En attendant un accord international contraignant les États à réduire réellement leur impact environnemental, les villes pourraient bien avoir un rôle crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique. 

C’est un fait : nous ne sommes (définitivement) plus des chasseurs-cueilleurs. Plus de la moitié de l’humanité vit aujourd’hui en ville. 4,4 milliards d’habitants, soit 56 % de la population mondiale, vit désormais dans un centre urbain d’après les données de la Banque Mondiale. Et la tendance n’est pas près de s’inverser : d’ici 2050, on estime que le nombre de citadins va doubler : sept personnes sur dix vivront en ville d’ici à la moitié du XXIe siècle. Et si l’on zoome sur la France, la différence se fait plus sentir encore : huit personnes sur dix vivent en ville, selon l’INSEE

Problème, ce sont ces mêmes villes qui rejettent le plus de CO2 dans l’air. « Par sa forme, son organisation, son fonctionnement, la ville actuelle, qui consomme, pour ses besoins, plus de 75 % des énergies fossiles, est la principale source d’émission de gaz à effet de serre (GES) », rappelait l’architecte urbaniste Albert Lévy dans une tribune publiée chez nos confrères du journal Le Monde.

Si les villes sont les premières émettrices de CO2, elles sont aussi les premières à pouvoir réduire leur impact climatique. Voilà plus d’une quinzaine d’années que Rob Hopkins, co-fondateur de Transition Network, un réseau de villes dites en transition, lancé en 2006 de sa petite ville de Totnes en Angleterre en est convaincu. Par « transition », ces villes entendent assurer leur capacité et leur autonomie à encaisser les crises économiques et écologiques face au double défi que représentent le pic pétrolier et le dérèglement climatique. 

Construction de bâtiments avec des matériaux locaux et bio-sourcés, abandon du béton, désartificialisation des sols, disparition des voitures, large place accordée aux vélos, généralisation massive des transports en commun : autant de pistes développées par ces villes et encouragées par Rob Hopkins. 

À l’occasion d’une conférence organisée au So Good Festival le 15 septembre dernier, à Marseille, nous l’avons interrogé sur le rôle des villes dans la lutte contre le changement climatique, leur adaptation au climat de demain et l’importance de l’imagination dans la bataille climatique. 

Rob Hopkins. // Source : Heinrich-Böll-Stiftung / Wikimédias
Rob Hopkins. // Source : Heinrich-Böll-Stiftung / Wikimédias

Soutenir les initiatives locales

« J’ai abandonné l’idée que le changement viendrait du niveau international ou national. Les villes, le local : c’est de là que le changement peut venir », nous répond cet ex-enseignant en permaculture, auteur du Manuel de Transition ou plus récemment de Et si… on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ?.

Ce qui doit nous occuper en premier lieu, selon lui, c’est l’action immédiate. « Je ne suis pas intéressé par des villes utopiques de science-fiction qui verront le jour dans trois siècles, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on peut faire pour construire des villes et un monde meilleurs d’ici à 2030 », avance-t-il.

Et pour éviter de succomber à l’éco-anxiété, quoi de mieux que de s’inspirer des initiatives locales déjà existantes ? « Les villes qui montrent la voie existent ! On doit s’en rapprocher et les soutenir partout où elles naissent », rappelle-t-il. Quelques exemples :

  • La ville de Liège en Belgique a développé une ceinture maraîchère autour de son centre urbain afin de réduire les trajets de livraison et fournir à ses établissements publics ses propres fruits et légumes.
  • Mouans-Sartoux, petite ville de 10 000 habitants, située entre Cannes et Grasse (Alpes-Maritimes) est devenue en 30 ans quasiment entièrement autonome en alimentation mais aussi reconnue pour sa gestion de l’eau efficace et économe, son autoproduction d’électricité ou sa gestion des déchets.
  • Ungersheim, petite ville d’Alsace — où Numerama s’était d’ailleurs rendu dans le cadre de notre documentaire Fournaise, à la recherche d’une ville vivable — a su rénover énergétiquement ses bâtiments et développer, elle aussi, son autonomie alimentaire. 
À Ungersheim, les anciennes mines de potasse ont laissé place à des bâtiments d'entreprise équipées de panneaux solaires // Source : Fournaise / Numerama
À Ungersheim, les anciennes mines de potasse ont laissé place à des bâtiments d’entreprise équipées de panneaux solaires // Source : Fournaise / Numerama

« On a lancé le mouvement des villes en transition en 2006. Depuis, l’Humanité a relâché plus de CO2 que jamais dans son histoire. De ce point de vue là, on a échoué. Reste que ces villes sont en résistance, elles montrent la voie pour prouver que des alternatives existent », insiste Rob Hopkins.

Ces villes demeurent l’exception parmi les métropoles du monde entier, dont l’immense majorité demeurent bien trop dépendantes des énergies fossiles. Ajoutez à cela la multiplication des épisodes climatiques extrêmes, le non-respect de l’Accord de Paris par les États signataires, l’absence d’inflexion dans la courbe des émissions de CO2 et le lancement de chantiers catastrophiques pour le climat : comment ne pas succomber aux tentations collapsologues ? 

Faire place à l’imagination

« L’apocalypse est peut-être plus facile à vendre que la possibilité d’un futur désirable mais imaginer changer le monde en promettant l’effondrement et l’extinction est voué à l’échec », avance Rob Hopkins qui propose des « voyages dans le temps pour une nostalgie du futur ». À tous ceux qui seraient tentés de pousser à un effondrement pour hâter le changement, ce chercheur iconoclaste oppose un « optimisme ambitieux ».

Pour Rob Hopkins, si l’on veut remporter la « bataille pour nos vies », d’après les mots d’Antonio Guterres, secrétaire générale des Nations Unies, il faut œuvrer à penser un « futur désirable ». « L’idée est aussi d’inventer un récit : celui d’une aventure formidable, ambitieuse. La dernière chose à faire, c’est d’être pragmatique », nous confie le chercheur. C’est pourquoi il pousse pour que les villes « fassent de la place à l’imagination ». 

Il cite l’exemple de la municipalité de Bologne, en Italie, qui a ouvert un bureau civique de l’imagination, visant à donner la parole à des citoyens pour imaginer des projets pour la ville ou encore celui de Camden, municipalité collé à Londres qui a imaginé un bureau similaire.

Et Rob Hopkins de conclure : « ce qu’on ne peut imaginer ne peut exister, alors imaginons ! »

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