Quelques minutes après son premier décollage, le Starship de SpaceX a explosé. S’agit-il d’un échec complet pour l’entreprise d’Elon Musk, ou d’une réussite prometteuse ? La réponse est plus nuancée que cela.

Pour la première fois, le gigantesque Starship de SpaceX a décollé de la surface de la Terre, le jeudi 20 avril 2023. Mais, quatre minutes après le départ, la grosse fusée a explosé en plein vol. Les deux étages du Starship ne se sont pas séparés, perturbant la trajectoire de l’engin, avec une explosion finale spectaculaire, survenue à environ 30 km d’altitude.

Puisque le Starship a explosé en vol, on pourrait en déduire que ce lancement est un échec. Mais on pourrait également le voir comme une réussite, car la fusée a réussi à se hisser vers le ciel. Un vif débat entre ces deux positions a émergé rapidement après l’incident, notamment sur le réseau social Twitter, où les fans d’Elon Musk sont nombreux à défendre ardemment leur héros. Notons d’ailleurs que SpaceX préfère parler de « désassemblage rapide imprévu », plutôt que d’explosion, ce qui n’est pas anodin.

La méthode SpaceX : brutale, mais ça fonctionne

« Il faut distinguer la communication du fond, répond à Numerama Hervé Dole, professeur à l’Université Paris-Saclay à Orsay. Sur le fond, le New Space à la Musk fonctionne objectivement de manière assez efficace. » Le scientifique oppose ici le New Space, soit les startups qui envisagent l’espace en tant que business comme un autre, au Old Space, c’est-à-dire les pionniers du spatial, les agences spatiales historiques (Nasa, ESA, etc.).

« C’est une méthode différente de celle du passé, de prototypes qui se succèdent, avec beaucoup d’échecs, au sens où un prototype est fait pour tester. C’était pareil avec Falcon 9, il y a eu beaucoup d’échecs, SpaceX s’est amélioré à chaque fois. Objectivement, ce sont des grosses innovations, avec une réduction des couts, de nouveaux processus, etc. »

Oups. // Source : Via Twitter @_mgde_
Oups. // Source : Via Twitter @_mgde_

Cette démarche, encore inhabituelle dans le domaine spatial il y a quelques années, est devenue une manière comme une autre de progresser, sous l’impulsion d’Elon Musk particulièrement. « Le coût est énorme au début, notamment au niveau environnemental. C’est la méthode bourrine, mais qui marche. »

Toutefois, cette manière de faire s’accompagne souvent d’une communication tellement accrue qu’elle peut déformer la réalité. « Tout le monde était excité, et c’est normal, nous sommes face au plus gros lanceur, poursuit Hervé Dole. Mais, le problème du modèle économique de SpaceX, c’est que tout est survendu. Musk joue sur l’ambiguïté, car il a des contrats avec la Nasa qui fonctionnent par ailleurs très bien. C’est fait pour que l’on mélange tout. » SpaceX expédie régulièrement des astronautes vers la Station spatiale internationale à bord de la capsule Crew Dragon, depuis fin 2020. Assurément, c’est une grande réussite de l’entreprise d’Elon Musk.

Tout dépend du point de vue : juge-t-on les performances ou un prototype ?

Revenons à l’explosion du Starship. Alors, explosion ou échec ? « On peut le voir de 2 manières. En tant que prototype, ce n’est pas étonnant que le Starship n’aille pas jusqu’au bout. En ce sens, ce n’est pas un échec. Le Starship est allé assez haut, SpaceX a vu qu’il y avait des problèmes, ce sera corrigé la prochaine fois. Mais, tel que c’est annoncé, avec le retour sur la Lune pour bientôt, la fusée n’est pas prête. En termes de performances, c’est un échec complet. Cependant, il est vrai que ce n’est pas un vol de qualification », résume Hervé Dole.

Face au terme d’échec pour décrire l’explosion du Starship, c’est un argument qui est revenu souvent : ce n’était pas un vol de qualification. Ce qui est juste. Autrement dit, il ne s’agissait pas là de confirmer que le Starship est bien capable de mener une mission en particulier. Encore une fois, cela est intimement lié à la méthode adoptée par SpaceX. « Il y a deux approches différentes, rappelle Hervé Dole. D’un côté, des missions comme Artémis I, ou avec les fusées Ariane 5, 6 : on blinde tout en amont pour être hyper robustes, c’est l’Old Space. Il y a aussi des échecs, évidemment. De l’autre, la méthode des ‘essais erreurs’ et des prototypes, très rapide et agile. Effectivement, cela va plus vite, mais le coût est différent. »

Pour SpaceX et les autres, l’erreur n’est pas synonyme de déshonneur

Or, l’une n’est pas forcément plus valable que l’autre. C’est ce qui fait dire à l’astrophysicien que l’on peut aussi bien parler de réussite que d’échec au sujet du premier vol du Starship. « Globalement, tout le monde a raison. À la place de SpaceX, on serait aussi très content : le prototype a volé quelques minutes, et assez haut. Mais, ne montrer que les images des premières secondes où la fusée part et où tout se passe bien, c’est un peu une réécriture de l’histoire, on sait qu’ensuite, ça a explosé. »

C’est donc finalement la communication autour de cet événement qui envenime le débat. Elle fait oublier que SpaceX n’a pas une démarche si différente de celle de l’Old Space et de la science en général. « L’erreur est vraiment importante, c’est de cette façon que l’on apprend. Ce n’est pas déshonorant. »

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