Elle n’a jamais ressenti de douleur, ni d’anxiété, ni de peur : l’Écossaise Jo Cameron, 75 ans, est un cas extrêmement rare. Elle vit avec une « insensibilité congénitale à la douleur », une maladie qui ne touche qu’une personne sur des millions. Pour savoir que sa peau brûle, par exemple, Jo n’a d’autre solution que de la voir en train de brûler ou de la renifler. Ce qui en fait une maladie grave, puisque la douleur ou encore la peur relèvent de signaux essentiels pour notre propre bien-être.
C’est pourtant à 65 ans seulement qu’elle a compris sa différence, lorsque qu’après une grave opération, elle n’a pas demandé d’antidouleurs. Les médecins ont alors décelé le problème. Les causes de cette maladie rare restent peu comprises, bien qu’une mutation génétique semble en être la clé. C’est sur cette mutation que s’est penchée une équipe de l’University College London (UCL), qui publie, le 24 mai 2023, dans la revue scientifique Brain, une étude basée sur leurs premières conclusions.
C’était cette même équipe scientifique qui, en 2019, avait déjà découvert le gène FAAH-OUT et ses mutations rares, chez Jo Cameron. Cette partie du génome humain, avant cette découverte, était considérée comme du déchet — une partie de l’ADN ne servant à rien. Mais, il est en réalité au cœur du processus biologique de la douleur.
Quand une mutation bloque l’accès à la douleur
Le gène FAAH-OUT est relié à un autre gène : FAAH. Plus précisément, il en régule l’expression. Ainsi, la façon dont FAAH-OUT mute affecte la façon dont FAAH s’exprime. Or, FAAH fait partie du système endocannabinoïde, qui joue un rôle pour le système immunitaire, l’appétit, mais aussi dans la sensation de douleur, l’humeur, la mémoire.
Dans cette nouvelle étude, les auteurs ont pu repérer comment, chez une personne comme Jo Cameron, cette version mutée de FAAH-OUT réduit l’activité de FAAH — réduisant de facto la capacité à sentir la douleur. Mais, les mutations génétiques chez Jo Cameron ont aussi entraîné une série d’autres altérations au niveau moléculaire : l’activation de 797 gènes et la désactivation de 348 autres. Cela touche notamment la « voie de signalisation » moléculaire Wnt, liée à la cicatrisation des plaies. Deux autres gènes clés sont touchés : BDNF, associé à la régulation de l’humeur, et ACKR3, qui régule les niveaux d’opioïdes naturels dans le système nerveux (ce qui est lié à la gestion de sensations fortes). « Ces modifications génétiques pourraient contribuer à la diminution de l’anxiété, de la peur et de l’insensibilité à la douleur de Jo Cameron », expliquent les auteurs sur le site de l’UCL.
« Le gène FAAH-OUT n’est qu’un petit coin d’un vaste continent, dont cette étude a commencé à dresser la carte », détaille Andrei Okorokov, coauteur de l’étude. « Outre la base moléculaire de l’absence de douleur, ces explorations ont permis d’identifier des voies moléculaires affectant la cicatrisation des plaies et l’humeur, toutes influencées par la mutation FAAH-OUT. »
Les travaux des chercheurs et chercheuses de l’UCL ont bien évidemment pour but d’identifier des voies de soin avec, comme espoir, d’établir de nouveaux types de médicaments dédiés à la régulation de la douleur et de l’humeur. Cette étude en était une première pierre, et c’est maintenant que la recherche médicale va pouvoir commencer selon James Cox, l’un des auteurs : « En comprenant précisément ce qui se passe au niveau moléculaire, nous pouvons commencer à comprendre toute la biologie impliquée et cela ouvre des possibilités pour la découverte de médicaments qui pourraient un jour avoir des impacts positifs importants pour les patients. »
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