Les cinq passagers du submersible Titan disparu depuis quatre jours près de l’épave du Titanic sont considérés comme morts, a annoncé le jeudi 22 juin l’entreprise OceanGate, organisatrice de l’expédition. Dans le même temps, les garde-côtes américains ont précisé qu’un navire sous-marin avait localisé un « champ de débris », situé par 3 800 mètres de fond.
Si les circonstances de l’accident ne sont pas encore connues, ce drame interroge sur la sécurité de telles expéditions.
Le contexte dans lequel le Titan a disparu est inquiétant. Des rapports détaillant des documents judiciaires issus d’une affaire datant de 2018 montrent qu’OceanGate a licencié un employé, David Lochridge, après qu’il a exprimé des inquiétudes quant à la sécurité du submersible.
Lochridge n’était pas d’accord avec OceanGate sur la meilleure façon de démontrer la navigabilité de l’engin, et s’est opposé à la décision d’OceanGate d’effectuer des plongées sans « essais non destructifs » préalables sur la coque du navire pour prouver son intégrité. Ces derniers visent à caractériser l’état d’intégrité des structures ou de matériaux de l’engin.
Toujours en 2018, une lettre envoyée à OceanGate par le Comité des véhicules sous-marins habités de la Marine Technology Society, signée par 38 experts, a exprimé des réserves quant à la sécurité du submersible. Ils y affirment notamment que « l’approche expérimentale adoptée par OceanGate pourrait entraîner des incidents (de mineurs à catastrophiques) qui auraient de graves conséquences pour tous les acteurs de l’industrie ».
Comme on peut le constater à la lecture de ces échanges, l’ingénierie et la réglementation des submersibles de haute mer restent un territoire quelque peu inexploré. Et comme le Titan opère dans les eaux internationales, il est techniquement libre de toute gouvernance par les réglementations d’un seul pays.
Dans ce cas, la plupart des concepteurs de submersibles choisissent de faire certifier la conception du navire par une société de classification. Il apparaît qu’OceanGate ne l’aurait pas fait pour le Titan.
La navigabilité des sous-marins dans l’océan
Lorsque l’on parle de « navigabilité » d’un navire, on se demande surtout s’il est adapté à l’usage auquel il est destiné, s’il peut être exploité en toute sécurité et s’il est conforme aux normes de protection de l’environnement.
Pour le Titan, l’aptitude à l’usage pourrait se résumer à la capacité de se lancer en toute sécurité à partir d’un vaisseau mère à la surface de l’eau, de fonctionner de manière autonome jusqu’à 4 000 m (la profondeur approximative de l’épave du Titanic) et de refaire surface pour être récupéré par le vaisseau mère après une plongée de quelques heures.
La sécurité d’exploitation signifie qu’aucun équipement n’est endommagé et qu’aucun passager n’est susceptible d’être blessé (ou pire) à bord. La protection de l’environnement signifie que le submersible n’aura pas d’impact significatif sur son environnement, par exemple en polluant ou en perturbant l’écosystème.
Toutefois, il s’agit là d’un scénario optimiste. Les submersibles de haute mer évoluent dans un environnement hostile et les choses peuvent mal tourner.
L’enjeu de la résistance à d’énormes pressions
La forme des submersibles et des sous-marins est due au fait que les sphères et les cylindres sont géométriquement plus résistants aux pressions d’écrasement.
Au lieu de fonctionner dans une atmosphère respirable de 1 bar, le Titan doit résister à une pression de 370 bars dans l’eau de mer à la profondeur du Titanic. Tout défaut dans la coque pourrait entraîner une implosion instantanée. Quel est donc le seuil en dessous duquel une géométrie « hors circulaire » devient un défaut ?
Les industries qui utilisent des navires sous-marins à des profondeurs de quelques centaines de mètres utilisent souvent des coques en acier, qui ont généralement un seuil de hors circularité inférieur à 0,5 % du diamètre du navire. Ce critère serait-il suffisamment sûr pour la coque pressurisée du Titan à 4 000 mètres ?
Le Titan est constitué d’une coque composite en fibre de carbone et en titane. Il est extrêmement compliqué de concevoir et d’évaluer structurellement ces matériaux, par rapport à un matériau métallique uniquement. On peut supposer que c’est la raison pour laquelle OceanGate a équipé le Titan d’un « système de surveillance en temps réel de l’état de la coque ».
On ne sait pas si ce système mesure réellement les contraintes à l’aide de jauges dans la coque, ou s’il s’agit (comme l’a averti Lochridge) d’une analyse acoustique qui n’alerterait les gens que sur des problèmes imminents « souvent quelques millisecondes avant une implosion ».
La sécurité de l’intégrité de la coque sous pression nécessite l’analyse de différents modes de défaillance, avant de déterminer un coefficient de sécurité pour chaque mode, en fonction de la profondeur de plongée visée.
Une fois la conception vérifiée (par les calculs), la validation en conditions réelles doit se faire en deux étapes.
Des essais non destructifs doivent être effectués sur la coque sous pression fabriquée, afin de vérifier la précision de sa géométrie et tout aspect hors-circulaire.
Ensuite, des plongées réelles (idéalement sans équipage) devraient être effectuées à des profondeurs progressivement croissantes, avec des jauges de contrainte utilisées pour mesurer les valeurs réelles par rapport aux prévisions. Nous ne savons pas si le Titan a subi de tels tests.
De la redondance et des procédures de sauvegardes
Lors de la conception de l’architecture fonctionnelle et de la sélection des équipements, le concepteur doit envisager un certain nombre de scénarios de secours :
- Que se passe-t-il si les sources d’énergie principales tombent en panne ?
- Que se passe-t-il si mon ordinateur tombe en panne et que le pilote perd le contrôle ?
- Que se passe-t-il si mon principal système de communication tombe en panne ?
- Comment le submersible peut-il signaler au vaisseau mère qu’il y a un problème ?
Ces scénarios obligent les architectes navals à garantir ce que l’on appelle une sécurité SFAIRP (so far as is reasonably practicable, ou dans la mesure du possible). Il s’agit non seulement d’atténuer les conséquences d’un accident, mais aussi d’empêcher qu’il ne se produise.
Concrètement, cela signifie qu’il faut disposer :
- D’une réserve d’oxygène (par exemple, en attendant une équipe de secours) ;
- De sources d’énergie principales fiables et de systèmes de secours ;
- D’une autre source d’énergie (hydraulique, par exemple) en cas de perte d’énergie – ce qui permettrait de libérer les câbles de sécurité pour obtenir une flottabilité positive et remonter à la surface.
Chacun de ces systèmes devrait faire l’objet d’une vérification (théorique) et d’une validation (tests) spécifiques pour l’environnement en question.
Les équipements disponibles dans le commerce peuvent être installés à bord, à condition de démontrer qu’ils sont adaptés à différents scénarios. Toutefois, la plupart des composants externes (en raison de la pression d’écrasement) et des systèmes de sécurité devraient être conçus sur mesure.
Selon les rapports, le Titan utilisait certains équipements « prêts à l’emploi », mais il est difficile de dire s’ils étaient certifiés pour l’utilisation prévue à ces profondeurs.
Des systèmes de sécurité et des moyens de se faire repérer
Dans le cas du Titan, un câble de liaison avec le vaisseau mère aurait assuré une communication bidirectionnelle instantanée et un taux d’échange de données plus élevé. Mais ces câbles peuvent s’emmêler avec des dangers potentiels sur le site d’une épave.
C’est pourquoi les câbles sont surtout utilisés pour les véhicules sans pilote ; les submersibles habités préfèrent faire confiance au pilote. Les GPS, les téléphones portables par satellite et les systèmes d’identification automatique ne peuvent pas non plus être utilisés sous l’eau. Ces outils utilisent des ondes électromagnétiques qui ne se propagent pas en profondeur (bien qu’elles puissent être utilisées en surface).
Certains sous-marins sont équipés d’une balise de détresse, l’équivalent d’une radiobalise de localisation des sinistres (RLS). Cette balise peut être déclenchée sur ordre du capitaine ou par l’intermédiaire d’un interrupteur « homme mort » ; si le pilote répond à un test à intervalles réguliers, une absence soudaine de réponse conduit le système à supposer que l’équipage n’est pas en mesure de le faire. Il s’agit d’une technique enseignée aux équipages des sous-marins militaires lorsqu’ils s’échouent au fond de la mer.
Un émetteur acoustique à haute fréquence serait encore plus efficace, car il offrirait une précision directionnelle permettant de localiser un submersible en détresse.
Un certain nombre de situations peuvent également se produire à la surface, au cas où le Titan aurait flotté jusqu’à la surface. Même s’il l’a fait (ou le fera), l’équipage et les passagers ne peuvent pas ouvrir l’écoutille boulonnée du vaisseau. Ils devront probablement continuer à faire face à l’atmosphère potentiellement polluée à l’intérieur.
La couleur blanche du Titan complique encore les choses, ce qui le rendrait plus difficile à repérer dans la mer à cause de l’écume des vagues. C’est pourquoi les objets flottants détectés depuis le ciel sont généralement de couleur orange ou jaune, ce qui leur confère une plus grande visibilité.
Quel avenir pour les submersibles en haute mer ?
L’équipage et les passagers du Titan seront peut-être sauvés. Mais si le pire se produit, l’expertise médico-légale se demandera inévitablement si le Titan a respecté les seuils de base pour démontrer sa navigabilité.
Bien que diverses sociétés de classification proposent un ensemble de règles pour les sous-marins commerciaux et les submersibles, le choix de suivre ces règles reste un processus volontaire (que l’assureur de l’engin encourage généralement).
Il est temps de reconnaître qu’aller en profondeur est aussi complexe, sinon plus, que d’aller dans l’espace – et qu’assurer la sécurité des submersibles devrait être plus qu’une question de choix.
Eric Fusil, Associate Professor, School of Electrical and Mechanical Engineering, University of Adelaide
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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