Il restait aux scientifiques à décoder le plus petit de tous les chromosomes humains : Y. Un consortium a enfin résolu les problèmes qui empêchaient d’y arriver. Un biologiste raconte cette incroyable aventure scientifique dans The Conversation.

Il y a plus de vingt ans, le génome humain était séquencé (autrement dit, « lu ») pour la première fois. Le « texte » de cette version initiale comportait de multiples « trous », car de nombreuses séquences d’ADN étaient manquantes, faute d’avoir pu être déchiffrées correctement. Au fil des années, la qualité du décodage a été progressivement améliorée, chaque nouvelle itération du séquençage permettant de remplir certains des trous qui empêchaient la lecture complète de notre matériel génétique.

La difficulté fondamentale à laquelle sont confrontés les chercheurs qui tentent de lire le génome humain dans son intégralité est liée à l’énorme quantité de séquences répétées présentes en son sein. En effet, les quelque 20000 gènes humains constituent à peine 2 % de l’ensemble de notre génome. Les 98 % restants sont essentiellement constitués de diverses familles de séquences répétées, d’éléments mobiles appelés « transposons » et « rétrotransposons » ainsi que – dans une moindre mesure – de séquences d’une grande importance fonctionnelle, qui régulent l’expression génétique en fonctionnant comme des interrupteurs déterminant où et quand les gènes doivent être activés et désactivés.

En mars 2022, une révision majeure du génome humain a été publiée dans la revue scientifique Science. Pour obtenir cette nouvelle version, le consortium international de chercheurs « T2T » (telomere-to-telomere, les télomères étant les extrémités des chromosomes) avait utilisé une stratégie inédite, basée sur l’utilisation d’un type de cellule (CHM13) qui ne conserve qu’une seule copie de chaque chromosome.

En combinant cette approche aux dernières techniques de séquençage d’ADN, ces scientifiques avaient réussi à ajouter quelque 200 millions de bases (les « lettres » du texte génétique) à la séquence existante, comblant ainsi la plupart des lacunes qui persistaient sur les chromosomes 1 à 22.

Le dernier chromosome qui restait à décoder était aussi le plus petit de tous les chromosomes humains : le chromosome Y. Porteur d’une séquence spécifique impliquée dans la différenciation sexuelle des mâles, c’est aussi le plus complexe de nos chromosomes, car il contient de nombreuses séquences répétitives de types variés.

Combien avons-nous de chromosomes ?

Petit rappel, chacun de nous possède 46 chromosomes dans ses cellules, disposés en 23 paires : 22 paires de chromosomes « autosomiques » (1 à 22) et une paire de chromosomes sexuels (qui peuvent être X ou Y).

Chacune de nos paires de chromosomes est constituée d’un chromosome hérité de notre père et d’un chromosome hérité de notre mère. La plupart des femmes ont une configuration chromosomique 46XX, ce qui signifie que la dernière paire de chromosomes, la 23e, est constituée de deux copies du chromosome X. La plupart des hommes ont une configuration chromosomique 46XY, ce qui signifie que la paire de chromosomes sexuels est constituée d’un chromosome X et d’un chromosome Y.

Étant donné qu’il n’est présent que chez les hommes, le chromosome Y ne peut pas contenir de gènes essentiels aux deux sexes. Comme mentionné précédemment, il contient en revanche les gènes responsables du développement des organes sexuels masculins, et en particulier le gène maître SRY.

Celui-ci déclenche une cascade d’événements qui finissent par transformer une gonade initiale indifférenciée en testicules, où sont produits les spermatozoïdes. En l’absence du gène SRY (comme chez les femelles 46XX), cette gonade primordiale finit par se transformer en ovaires, où sont produits les ovules.

ADN. // Source : Canva
ADN. // Source : Canva

Le mystère du chromosome Y enfin compris

Le consortium T2T vient de résoudre les problèmes techniques qui empêchaient de décoder la séquence du chromosome Y. Publiés fin août 2023 dans la revue Nature, les résultats de ces travaux ont permis d’ajouter 30 millions de lettres au génome humain connu – lequel compterait désormais 3,23 milliards de lettres. Ils ont aussi permis de découvrir 40 gènes codant pour des protéines, jusqu’ici inconnus. Le nouveau génome de référence s’appelle T2T-CHM13+Y et a été mis à la disposition de l’ensemble de la communauté des chercheurs par les auteurs de l’étude.

En plus de la séquence complète du chromosome Y, Nature a publié une seconde étude portant sur les séquences de 43 chromosomes Y d’êtres humains qui ont vécu lors des 183 000 dernières années. Leur analyse révèle qu’au fil de l’évolution, la taille et la structure du chromosome Y ont beaucoup varié. Les chercheurs ont notamment détecté de grandes inversions de séquences (des fragments d’ADN retournés et insérés à l’envers).

Le fait que nous en apprenions davantage sur le chromosome Y constitue une excellente nouvelle. Pour ne citer qu’un seul exemple, rappelons cette autre avancée scientifique survenue il y a environ un an, qui établissait une corrélation entre la perte (fréquente) du chromosome Y dans de nombreuses cellules et l’espérance de vie plus courte des hommes par rapport à celle des femmes. Il est clair que nos gènes recèlent encore bien d’autres précieuses informations.

L’incroyable variété génétique parmi les humains

Ces deux nouvelles études améliorent considérablement notre connaissance du génome humain. Ces contributions font suite à l’initiative pangénome, qui vise à rendre compte de la variabilité génétique qui existe entre les êtres humains. En effet, bien que nous ayons en commun une grande partie de notre génome, on constate une variabilité d’environ 0,1 % d’un individu à l’autre. Cela signifie qu’il existe plus de 3 millions de paires de bases différentes entre deux personnes.

L’initiative pangénome permettra de passer d’une seule séquence génomique de référence (actuellement) à plusieurs centaines. Celles-ci illustreront de manière plus fiable nos similitudes et nos différences génétiques. Cela devrait permettre, entre autres, de détecter plus facilement les mutations associées aux milliers de maladies héréditaires recensées jusqu’à présent.

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Lluís Montoliu, Investigador científico del CSIC, Centro Nacional de Biotecnología (CNB – CSIC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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