Dans les locaux du Centre européen des opérations spatiales, à Darmstadt, en Allemagne, la tension est palpable. Les ingénieurs de l’Agence spatiale européenne (ESA) sont concentrés sur leur tâche alors que la sonde JUICE a dû basculer en mode sans échec pour la deuxième fois consécutive. Ce vaisseau en développement depuis plus de 10 ans doit se rendre vers les lunes glacées de Jupiter dans l’espoir d’y trouver des mondes habitables, mais le lancement ne s’est pas passé comme escompté.
Un des instruments semble ne pas avoir fonctionné comme prévu. Il faut revérifier tout le système et relancer la machine, sous peine de n’avoir lancé qu’une coquille de métal inutile dans l’espace. Fort heureusement, ce scénario catastrophe n’a pas (encore) eu lieu. Nous sommes encore plusieurs mois avant le départ, JUICE est bien au chaud à Kourou, en Guyane, attendant patiemment son lancement prévu pour le 13 avril 2023. Les ingénieurs de l’ESA pratiquaient en Allemagne leur dernière répétition générale, avec une série d’anomalies fictives à résoudre pour se préparer avant le Jour J.
« L’idée n’est pas de les piéger »
« C’est une pratique systématique avant un lancement, raconte à Numerama Sophie Lacherade, responsable de simulateurs satellites au CNES. On organise une répétition quelques mois avant où il nous faut préparer un scénario dans lequel les équipes sont face à des anomalies, et doivent les résoudre. »
Celle qui a travaillé notamment sur la mission SWOT, un satellite d’observation de la Terre lancé en 2022, a souvent réfléchi à la manière de saboter une mission spatiale fictive d’une manière réaliste. Une étape essentielle avant un vrai lancement : « C’est une manière de préparer les équipes, de s’assurer que l’organisation est optimale en cas de soucis. Ce qui peut arriver, puisqu’après un lancement, les premiers jours sont décisifs. »
Résultat, les répétitions durent parfois plus d’une semaine, avec des équipes qui se relaient jour et nuit pour assurer le suivi, sans savoir si une anomalie va se déclencher. Avant chaque mission, les simulateurs organisent deux répétitions nominales, sans aucun souci, et une dernière avec anomalie, programmée un ou deux mois avant le vrai lancement. Ainsi, les équipes impliquées ont encore bien toutes les procédures en tête. Ces préparations durent quelques mois pour les missions mineures, par exemple, celles impliquant des nanosatellites, mais jusqu’à deux ans pour les plus gros projets comme JUICE.
Sophie Lacherade fait donc partie des comités restreints qui construisent les scénarios en secret : « L’idée n’est pas de piéger les équipes, précise-t-elle. Nous faisons bien attention, par exemple, à ne pas programmer deux anomalies en même temps. Il faut que les responsables prennent confiance avant un vrai lancement, et connaissent mieux les procédures à respecter. Il ne faut pas les mettre en difficulté inutilement. »
Ainsi, les équipes conçoivent des anomalies sur le lanceur, le satellite ou les stations au sol. Des simulations qui ne peuvent être valables qu’au prix de longues études, pour s’assurer que les fausses anomalies ressemblent bien aux vraies si elles se produisaient.
Une pratique ludique et stimulante
Le résultat, ce sont plusieurs dizaines de personnes réparties sur un ou deux sites, qui agissent comme si elles étaient dans un vrai lancement. « C’est très impressionnant à voir, confie Sophie Lacherade. Ce sont des salles pleines à craquer, mais où le silence règne ! Chacun reste concentré et parle dans son casque, de manière très calme. C’est assez stressant ! »
Une manière de communiquer qui est également testée lors de ces répétitions. Pour JUICE, par exemple, les simulateurs avaient fait en sorte de placer les anomalies au moment où il y avait des changements d’équipes, pour voir comment les responsables transmettaient les informations à leurs successeurs. Une façon d’unir les équipes face à un problème commun.
« Nous essayons de trouver un scénario global qui couvre tous les champs d’expertise, ajoute Sophie Lacherade. Ainsi, tout le monde a l’occasion de s’entraîner. Mais, il faut aussi veiller à étaler les anomalies dans le temps, et à garder une flexibilité pour s’adapter selon la réaction des équipes. » Par exemple, les simulateurs peuvent décider de supprimer une anomalie du scénario s’ils voient que la première prend trop de temps à être résolue, afin de ne pas corrompre toute la répétition.
C’est un aspect ludique extrêmement stimulant pour les personnes impliquées qui doivent connaître sur le bout des doigts le satellite en question, mais aussi les limites des simulations elles-mêmes. « C’est extrêmement satisfaisant quand ça se passe bien, conclut Sophie Lacherade. Surtout pour les équipes qui se rendent compte qu’elles ont bien réagi face à un problème, et qu’elles seront prêtes si cela se produit pour de vrai. »
Alors que le lancement de JUICE est imminent, chacun espère qu’aucun problème ne sera signalé. Mais, si c’est le cas, les responsables auront certainement en tête leur dernière répétition, ce qui pourrait sauver la mission.
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