Le décret interdisant les trajets en avion courts, en France métropolitaine, est loin de faire l’unanimité : il est trop peu ambitieux et ses nombreuses exceptions en réduisent encore plus la portée. À quoi pourrait ressembler une mesure à la hauteur de l’ambition ?

C’est terminé pour les vols intérieurs courts dont un trajet en train de moins de 2h30 est disponible. Après la validation sous condition par la Commission européenne fin 2022, un décret publié le 23 mai 2023 au Journal officiel y met fin. En théorie, tout du moins : les exceptions posées par ce décret sont nombreuses. La mesure est-elle à la hauteur des objectifs ambitieux de réduction des gaz à effet de serre ?

Toutes les exceptions posées par le décret

Les limites au projet de réduire les vols intérieurs courts s’additionnent dans le décret :

  • Les trajets en train doivent être possibles en moins de 2h30 — ce qui reste rare, la proposition initiale de la Convention climat était de 4h ;
  • La proposition ferroviaire doit fournir un service alternatif satisfaisant : « les fréquences doivent être suffisantes et les horaires appropriés, compte tenu des besoins de transport des passagers empruntant cette liaison, notamment en matière de connectivité et d’intermodalité, ainsi que des reports de trafic qui seraient entraînés par l’interdiction » ;
  • Le trajet doit s’effectuer « entre des gares desservant les mêmes villes que les aéroports respectivement concernés » (raison pour laquelle Orly-Rennes n’est pas permis mais Roissy CDG-Rennes, oui, bien que cela reste le même type de trajets) ;
  • La liaison doit permettre « plus de huit heures » de présence sur place dans la journée, tout au long de l’année.

Ainsi, si 22 lignes devaient être concernées au début de la mesure, ces exceptions font tomber les lignes interdites à trois : les liaisons aériennes entre Nantes, Bordeaux, Lyon et Paris-Orly. Mais comme les correspondances sont possibles, Air France propose tout de même un Orly-Lyon, par exemple, avec une étape à Toulouse ou Nice selon les vols. Une option qui vient s’ajouter à CDG-Lyon, ce qui signifie que ce trajet, pourtant faisable en train en moins de 2h30, reste grandement possible en avion. De même, des trajets où le trafic ferroviaire est considéré comme insuffisant ne sont pas touchés par la mesure (comme entre Lyon et Marseille).

SNCF Connect. // Source : Numerama
Pour remplacer les trajets en avion par des trajets en train, il faut que l’offre sur ces derniers soit suffisante. // Source : Numerama

Ce qu’il faudrait vraiment faire sur les vols intérieurs courts

Comme certains observateurs l’ont remarqué, le décret du gouvernement semble comme « vidé de sa substance » à deux titres : un objectif moins ambitieux que prévu (2h30 au lieu de 4h) et une foule d’exceptions qui réduisent encore les vols concernés. Mais quelle mesure serait efficace ?

Le Réseau Action Climat avait produit, en 2020, un document dans lequel il analysait le plan aérien du gouvernement. Il évalue trois types de situations où les vols courts seraient interdits au profit des trajets en train :

  • Suppression des vols quand un trajet de 2h30 en train est possible : cela diminuerait de 11,2 % les émissions de CO2 pour les vols métropolitains (hors Corse et Outre mer) et de 0,8 % les émissions de l’ensemble des vols au départ de la France
  • Suppression des vols quand un trajet de 5h en train est possible : cela diminuerait de 60,6 % les émissions de CO2 pour les vols métropolitains et de 4,5 % les émissions de l’ensemble des vols au départ de la France.
  • Suppression des vols quand un trajet 6h en train est possible : cela diminuerait de 83,5 % les émissions de CO2 pour les vols métropolitains et de 6,2 % les émissions de l’ensemble des vols au départ de la France.

Le Réseau Action Climat présentait le scénario des 2h30 comme peu bénéfique, à une époque où toutes les exceptions n’étaient, qui plus est, pas encore connu. Le document penchait alors pour la solution d’une interdiction des vols de 5h comme meilleur compromis à court terme. Aussi, car cette mesure « permettrait d’inclure le vol Toulouse-Paris qui est une des connexions les plus émettrices avec plus de 3 millions passagers par an », bien que « les connexions vers les hubs restent concernés par l’interdiction dans ce scénario ». Une telle mesure doit par ailleurs « concerner l’ensemble des compagnies aériennes opérant des vols sur le territoire national, et pas seulement Air France. »

Quid du retour des trains de nuit ?

L’association spécialisée dans la lutte contre le changement climatique ajoute quelques critères qui rendraient une telle mesure, selon ce document, plus efficace encore :

  • Abandonner les projets d’extension d’aéroports français, en particulier ceux « induisant une croissance du trafic ». L’association faisait ici notamment référence au terminal 4 de Roissy, qui impliquait une croissance du trafic aérien évaluée à 38 % d’ici à 2037. Entre-temps, ce projet a été abandonné. Comme le signalait cependant Reporterre en 2022, cet abandon pourrait être en trompe-l’œil puisque, dans son plan de prévention du bruit, aucun plafonnement du trafic aérien n’a été annoncé — au contraire, la croissance restait de mise.
  • Un développement et une restructuration ferroviaire active, afin de mettre en place une relance « utilisant toutes les capacités du train de jour et de nuit, tant au niveau français qu’européen ». Le Réseau Action climat insiste en particulier sur l’importance de faire revivre les trains de nuit. L’ensemble de cette mesure permettrait d’étendre les vols aériens concernés par la mesure d’interdiction, puisque l’offre en train augmenterait. Un tel plan ambitieux permettrait en effet de réduire l’ampleur de l’exception pour trafic ferroviaire insuffisant.
  • Un renouveau de la fiscalité sur le secteur aérien, « qui est actuellement au détriment du train », indiquait Réseau Action Climat en 2020.

Le décret pris par le gouvernement semble donc passer en grande partie à côté de son sujet : changer les usages et réduire concrètement les émissions de gaz à effet de serre. Il est vrai qu’elle pourrait avoir un effet symbolique, mais à l’heure où le 6e rapport du GIEC alerte sur la nécessité d’agir maintenant et amplement, le besoin d’action se fait sentir : les symboles n’ont qu’un temps face à une urgence.

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