Moins de 10 ans après la première détection d’une onde gravitationnelle, la recherche autour de ces ondulations dans l’espace a encore fait un énorme bond. Des scientifiques du monde entier ont collaboré pour aboutir, ce jeudi 29 juin 2023, à la publication de nouveaux résultats importants : la détection d’ondes gravitationnelles de très basses fréquences, provenant de couples de trous noirs supermassifs.
Une telle découverte est tout aussi révolutionnaire que la première fois que les scientifiques ont pu obtenir l’image d’un trou noir, en avril 2019. « Lorsqu’on a eu la première image d’un trou noir, on voyait l’environnement unique du trou noir unique en optique, explique à Numerama Gilles Theureau, astronome à l’observatoire de Paris, qui a participé aux nouveaux travaux. Cette fois, on mesure l’émission d’un couple de trous noirs directement, avec les ondes gravitationnelles. » Pour obtenir cette avancée, il a fallu plus de 25 années d’observations.
Une onde gravitationnelle, c’est quoi ?
Avant d’aller plus loin, petit point de vocabulaire : qu’est-ce qu’une onde gravitationnelle ? C’est « une déformation de l’espace-temps qui se propage à la vitesse de la lumière », rappelle Gilles Theureau. Cette notion est intimement liée à la théorie de la relativité générale d’Einstein et à sa manière d’aborder la notion de gravitation.
« La gravitation n’est pas une force magique qui agit à distance, poursuit l’astronome. Une masse déforme l’espace temps autour d’elle. Si l’on agite fortement cette masse, cette déformation de l’espace autour se propage sous forme d’onde gravitationnelle. »
Que vient-on de découvrir exactement ?
Pour détecter ces ondes gravitationnelles, et donc observer ce qui semble être des tas de trous noirs supermassifs tournant les uns autour des autres, les scientifiques se sont servis de 25 pulsars. Ce sont « des étoiles très compactes, qui tournent très vite », nous indique l’astronome. Les chercheurs les ont utilisées comme des « horloges naturelles », aidant à « détecter des variations infimes de l’espace temps, comme des ondes gravitationnelles ».
C’est comme si les pulsars étaient eux-mêmes un instrument de mesure. Si les pulsars se dérèglent, on peut en déduire le passage d’une onde gravitationnelle.
Un télescope de la taille de la galaxie
On peut dire que les scientifiques ont en quelque sorte créé un télescope de la taille de notre galaxie, la Voie lactée. C’est vertigineux, quand on compare cela aux observatoires LIGO et Virgo, impliqués dans la première détection d’ondes gravitationnelles en 2015 : ce sont des équipements d’à peine quelques kilomètres de longs, posés à la surface de la Terre.
« L’équivalent de notre détecteur à base de pulsars, ce sont des bras qui font la distance entre les pulsars et la Terre. Ces fameux pulsars sont dans la Voie lactée, notre galaxie : on a vraiment un détecteur de la taille de la Voie lactée. »
Un signal venu des trous noirs supermassifs
Grâce à ce détecteur géant, les scientifiques viennent de détecter des ondes gravitationnelles particulières : elles sont captées à de très basses fréquences. Alors que les observatoires LIGO et Virgo observaient à quelques hertz et dizaines de hertz, cette fois les scientifiques peuvent observer à un niveau situé entre le millionième et le milliardième de hertz. Or, « c’est dans cette bande de fréquences très basse que l’on attend l’émission gravitationnelle de phénomènes gigantesques, qui sont liés aux trous noirs supermassifs. Des trous noirs qui font plusieurs milliards de fois la masse du Soleil, que l’on sait être au cœur des grandes galaxies », résume Gilles Theureau.
Les scientifiques accèdent désormais à des ondes gravitationnelles « plus grandes » que celles accessibles aux détecteurs actuels. Et, donc, à des couples de trous noirs plus grands.
Les scientifiques savent que l’Univers s’est formé de façon hiérarchique : il y a d’abord eu la formation des étoiles et des petites galaxies, qui en fusionnant, ont formé progressivement des galaxies plus massives. « Lors des fusions de galaxies, les trous noirs forment aussi des couples, produisant ces ondes gravitationnelles à très basse fréquence que l’on pense avoir détecté aujourd’hui. »
Pourquoi a-t-il fallu 25 ans pour faire cette découverte ?
On peut être surpris que les scientifiques aient eu besoin d’un quart de siècle pour observer le signal venu de trous noirs aussi gigantesques. « C’est une détection au ralenti, nous confirme Gilles Theureau. On utilise 2 500 heures de télescope par an depuis le milieu des années 2000. Il y a des découvertes qui ne peuvent que se faire sur des temps longs. »
C’est justement parce que ces trous noirs sont si gargantuesques que les observations se sont à de très basses fréquences. « On est sur des échelles plus grandes : il faut des années à ces trous noirs pour faire un tour l’un autour de l’autre, ce qui produit plutôt des basses fréquences. La fréquence est l’inverse d’un temps : si l’on prend un temps long, cela fait une fréquence basse. » Voilà pourquoi « il faut des années pour sortir ce signal. Si l’on veut un signal au nanohertz, il faut 30 ans de données. »
Une campagne mondiale d’observations
Afin d’obtenir ces résultats, c’est une très vaste campagne d’observations qui a été menée. Rien qu’en Europe, 5 grands radiotélescopes ont été impliqués, dont le grand radiotélescope de Nancay en France. Le projet a ainsi été porté par la collaboration EPTA (« European Pulsar Timing Array »), impliquant aussi des observations en Inde avec son observatoire GMRT (« Giant Metrewave Radio Telescope »).
Mais, ce n’est pas tout : les résultats de l’EPTA sont coordonnés avec ceux d’autres collaborations scientifiques : des collaborations australienne (PPTA), chinoise (CPTA) et nord-américaine (NANOGrav). Et, tous les résultats sont cohérents pour dire qu’il s’agit bien de la signature d’ondes gravitationnelles.
Quel rapport avec le fond d’ondes gravitationnelles ?
« On est en train de démontrer l’existence d’un fond d’ondes gravitationnelles », indique Gilles Theureau à Numerama. Soit une sorte de bruit de fond, ou de brouhaha, créé par diverses sources émettant des ondes gravitationnelles à basse fréquence.
« Ce que l’on pense pouvoir caractériser en premier lieu, c’est la superposition de toutes les émissions de tous les trous noirs binaires supermassifs dans l’univers. Il y a des couples de trous noirs dans chaque galaxie massive. Les différents signaux de toute cette population se superposent et produisent un bruit de fond. » L’un des espoirs des scientifiques est que certains binômes de trous noirs sortent du lot, afin de les étudier plus en détail. Ce pourrait être des trous noirs plus massifs que les autres, ou plus proches de nous, qui vont ainsi « sortir du fond ».
Les nouveaux résultats sont aussi prometteurs pour une autre discipline intéressée par le fond d’ondes gravitationnelle : la cosmologie, c’est-à-dire l’étude de l’Univers. « Dans l’univers primordial, quelques secondes après le Big Bang, il y a eu des phénomènes qui produisent aussi des ondes gravitationnelles. Un tas de modèles cosmologiques attendent avec impatience nos résultats, car cela va permettre de contraindre et de comprendre ces phénomènes. »
Mais, il reste encore du travail : les scientifiques ne peuvent pas encore tout à fait affirmer avoir détecté le fond d’ondes gravitationnelles, même si les indices sont probants. « Il faudrait que l’on détecte un seuil de 5 sigmas, c’est-à-dire 5 fois le niveau du bruit de fond. On est actuellement à 3 ou 4 sigmas. On y est presque. En combinant toutes les données mondiales, on est quasiment sûrs de dépasser ce seuil d’ici à un an. »
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