La récente pandémie de Covid a bouleversé notre quotidien et fait évoluer nos rituels d’hygiène… en imposant le port du masque, comme en remettant sur le devant de la scène le nettoyage des mains. Ainsi, les communications de Santé publique France rappellent à nouveau depuis trois ans l’importance de se laver régulièrement et soigneusement les mains pour limiter les risques d’infection.
Savons et gels hydroalcooliques ont dans le même temps réinvesti les lieux d’accueil du public. Des légions de mains se sont ainsi relayées aux distributeurs collectifs placés aux entrées des magasins et autres savons solides des sanitaires.
La prise de conscience de l’impact environnemental incite en parallèle les consommateurs à favoriser des produits d’hygiène solides ou commercialisés en vrac afin de limiter les emballages, notamment en plastique.
Face à ces nouvelles pratiques, existe-t-il de nouveaux risques de contaminations microbiologiques ? Dans quelle mesure les produits d’hygiène mis à disposition dans un lieu public peuvent-ils être infectés et nuire à la santé ?
Comprendre ces risques et leurs enjeux implique de revenir sur les propriétés et la composition des produits d’hygiène, de rappeler les réglementations ainsi que les sources de contamination potentielles.
Un peu d’histoire : depuis quand recommande-t-on de se laver les mains ?
C’est en 1847 que le médecin Ignace Philippe Semmelweis (1818-1865) démontre l’utilité du lavage des mains au savon dans la prévention des cas de fièvre puerpérale.
En 1961, le Service de Santé publique des États-Unis publie une recommandation ordonnant au personnel de santé de se laver les mains avec du savon et de l’eau pendant 1 à 2 minutes avant et après contacts avec les patients, afin de réduire la propagation des microorganismes pathogènes.
C’est ainsi que l’utilisation du savon s’est étendue sous l’influence des épidémies à transmission manuportée telles que les grippes, gastroentérites, toxi-infections alimentaires et communautaires (TIAC) et plus récemment le Covid-19. L’hygiène des mains limite considérablement la circulation des agents infectieux, réduisant de façon conséquente la consommation d’antibiotiques – et la probabilité de voir apparaître des résistances dont prise en charge et traitement sont difficiles et coûteux. Malgré cela, cet usage est encore trop limité.
Solide, liquide, moussant : les grands types de savons
Produit d’hygiène ancré dans les pratiques quotidiennes, privées et médicales, le savon ou plutôt « les » savons se déclinent aujourd’hui sous différentes formes, solide, liquide et même sous forme de mousse, selon le procédé de fabrication et la composition.
Un savon est obtenu par réaction chimique de saponification entre un composé basique et des corps gras, huiles ou graisses. C’est la nature du composé basique qui définit la texture du savon : solide avec la soude, liquide avec la potasse.
- Un savon solide est obtenu par réaction de saponification d’huile (olive, palme, coco…) et de soude, à froid ou à chaud. Anhydre, son pH est basique, compris entre 8 et 10.
- Un savon liquide renferme des composés obtenus par réaction de saponification d’huile et d’hydroxyde de potassium dilué dans de l’eau. Constitué d’une quantité importante d’eau, son pH est neutre à basique, compris entre 7 et 9.
- Un gel moussant est obtenu par un procédé classique de mélange de différents ingrédients : de l’eau, des tensioactifs synthétiques ou naturels ayant des propriétés nettoyantes et moussantes, des gélifiants et des agents conservateurs. Son pH est neutre, compris entre 6 à 7.
Le savon n’a eu de cesse de changer de statut, considéré soit comme un produit cosmétique, soit comme un produit d’hygiène, un excipient ou encore une substance active – dans la mesure où il pouvait être utilisé dans des préparations destinées à traiter la gale, les brûlures ou dans des purges.
Considéré depuis le XIXe siècle comme un médicament, c’est la loi de 1975 puis la directive 76/768 CEE (4) qui reclassifient le savon en produit cosmétique, interdisant de fait les revendications d’actions thérapeutiques. Ainsi, le savon parfume, nettoie et protège la peau, permet de limiter les odeurs corporelles mais il ne soigne pas.
À côté des savons grand public, les savons dits antiseptiques sont des dispositifs médicaux. Ils combinent un détergent et un antiseptique, qui leur confèrent des propriétés nettoyantes et anti-microbiennes. La réglementation leur impose de répondre à des exigences précises en termes d’efficacité bactéricide, fongicide et virucide, excluant de fait le risque de contamination.
Enfin, les gels et solutions hydroalcooliques sont quant à eux des biocides. Constitués majoritairement d’eau distillée et d’alcool (à raison de 65 à 75 %), ce sont d’excellents désinfectants destinés à éliminer les microbes de la peau saine, avec un très large spectre d’action contre les microorganismes, excluant de fait le risque de contamination.
Peut-on être contaminé par un savon ?
La probabilité de contamination d’un savon est intrinsèquement liée à sa composition, qui détermine son pH et sa teneur en eau libre. La plupart des bactéries pathogènes se développent à un pH proche de la neutralité (pH~ 7) avec une tolérance entre 6 et 9. A contrario, un milieu dont le pH est très acide ou très basique ralentit leur croissance.
Les savons solides, basiques, présentent donc un risque de contamination faible. Ils ne peuvent héberger des microorganismes ni dans leur masse, ni en surface, tant et si bien que la législation en cours via la norme ISO 29621 a établi que l’ajout de conservateurs n’était pas nécessaire. Ainsi, il n’y a pas de risque à utiliser un savon solide qui s’éterniserait sur un évier ou un lavabo dans les conditions classiques d’utilisation.
La teneur en eau libre (AW= activity of water), susceptible d’être utilisée par les enzymes du métabolisme microbien, a également un impact sur la prolifération microbienne. Plus l’AW d’un produit est élevée et plus ce dernier sera propice au développement de microorganismes. De pH neutre, avec une AW élevée, les gels moussants et les savons liquides sont à risque de contamination, et c’est pour cela que les fabricants industriels y ajoutent des conservateurs. Leur efficacité est évaluée grâce à un test standard normatif (challenge test, norme ISO 11930), afin de garantir que la croissance microbienne est limitée dans des conditions normales de stockage et d’utilisation pendant la durée de vie du produit.
Quelle que soit la forme du savon, leur fabrication industrielle requiert de respecter de bonnes pratiques de fabrication (BPF), qui comprennent des contrôles microbiologiques et des tests quand c’est nécessaire, pour évaluer les agents conservateurs. Ainsi, il n’y a pas de risque à utiliser des savons industriels.
Que penser des ventes de savon liquide en vrac ? Un vrai défi pour les points de vente qui assurent le conditionnement et se doivent de garantir le respect de la règlementation ! Ils doivent eux aussi appliquer les bonnes pratiques de fabrication (BPF), disposer de Dossiers d’Information sur les Produits (DIP), notifier les produits et mettre leur nom sur les étiquettes.
Depuis la loi AGEC relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, les professionnels sont tenus d’accepter les contenants des consommateurs dès lors qu’ils ne sont pas sales ou inadaptés. Le Code de la consommation, article L.120-1, autorise la vente en vrac de produits de consommation courante, sauf exception justifiée par des raisons de santé publique. L’article L.120-2 prévoit quant à lui qu’un affichage en magasin informe les consommateurs sur les règles de nettoyage et d’aptitude des contenants réutilisables.
Voilà pour la théorie, qui sous-entend des gérants au fait de la législation, et une attention particulière des autorités sanitaires.
De très rares cas de contaminations avec un savon
De rares contaminations peuvent toutefois survenir. Elles trouvent leur origine au niveau industriel, en lien avec des dysfonctionnements des procédés de production, de conditionnement et de stockage qui favorisent le développement de souches de bactéries résistantes en milieu basique comme Cellulosimicrobium, Dietzia, Arthrobacter et Micrococcus (dont le potentiel virulent est peu étudié). L’installation d’équipements de purification d’air et de filtration de l’eau peut apporter un réel bénéfice pour éliminer ce risque.
Quelques rares cas ont été documentés. Des contaminations de Nesterenkonia lacusekhoensis (Micrococcus) ont par exemple été observées en 2016 au Canada sur des savons de Castille, suite à un changement d’odeur. Ces bactéries aérobies vivent dans des environnements extrêmes à des températures supérieures à 30 °C, sols et eaux hypersalés alcalins, sols désertiques. Bien qu’elles soient peu pathogènes, les savons ont été retirés du marché à la demande du gouvernement canadien.
Les savons de Castille sont spécifiques car fabriqués selon la technique de saponification à froid, lente et moins polluante en comparaison de la saponification à chaud utilisée pour les savons de Marseille et d’Alep. Ce qui en a fait un milieu de choix pour N. lacusekhoensis. Cependant, à l’heure actuelle, aucune étude ne démontre l’influence de la technique de saponification à froid ou à chaud sur le niveau de risque de contamination.
D’autres cas de contaminations ont été observés dans des distributeurs de savons liquides et de gels moussants dans l’espace collectif (restaurants ou toilettes publiques). Ici, c’est l’étape de rechargement des distributeurs qui est critique, dans la mesure où elle favorise la pollution par des bactéries fécales dont certaines, comme Escherichia coli, peuvent être responsables de gastro-entérites. Pour éviter ce phénomène, les autorités sanitaires préconisent le nettoyage et la désinfection des distributeurs avant le rechargement.
En résumé : le risque est très faible
En synthèse, les contaminations de tous ces produits d’hygiène des mains sont très rares, tout comme les risques de transmission de maladies infectieuses par leur biais.
Les savons ont un rôle nettoyant et enlèvent l’ensemble des matières organiques à la surface de la peau, y compris les microorganismes. Leur rôle est donc bien différent de celui des produits hydroalcooliques, qui ne lavent pas mais désinfectent (quand la peau est débarrassée des saletés).
Le savon reste ainsi le moyen le plus simple et le plus efficace pour prévenir la propagation des infections… À utiliser tout de même avec modération, car les lavages excessifs fragilisent le microbiote cutané et le film hydrolipidique de la peau, qui aura plus de difficulté à lutter contre les invasions microbiennes.
Selcan Tokgoz, Responsable Axe Recherche Galénique et Ecoconception, École de Biologie Industrielle (EBI) ; Delphine Hermouet, Responsable Relations Industrielles et Institutionnelles, Pilote du Comité Recherche, École de Biologie Industrielle (EBI) et Houda Morakchi-Goudjil, Enseignante-Chercheure en Biologie, École de Biologie Industrielle (EBI)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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