Des neutrinos ont été détectés partout dans l’Univers, mais jamais en provenance de notre Voie lactée. C’est désormais chose faite grâce à un détecteur installé en Antarctique, assisté par une intelligence artificielle qui a pu observer ces particules énigmatiques et insaisissables.

Si vous craignez les ondes, les produits chimiques ou toute autre substance invisible qui nous entoure, tenez-vous bien : vous êtes aussi constamment entourés, et même traversés de part en part par des particules mystérieuses appelées neutrinos. Ces particules élémentaires qui voyagent à une vitesse proche de celle de la lumière sont des milliards à traverser chaque centimètre carré de notre corps à chaque seconde et se retrouvent partout dans l’Univers.

Pourtant, leur surnom de particules fantômes n’est pas usurpé, car elles demeurent particulièrement discrètes, n’interagissent quasiment jamais avec la matière ordinaire, ce qui les rend très difficiles à détecter.

Malgré tout, les détecteurs installés sur Terre arrivent aujourd’hui à capter des dizaines de milliers de neutrinos à haute énergie chaque année, tous en provenance d’événements cosmiques lointains se déroulant à des années-lumière de notre galaxie. Ils sont différents des neutrinos solaires venus de notre Soleil et qui constituent l’immense majorité des particules que nous recevons. Les neutrinos à haute énergie sont donc plus difficiles à repérer. Y parvenir est une prouesse certaine, mais qu’en est-il des neutrinos similaires produits dans notre galaxie ? Ils doivent bien exister aussi ? « Il y en a, affirme auprès de Numerama Francis Halzen, physicien de l’Université du Wisconsin, et membre de la collaboration IceCube. Ils sont peu nombreux et très difficiles à détecter, mais nous en avons trouvé. »

Nicolle R. Fuller/NSF/IceCube
Des neutrinos. // Source : Nicolle R. Fuller/NSF/IceCube

Le chercheur a publié une étude parue dans la revue Science ce 29 juin 2023, dans laquelle il revient sur la découverte de rayons cosmiques chargés en neutrinos qui viennent de notre propre galaxie.

Des neutrinos « maison » noyés dans la masse

Avant de rentrer dans les détails, une explication s’impose : des rayons cosmiques chargés en neutrinos arrivent régulièrement sur Terre. Mais, comme ils sont déviés au gré des champs magnétiques interstellaires qu’ils traversent, ils nous viennent de toutes les directions. Il est difficile d’en retrouver la source.

En 2022, une équipe d’astrophysiciens avait pu identifier des blazars, des noyaux de galaxie qui émettent des rayonnements puissants, et qui enverraient des neutrinos. Mais, paradoxalement, alors que la technique se perfectionne, il demeure impossible de trouver ces mêmes particules directement émises par notre propre galaxie. « Lorsque nous avons trouvé les premiers neutrinos, nous avons pensé qu’ils venaient de chez nous, raconte Francis Halzen. Quand nous regardons le ciel, la plupart des étoiles visibles viennent bien de la Voie lactée, mais pour les neutrinos, c’est l’inverse. »

Le problème n’est pas tant que ces neutrinos sont difficiles à détecter. Ils ne le sont pas plus que ceux d’origine extragalactique, mais ils sont bien moins nombreux et se retrouvent noyés dans la masse.

Pour arriver à faire le tri, les chercheurs se sont servis des données récoltées ces dix dernières années par l’expérience IceCube. Comme son nom l’indique, IceCube est littéralement un cube de glace d’un kilomètre cube, construit au fin fond de l’Antarctique et enterré sous la surface. Avec ses plus de 5 000 détecteurs optiques, il recherche le moindre photon émis lorsqu’un neutrino interagit avec un noyau atomique, ce qui arrive très rarement. Lorsqu’un de ces chocs se produit, une autre particule est produite : un muon. Celui-ci peut interagir à son tour avec d’autres particules et provoquer l’apparition d’un cône de lumière, ce qui donne un renseignement extrêmement important : la direction de laquelle vient le neutrino.

L'observatoire IceCube en Antarctique. // Source : Flickr/CC/Eli Duke
L’observatoire IceCube en Antarctique. // Source : Flickr/CC/Eli Duke

L’équipe de Francis Halzen a récupéré ces données extrêmement denses et les a passées à la moulinette d’un algorithme entraîné par la méthode du machine learning. Son but : retracer le parcours de tous les neutrinos enregistrés et voir si cela coïncide avec des rayons gamma actifs dans notre galaxie.

Des sources encore énigmatiques

« Nous avons identifié un modèle, précise Francis Halzen, dans lequel il y a un excès de neutrinos dans le plan galactique, ce qui est statistiquement cohérent avec des rayons gamma déjà connus. La distribution et le nombre de neutrinos attendus sont conformes au modèle. » Une prouesse qui n’aurait pas été possible il y a encore quelques années, car les détecteurs n’étaient pas assez perfectionnés pour saisir un grand nombre de neutrinos. À ses débuts en 2011, IceCube n’en identifiait que 6 000 par an, mais il a décuplé ses capacités depuis.

Il reste un problème : identifier clairement les sources à l’origine de ces neutrinos galactiques. Si plusieurs rayons gamma sont suspectés, il n’est pas si facile de remonter jusqu’à eux, car les instruments n’ont pas une résolution suffisamment précise pour y parvenir. Ce n’était pas le cas pour les blazars, ces usines à neutrinos venues d’autres galaxies qui étaient beaucoup plus massives et faciles à voir, même si le challenge était également notable.

« C’est notre prochaine étape, confie Francis Halzen. Savoir précisément d’où viennent ces particules. Nous savons qu’il y en a qui sont nées dans notre Voie lactée, mais nous ne pouvons pas dire précisément combien il y a de sources, et où elles sont. »

Les particules fantômes sont donc loin d’avoir révélé tous leurs mystères. Cependant, le domaine est extrêmement dynamique, et de nouvelles découvertes pourraient ne pas tarder à arriver.

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