Si James Webb (JWST) nous a habitués aux images formidables d’immenses amas de galaxies mesurant plusieurs années-lumière, le télescope spatial va aussi rechercher l’infiniment petit à travers l’Univers.
Une étude parue dans Nature Astronomy le 11 mai 2023 revient sur une découverte fascinante : la composition d’un disque protoplanétaire. Concrètement, il s’agit d’un ensemble disparate de plusieurs éléments chimiques en orbite autour d’une étoile. Toute cette matière va peu à peu s’assembler de manière à former des planètes. Ce qui veut dire que les ingrédients des futurs mondes sont déjà dans ce disque, et ici les chercheurs ont identifié d’étonnantes molécules d’hydrocarbures. « Il y a plusieurs types de molécules contenant l’élément chimique carbone, détaille pour Numerama le principal auteur, Benoît Tabone, chercheur CNRS à l’Université Paris-Saclay. Les atomes de carbone se sont associés à des atomes d’hydrogène pour aboutir à des molécules parfois étonnantes. »
Ces molécules, ce sont de l’acétylène, du diacétylène et du benzène. Ces deux derniers éléments n’ont jamais été trouvés auparavant dans un disque protoplanétaire. « Il y avait des études auparavant admettant que ces détections étaient possibles, résume Benoît Tabone, mais c’est la première fois que nous les observons pour de vrai. »
Un zoom sur des molécules de carbone
Une prouesse rendue possible par le JWST, et plus particulièrement son instrument MIRI. Ce spectromètre infrarouge a la capacité d’analyser les éléments chimiques présents sur un corps céleste avec une précision jamais égalée. Le précédent instrument comparable était l’observatoire Spitzer, mis en orbite en 2003 et qui a pris une retraite bien méritée en 2020. Mais, ses potentialités étaient bien moindres que celles du télescope spatial James Webb, dont la vision dans l’infrarouge dévoile une quantité de détails bien plus élevée.
MIRI a donc pris pour cible le disque nommé J160532, quelque part à près de 500 années-lumière de la Terre. Un choix intéressant, car l’étoile en question est plutôt jeune, de ce fait les planètes autour ne sont pas encore formées. En plus, elle est petite, et les études ont montré que les étoiles moins massives ont davantage de planètes rocheuses autour d’elles.
Quoi qu’il en soit, les observations du JWST ont beau avoir fourni une quantité astronomique de données, il reste aux chercheurs à comprendre ce qu’ils ont sous les yeux. Pour Benoît Tabone, il y a avant tout une énigme à résoudre : « Le gaz du milieu interstellaire contient du carbone, mais aussi de l’oxygène, alors pourquoi dans ce disque protoplanétaire, nous avons essentiellement du carbone, mais très peu d’oxygène dans la phase gazeuse ? »
La théorie est la suivante : le carbone se trouvait sous forme de grains qui ont été littéralement vaporisés par l’activité de l’étoile, plutôt intense à cette période de sa « vie ». Résultat, ce gaz carboné s’est retrouvé mélangé à tous les éléments alentour, fournissant une chimie largement basée sur le carbone.
Un scénario très semblable à celui qui a mené à la formation de la Terre, avancent les auteurs de l’étude. « Ce processus tend à favoriser l’apparition de grains de poussière pauvres en carbone, précise Benoît Tabone. En clair, ce sont des roches, et donc in fine des planètes telluriques comme la Terre. » Entre-temps, dans notre système solaire, le carbone qui n’a pas été accrété par les planètes est resté sous forme de gaz et a fait une longue chute vers le Soleil. Celui présent dans le système solaire externe, lui, a été englouti par les planètes géantes gazeuses comme Jupiter. Mais, comme J160532 est une étoile plus petite, elle sera surtout source de planètes rocheuses.
Une fenêtre sur la Terre avant sa formation
Si ce disque riche en carbone représente une image de notre système solaire avant la formation des planètes, cela peut-il dire qu’il contiendra, lui aussi, une planète aussi hospitalière que la Terre ? La question est très loin d’avoir une réponse. Cependant, le carbone étant essentiel à la formation de la vie, la piste mérite d’être creusée. « Paradoxalement, la Terre contient peu de carbone, ajoute Benoît Tabone, juste ce qu’il faut pour former les molécules complexes qui ont mené à la vie. Mais, pas trop, sinon l’atmosphère serait probablement saturée, et les conditions seraient sans doute très différentes. »
Le disque protoplanétaire à l’origine de la Terre a certainement présenté des similarités avec celui observé autour de J160532. Toutefois, il reste une autre question sans réponse selon Benoît Tabone : « Est-ce que ce disque est une exception, ou est-ce que tous les disques autour de petites étoiles ont cette surabondance en carbone ? Nous n’en sommes qu’au début des observations et nous espérons bientôt en savoir plus. »
Dans son programme, le chercheur prévoit une cinquantaine d’autres observations de disques protoplanétaires, de masses et d’âges différents, afin de faire une étude statistique de ces objets. « Notre rêve serait de découvrir que ce processus de destruction des grains de carbone se produit systématiquement ou s’il est une exception, assure Benoît Tabone. Cela nous montrerait quelles sont les planètes telluriques qui sont semblables à la Terre d’un point de vue géologique. » Des mesures qui ne suffisent pas à déterminer lesquelles sont également habitables, mais l’étape est essentielle pour comprendre les exoplanètes découvertes quotidiennement.
D’ailleurs, ces mêmes exoplanètes sont également placées sous la loupe du JWST. Ses instruments l’autorisent à analyser la composition de l’atmosphère de ces mondes lointains, avec l’espoir de trouver un air respirable ailleurs. De telles études ne trouveront pas, à coup sûr, des formes de vie extraterrestre, mais serviront à reconstruire le chemin d’une planète avant sa naissance, et jusqu’à sa formation.
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