Les piscines privées sont de plus en plus en débat en France, alors que le changement climatique provoque de fortes tensions sur la gestion de l’eau. Avant l’interdiction, il y a à réfléchir sur la façon de réduire le gaspillage.

Le nombre de piscines privées en France est en forte progression, de l’ordre de 8 %, ces dernières années atteignant 3,2 millions en 2022 d’après la Fédération des Professionnels de la Piscine et du Spa. Cela place la France au deuxième rang mondial derrière les États-Unis en termes de marché. Les bassins actuels ont une capacité minimum de 10 m3 et la moyenne est de 32 m3 avec une tendance à la baisse ces dernières années.

L’eau des piscines doit être constamment désinfectée, car elle est en permanence contaminée par des bactéries, algues et champignons qui peuvent être pathogènes comme le rappelle l’ARS. Pour conserver une eau saine dans les piscines, les propriétaires privés ont trois solutions principales à leur disposition : le chlore (lent ou stabilisé), l’électrolyse au sel et l’ozone.

L’électrolyseur au sel et l’ozonateur sont des dispositifs assez coûteux qui peuvent être choisis lors de l’installation ou de la rénovation de la piscine. Ils ne représentaient en 2017 que, respectivement, 27,9 % et 4,4 % des installations. L’électrolyseur au sel est un dispositif introduit dans les canalisations de la piscine qui est capable par une réaction électrochimique de produire in situ de l’eau de javel à partir d’une eau légèrement salée (3 à 7 g/L de NaCl dans l’eau). L’eau de javel ainsi formée est produite en continu dans le bassin. L’ozonateur est un dispositif qui produit de l’ozone à partir de l’oxygène de l’air en utilisant une décharge corona ou une lampe UV. L’ozone est capable de désinfecter l’eau très efficacement.

Ce chat a chaud. // Source : Pixabay (photo recadrée)
Ce chat a chaud. // Source : Pixabay (photo recadrée)

Le chlore lent est la technique de décontamination très largement majoritaire dans les piscines privées françaises. Ce traitement chimique est basé sur la combinaison de 2 molécules. La première, l’eau de javel (contenant le chlore) est rapidement dégradée par les rayons UV du soleil. Il a été montré que cette photodégradation est totale en 37 minutes seulement sous un ensoleillement de juin. La deuxième, l’acide isocyanurique est le stabilisant qui ralentit cette dégradation et permet à l’eau de javel de rester active. Ce chlore lent se présente sous forme de galets d’acide trichloroisocyanurique.

Le propriétaire de piscine place ces galets dans le skimmer de son installation. Les skimmers sont les orifices à hauteur de la ligne d’eau qui permettent son aspiration et sa filtration avant d’être réinjectée par le fond du bassin. La dissolution lente du galet libère le stabilisant et l’eau de javel nécessaire à la désinfection. L’efficacité du stabilisant est démontrée pour des concentrations de 25-50 mg/L même si elle diminue dès 50 mg/L. En effet, une trop grande stabilisation provoque un effet néfaste de blocage de l’eau de javel qui perd son efficacité.

L’acide isocyanurique est une molécule stable chimiquement. Cette concentration est donc atteinte très vite. En France, la concentration limite définie par la réglementation pour les piscines à usage collectif est fixée à 75 mg/L, car pour cette concentration la stabilisation de l’acide hypochloreux est telle qu’il n’est plus efficace pour décontaminer le bassin.

À ce jour, la seule solution pour le propriétaire de piscine est donc de vidanger au moins 25 % de l’eau du bassin.

Des dizaines de millions de mètres cubes d’eau juste pour l’entretien

Pour une piscine utilisée classiquement cette opération est menée tous les 6 mois, c’est-à-dire au moins une fois par an. 25 % d’eau neuve sont donc ajoutées tous les 6 mois. Cela s’ajoute aux 50 L/baigneur/jour d’eau « neuve » à introduire dans le bassin suivant l’ARS quel que soit le mode de désinfection.

Un petit calcul permet de rapidement se faire une idée des quantités d’eau du réseau potable utilisée par les 3,2 millions de piscines. En effet, en moyenne 2 baigneurs/jour utilisent une piscine sur les 4 mois d’été, il faut donc ajouter 100 L d’eau/jour pendant 120 jours c’est-à-dire 12 m3 par piscine et deux fois par an, faire la vidange d’un quart du bassin pour réduire la concentration d’acide isocyanurique c’est-à-dire 16 m3 en moyenne. Chaque piscine nécessite donc 28 m3 d’eau par an pour son entretien normal. Ce volume semble faible, mais correspond à 23 % de la consommation moyenne annuelle d’un ménage en France. À l’échelle des 3,2 millions de piscines, ce volume devient 89,6 millions de m3 d’eau potable consommés par an pour entretenir des piscines privées en France. Cela peut sembler faible (1,3 %) en regard des 7 milliards de m³ d’eau potable consommée en France chaque année.

Une piste pour réduire le gaspillage

Pour réduire ce gaspillage en eau, des recherches sont menées depuis plusieurs années. Plusieurs approches sont suivies pour éviter d’avoir à vidanger un quart de l’eau comme c’est le cas actuellement. Une biodégradation enzymatique a été décrite qui hydrolyse l’acide isocyanurique en biuret qui, au contact de l’eau de javel à pH basique, peut être dégradé en diazote et en dioxyde de carbone. À pH neutre, en revanche, le biuret n’est pas facilement dégradé dans le bassin. Cette voie ne semble donc pas très efficace, car l’eau du bassin doit être maintenue entre pH 7 et 7,4, c’est-à-dire à pH neutre.

Un filtre à charbon actif a également été breveté pour cette application en 2014, mais l’installation doit être adaptée pour insérer un tel filtre dans le circuit d’eau. Cette voie n’a alors jamais été développée. Le charbon actif a la propriété d’absorber à sa surface un très grand nombre de composés organiques.

Avant de plonger, vous devriez peut-être lire cet article en entier. // Source : Pexels/CC0
Avant de plonger, vous devriez peut-être lire cet article en entier. // Source : Pexels/CC0

Un champignon, Sporothrix schenkii, est connu pour se développer en dégradant l’acide isocyanurique, mais là encore, cette approche de laboratoire ne peut pas être mise en place réellement.

De notre côté, nous avons travaillé au cours de 2 thèses de doctorat au laboratoire sur une solution de chélation (adhésion d’une molécule à une autre) de l’acide isocyanurique sur un support moléculaire solide qui permettrait de le retirer du bassin par simple filtration. Nos molécules ont été brevetées et des tests de montée en échelle et d’industrialisation sont en cours. Le concept s’inspire des dérivés d’Hamilton qui sont bien connus pour piéger les molécules de la famille des barbituriques dont la structure est assez voisine de celle de l’acide isocyanurique.

Nous avons simplifié au maximum le motif chélatant pour que le dispositif soit concurrentiel et commercialisable. Enfin, notre objectif était de pouvoir l’utiliser dans toutes les piscines privées sans changement d’installation. Les travaux se poursuivent et nous espérons que cette approche puisse résoudre le problème du gaspillage d’eau dans les piscines privées.

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Véronique Bonnet, Professeur en chimie, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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