiques connaissent, les obligent donc à dessiner une trajectoire la plus sûre possible, pour éviter des incidents qui pourraient bouleverser la mission. Ainsi, si une trajectoire en ligne droite peut être plus rapide, ça ne fait qu’accroitre le risque de problèmes.
Au cours de son vol, une mission spatiale peut aussi se retrouver confrontée à de la pression atmosphérique ou à des vents solaires. Des éléments qui peuvent perturber les trajectoires de vols et nécessiter des corrections en cours de route.
En clair, même si une mission spatiale peut voyager en ligne droite, les imprévus de la route l’obligeraient forcément à changer sa trajectoire, à un moment ou un autre. Pour éviter au maximum ces dangers, les missions spatiales sont de ce fait contraintes de suivre une trajectoire plus complexe, mais qui permet d’éviter les zones à risque.
Prendre le temps est bénéfique
Avec de telles contraintes, difficile de justifier un voyage spatial en ligne droite. Économiquement et énergétiquement, ce ne serait pas intéressant pour une agence spatiale. Même la Nasa, qui est celle qui dispose du plus gros budget, effectue rarement des missions à la trajectoire rectiligne.
D’autant plus que la plupart de ces missions n’ont pas vocation à aller vite. Au contraire, plus elles sont longues, plus elles sont intéressantes scientifiquement, comme l’explique Elisabeth Canalias : « Si on est pressés d’avoir des résultats et de gagner du temps, ça (une mission en trajectoire rectiligne) peut être bien. Mais si ce qui compte, c’est faire la mission avec précision, d’arriver à un moment donné avec la charge utile, c’est-à-dire avec les instruments scientifiques que l’on souhaite utiliser, et si on n’est pas contraints par le temps, il n’y a pas énormément d’avantage en ligne droite.»
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