C’est historique en Allemagne : les dernières centrales nucléaires ont fermé durant le week-end du 15 et du 16 avril 2023. La fin du programme nucléaire allemand — qui a été enclenché il y a soixante ans — n’est pas sans causer un important remous politique, tant au niveau national qu’européen. La décision, irrévocable dorénavant, fait débat : pour les opposants, c’est une absurdité écologique et économique.
En creux, le problème n’est pas tant l’arrêt des réacteurs que le timing. Pour les détracteurs, il est tout bonnement trop tôt pour mettre fin au nucléaire, le risque étant de compenser avec les énergies fossiles — dont les gaz à effet de serre sont à l’origine du changement climatique.
Certes, l’Allemagne développe peu à peu les énergies renouvelables — en visant quasiment du 100 % autour de 2035. Mais le fossile — comme le charbon — se développe tout autant à mesure que le pays sort du nucléaire. Cette répartition s’observe tout particulièrement ces dernières années, comme en attestent les données issues de l’AGEB (groupe de travail allemand sur les bilans énergétiques) :
En proportion : aujourd’hui, 30 % de la production énergétique de l’Allemagne provient des énergies fossiles. Certes, le renouvelable correspond à 44 % du total et augmente. Mais le chiffre du fossile est lui aussi en augmentation, là où il devrait baisser face à l’urgence climatique.
C’est d’ailleurs tout le problème mis en avant par les détracteurs de la sortie actuelle du nucléaire en Alelmagne : seulement 6 % de l’énergie produite par les centrales qui viennent de fermer vont être remplacées par des énergies renouvelables. Le reste sera compensé par du gaz et du charbon.
Cet accroissement des énergies fossiles a donné lieu à une vive mobilisation en début d’année à Lützerath, où une mine de lignite (charbon) à ciel ouvert, tenue par RWE (conglomérat énergétique allemand), est censée s’étendre. Ce qui nécessite de raser tout un village. L’objectif est de compenser les pertes après l’arrêt des importations provenant de la Russie. Lors d’affrontements parfois violents, des militants écologistes s’y étaient alors opposés aux autorités — Greta Thunberg y avait d’ailleurs été arrêtée.
De son côté, l’Allemagne s’est engagée à fermer ses dernières centrales fossiles d’ici la fin de la décennie 2030, afin de reposer quasi exclusivement sur le renouvelable. Mais malgré cet objectif, les émissions émises en 10 ans ont un impact significatif, là où le dernier rapport du GIEC appelle à des réductions rapides et massives des gaz à effet de serre le plus tôt possible.
Quel mix énergétique est idéal face à l’urgence climatique ?
La situation a fait réagir jusqu’en France, la plupart des politiques y allant de leurs tweets en fonction de leur positionnement pro, ou anti-nucléaire. Mais des scientifiques ont également pris la parole en rappelant l’état des connaissances sur la transition écologique. « En Europe, fermer des centrales nucléaires avant de fermer des centrales fossiles (charbon puis gaz) est difficile à comprendre dans ce contexte », a estimé Valérie Masson-Delmotte dans un tweet du 15 avril, au cours d’un thread explicatif où elle partageait également un graphique montrant l’augmentation des émissions de carbone de l’Allemagne.
Les études scientifiques vont effectivement dans le sens d’une anomalie dans la gestion allemande. « Nous constatons que les réductions de la production d’électricité nucléaire ont été compensées principalement par des augmentations de la production au charbon et des importations nettes d’électricité », écrivent les auteurs de travaux publiés début 2022 dédiés à l’Allemagne. « Nos estimations du coût social de l’abandon progressif vont de 3 à 8 milliards d’euros par an. La majeure partie de ce coût provient de l’augmentation du risque de mortalité associé à l’exposition à la pollution atmosphérique locale émise lors de la combustion de combustibles fossiles. »
Le risque de mortalité dû à la pollution de l’air, auquel fait référence cette étude est bien documenté. Une étude parue en 2021 n’hésitait à faire le rapprochement avec une forme de pandémie en soulignant un chiffre : on compte 8,8 millions de décès prématurés par an en raison de la pollution de l’air. D’autres travaux montrent un potentiel impact sur le fonctionnement cognitif.
Quant à la place du nucléaire, un rapport de RTE en France étudiait différents scénarios possibles dans le mix énergétique — c’est-à-dire entre les différentes sources possibles d’énergie. L’étude en arrivait à la première conclusion évidente qu’« atteindre la neutralité carbone est impossible sans un développement significatif des énergies renouvelables ». Mais la seconde conclusion était aussi que ce développement devait être soutenu par le maintien des réacteurs nucléaires pendant un temps suffisant, au risque, sinon, que le renouvelable soit trop coûteux et que son extension ralentisse donc. En clair, l’idée est que le nucléaire serve d’outil transitoire vers la neutralité carbone, afin d’éviter à tout prix que le recours aux émissions les plus polluantes.
Le débat concernant l’Allemagne n’est donc pas réellement sur un positionnement « pour » ou « contre » l’énergie nucléaire. La polémique provient essentiellement du timing choisi par l’Allemagne dans son mix énergétique. Un timing qui semble avoir été précipité en 2011, après l’accident de Fukushima qui fait office de traumatisme : c’est à ce moment que l’Allemagne a accéléré sa sortie du nucléaire.
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