La France métropolitaine doit aussi faire face à la maladie de la dengue. Quelques dizaines de cas ont été repérés en 2022, bien plus que les contaminations habituelles. Quel sera le scénario pour 2023 ?

De l’avis de tous les spécialistes, l’année 2022 a été exceptionnelle en France métropolitaine sur le front de la circulation des arbovirus, ces virus transmis par les arthropodes se nourrissant de sang, comme les tiques ou les moustiques.

Cette année est-elle annonciatrice de ce qui nous attend à l’avenir ? Ou s’agit-il plutôt d’une anomalie pour notre pays, habituellement très peu coutumier de ces virus, plutôt considérés comme « exotiques » ?

Une année 2022 record pour la France

Retour en arrière. 2022, au milieu de l’été, un premier cas « autochtone » de transmission de dengue est rapporté dans l’Hexagone. Cet adjectif qualifie une infection détectée sur le territoire national, sans que le malade n’ait voyagé en zone contaminée auparavant. À l’inverse des cas « importés » de l’étranger, cela signifie donc que le virus circule dans le pays.

Cela n’avait alors rien de très surprenant : la dengue, maladie arbovirale la plus répandue dans le monde, qui touche chaque année de 100 à 400 millions de personnes, a déjà été responsable de cas autochtones ces dernières années en France métropolitaine. Le virus avait notamment été détecté dans les Alpes-Maritimes, le Var, les Bouches-du-Rhône, l’Hérault ou encore le Gard, totalisant une trentaine de cas depuis 2010. Pas vraiment de quoi s’inquiéter initialement, donc.

Un moustique. // Source : Canva
Un moustique. L’insecte est vecteur de la maladie. // Source : Canva

Mais voilà, 2022 ne s’est pas passée comme prévu, et les cas autochtones se sont enchaînés. Neuf épisodes de transmission autochtone de dengue ont été répertoriés, totalisant 66 cas au total, dans les régions Occitanie (12 cas), Provence-Alpes-Côte d’Azur (52 cas) et Corse (deux cas). Par ailleurs, le virus a touché de nouveaux départements dans lesquels aucun cas de dengue n’avait jamais été identifié, comme la Haute-Garonne, les Hautes-Pyrénées ou encore les Pyrénées-Orientales.

66 cas autochtones, cela peut paraître peu, mais cela représente, en une seule année, plus du double des cas répertoriés en 12 ans, depuis le premier cas de dengue autochtone identifié en France en 2010 dans les Alpes-Maritimes.

Or, la dengue est une maladie qui ne doit pas être prise à la légère.

Une maladie potentiellement grave

Si la dengue est asymptomatique dans une grande proportion des cas (dans 50 % à 90 %, en fonction des études), elle peut néanmoins se traduire, dans environ 1 % des cas, par une forme potentiellement mortelle : la dengue dite « hémorragique », qui s’accompagne de saignements multiples, notamment gastro-intestinaux, cutanés et cérébraux.

Chez les autres personnes symptomatiques, la maladie se manifeste principalement par des symptômes assez proches de ceux de la grippe : fièvre, maux de tête, douleurs musculaires… On estime que chaque année, 500 000 personnes sont hospitalisées dans le monde pour des formes graves de la maladie, qui entraînent de 10 000 à 15 000 décès. Au-delà de ce coût en vies humaines, la prise en charge de la maladie a un coût certain pour la communauté.

Limiter le nombre de cas est important, car la maladie risque de se propager à chaque piqûre de moustique.

Quels sont les moyens de lutte contre la dengue ?

Quand un moustique vecteur pique un hôte infecté, le virus se multiplie dans son organisme. Lors de la piqûre suivante, il passera dans le sang d’une autre personne, où il pourra être prélevé par un autre moustique, et ainsi de suite.

Le meilleur moyen de limiter la propagation d’un foyer d’infection est donc de lutter contre le vecteur principal de ce virus : à savoir Aedes albopictus, plus connu sous le nom de moustique tigre.

Une tâche très compliquée, car l’aire de répartition de ce moustique ne cesse de s’étendre en France ces dernières années, ce qui augmente sensiblement le nombre de départements à risque.

Chaque foyer identifié implique la mise en place d’une infrastructure assez lourde pour briser le cycle de circulation des virus dans la population humaine  : opérations de démoustication à proximité des cas détectés (afin d’éliminer les moustiques adultes ainsi que leurs larves), actions de sensibilisation auprès du public et des professionnels de santé, enquêtes de porte-à-porte menées en collaboration avec les Agences régionales de Santé (ARS), Santé publique France et des agences de démoustication (Altopictus ou l’Entente interdépartementale de démoustication).

Au 1er janvier 2023, sur 96 départements de France métropolitaine, 71 départements sont colonisés par le moustique vecteur Aedes albopictus (moustique tigre) // Source :  Ministère de la Santé et de la Prévention - Direction générale de la Santé
Au 1er janvier 2023, sur 96 départements de France métropolitaine, 71 départements sont colonisés par le moustique vecteur Aedes albopictus (moustique tigre) // Source : Ministère de la Santé et de la Prévention – Direction générale de la Santé

Quels scénarios contre la dengue pour les années à venir ?

Il est très difficile d’anticiper la circulation des arbovirus, car leur cycle de transmission est influencé par des paramètres multiples.

Difficile, donc, de savoir si 2023 et les années suivantes seront du même tonneau, ou pire, que 2022. Difficile également de prévoir quelle arbovirose, entre la dengue, le Zika, ou le chikungunya, occupera le devant de la scène. La dengue étant l’arbovirose la plus présente à la surface du globe, la probabilité est néanmoins forte d’observer de plus en plus de cas de cette maladie en métropole dans les années à venir.

Une seule chose est certaine : il est désormais clairement établi que nous devons nous attendre à une augmentation des cas de transmission arbovirale en France métropolitaine au cours des prochains étés. D’autant plus que la situation exceptionnelle observée en France l’année passée n’est pas un cas isolé au niveau mondial.

Dans les Amériques, 2,8 millions de cas de dengue ont été identifiés en 2022, ce qui représente plus du double des cas signalés en 2021. Et 2023 est déjà synonyme, pour certains pays, d’épidémie de dengue sans précédent : le Pérou est victime de la vague la plus intense depuis la réapparition de cette maladie dans le pays en 1990.

Autre indicateur inquiétant, l’Organisation mondiale de la Santé se prépare à la probabilité que le phénomène El Niño, prévu pour les années 2023 et 2024, puisse accroître la transmission non seulement de la dengue, mais aussi des autres arbovirus.

Enfin, le changement climatique va aussi impacter la prolifération des moustiques vecteurs de ces maladies, en allongeant la période d’activité des moustiques, dont le pic s’étend pour l’instant de mai à septembre. Par ailleurs des températures élevées favorisent la multiplication des virus dans les moustiques et donc leur transmission.

Des réseaux de surveillance à la limite de leurs capacités

Bien que constituant un record absolu, le nombre de cas de dengue recensés en 2022 reste donc probablement très limité par rapport à ce que nous devons nous attendre dans les années à venir. Par ailleurs, la France va accueillir des évènements sportifs majeurs ces prochaines années, dont les Jeux Olympiques en 2024, ce qui pourrait contribuer à renforcer la dynamique de circulation des arbovirus…

Face à l’émergence de ces maladies arbovirale, la France, a mis en place des réseaux actifs de surveillance. Ils regroupent des experts aux différentes compétences (vétérinaires, cliniciens, entomologistes, chercheurs) qui participent tous à mieux comprendre ces virus.

L’explosion des cas de l’an passé les a cependant localement mis à rude épreuve, tout comme les réseaux de démoustication, qui fonctionnent à la limite de leur capacité. Cette situation met en lumière la nécessité d’investir davantage dans ces domaines. C’est dès aujourd’hui que nous devons nous préparer afin d’être en mesure de contrôler au mieux les épidémies à venir. En ce sens, 2022 est un avertissement que nous devons tous prendre au sérieux…

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Yannick Simonin, Virologiste spécialiste en surveillance et étude des maladies virales émergentes. Professeur des Universités, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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