Nous vivons une période extraordinaire pour l’exploration du Système solaire. Dans les deux prochaines décennies, des échantillons d’astéroïdes, de la Lune, de Mars, et peut-être de comètes vont être ramenés par des missions spatiales dédiées.
Ce dimanche 24 septembre, c’est la mission OSIRIS-REx qui revient sur Terre avec des échantillons récoltés sur l’astéroïde Bennu le 20 octobre 2020, après deux ans d’observation à distance, par une délicate manœuvre d’approche « touch-and-go ». L’analyse des roches et poussières échantillonnées sur un astéroïde — qui n’a pas évolué depuis 4,567 milliards d’années — doit permettre de mieux comprendre d’où vient la matière qui a formé le Système solaire et comment elle a évolué dans les premiers millions d’années de l’univers.
Dans les prochaines semaines, les scientifiques vont se répartir ce précieux butin et commencer son analyse grâce à différentes techniques pour tenter d’en extraire des informations sur la nature et l’origine de la matière primitive dans le Système solaire. En particulier, l’astéroïde Bennu échantillonné par la mission OSIRIS-REx semble être riche en éléments volatils (hydrogène, carbone, azote, gaz nobles) — un type de matière qui a pu être à l’origine de l’atmosphère et des océans terrestres, berceau de la vie sur Terre.
De leur côté, les ingénieurs pourront déterminer comment améliorer la collecte d’échantillons par cette méthode d’effleurement.
Des missions ont déjà ramené sur Terre des échantillons de la Lune (Apollo) et d’astéroïdes (Hayabusa, Hayabusa 2). Des missions en cours et futures ont pour but de prélever des échantillons sur d’autres planètes, comme Mars Sample Return par exemple, et nous dire si la vie y a existé.
Des échantillons récupérés dès l’âge d’or de l’exploration lunaire
Dans les années 70, environ 380 kg de roches et sols lunaires ont été ramenés sur Terre grâce aux missions Apollo de la NASA et dans une moindre mesure aux missions soviétiques Luna. Des centaines de laboratoires ont analysé la composition des premiers échantillons ramenés d’une autre planète. Ces recherches ont permis de comprendre comment non seulement la Lune, mais également les autres planètes se sont formées et ont évolué.
La composition du Soleil a été précisée par l’analyse des ions solaires implantés dans les sols lunaires, et la nature et le flux de matière externe sur les surfaces planétaires a été quantifié. Ces investigations ont nécessité le développement de nouvelles méthodes analytiques, qui se sont améliorées au fil du temps, et dont la limite est maintenant l’échelle atomique.
Ces missions lunaires étaient avant tout dictées par des enjeux stratégiques et cette période miraculeuse pour la cosmochimie fut malheureusement suivie par un désintérêt pour ce type de mission pendant les trois décennies suivantes, la Lune n’ayant plus d’intérêt géostratégique.
Les météorites comme seuls espions
Historiquement, les seuls échantillons extraterrestres disponibles étaient les météorites. Celles-ci proviennent de petits corps célestes : les astéroïdes (ainsi que de la surface de la Lune et de Mars, mais on devait l’apprendre plus tard). Ces échantillons météoritiques de grand intérêt étaient cependant souvent dégradés par des chocs ayant provoqué leur éjection de leurs corps parents et par leur interaction avec l’environnement terrestre.
Alors, dans les années 2000, les missions de retour d’échantillon ont refait surface sous l’impulsion de géochimistes américains. La mission NASA Genesis a échantillonné la matière solaire éjectée par notre étoile, dont l’analyse a permis de résoudre deux grands problèmes de cosmochimie : les compositions isotopiques de l’oxygène et de l’azote, dont les variations importantes et non comprises étaient utilisées comme indicateurs de filiation entre différents corps planétaires.
La mission NASA Stardust a permis d’échantillonner quelques grains cométaires lors du passage du vaisseau spatial dans la queue de la comète Wild2. Ces grains, fortement dégradés lors du prélèvement à haute vitesse, ont cependant permis de montrer le brassage de la matière dans le disque entourant notre étoile, depuis ses régions les plus centrales jusqu’au Système solaire externe réservoir des comètes. Ces résultats ont permis de mieux comprendre comment des systèmes stellaires — étoile centrale et disque planétaire — se forment et évoluent durant les premiers millions d’années.
Les missions Hayabusa et Hayabusa 2 ont mis le cap sur les astéroïdes
La mission Hayabusa (« faucon » en japonais) a ramené en 2010 quelques milligrammes de grains échantillonnés sur l’astéroïde Itokawa. Plusieurs problèmes techniques qui ont failli faire échouer ce retour ont pu être surmontés grâce à l’ingéniosité des ingénieurs japonais et à des miracles technologiques. Cette mission a établi un lien entre cet astéroïde et une classe bien définie de météorites.
Hayabusa 2, revenue sur Terre le 5 décembre 2020 à Woomera en Australie, avait pour but d’échantillonner un astéroïde d’un autre type, appelé Ryugu, qui était supposé riche en matière organique et en minéraux ayant interagi avec de l’eau liquide.
Hayabusa 2 a décollé en 2014 et atteint sa cible en 2018. Le robot a échantillonné des grains et de la poussière à deux endroits. Le second échantillonnage fut particulièrement acrobatique puisqu’il consista à envoyer d’abord une charge explosive, le vaisseau spatial l’ayant largué s’étant réfugié derrière l’astéroïde, puis à prélever du matériel frais au centre du cratère formé. L’échantillonnage a été envoyé au centre de la JAXA à Tokyo, où les scientifiques ont eu l’excellente surprise de découvrir 5,4 grammes de grains et de poussière noire, 50 fois plus que la quantité nominale attendue.
Les techniques analytiques modernes ont permis à des dizaines de laboratoires d’analyser pratiquement au niveau atomique ces grains de Ryugu, tout en conservant la moitié pour les générations futures — une stratégie similaire à celle utilisée pour les échantillons lunaires, dont une partie avait également été conservée pour des analyses ultérieures, avec des techniques plus raffinées, qui ont permis d’accroître de plusieurs ordres de grandeur la qualité des analyses des échantillons lunaires faites dans les années 70.
Les analyses ont montré que les échantillons de Ryugu sont exceptionnellement riches en éléments volatils. Ils permettent d’explorer les éventuelles filiations entre cette matière primitive et les éléments volatils des planètes.
Ce qui change avec OSIRIS-REx
De son côté, la mission OSIRIS-REx va ramener de l’ordre de 200 grammes de matière de l’astéroïde Bennu, permettant d’étudier sa diversité avant son homogénéisation, lors des processus de croissance des planètes. L’abondance de l’échantillonnage permettra aussi d’effectuer des analyses nécessitant des quantités plus importantes que celles ramenées par Hayabusa 2, concernant notamment la matière organique primordiale, la chiralité, la présence éventuelle d’acides aminés.
Deux équipes, japonaise et américaine, collaborent activement dans ces deux missions. La mission OSIRIS-REx d’un coût de 650 millions d’euros a été lancée en 2016 et a atteint son but deux ans plus tard. Le vaisseau spatial a patiemment cartographié l’astéroïde pendant deux ans.
L’échantillonnage a eu lieu le 20 octobre 2020. Le processus a été tellement efficace que le couvercle de l’échantillonneur ne pouvait pas se refermer, ce qui a contraint l’équipe à stocker les échantillons rapidement dans la capsule de retour.
Le retour sur terre prévu le 24 septembre 2023 permettra à de nombreuses équipes internationales, dont la nôtre, d’explorer en détail l’origine de la matière primitive dans le système solaire et celle de l’atmosphère et des océans.
Quelles sont les futures missions de retour d’échantillons extraterrestres ?
Contrairement aux autres agences spatiales internationales, l’agence spatiale européenne (ESA) n’a pas développé de mission spécifique de retour d’échantillon, malgré le dynamisme de la communauté cosmochimique européenne, préférant se concentrer sur l’envoi de télescopes spatiaux pour observer des exoplanètes, et privilégiant des missions d’observation in situ, comme la mission Rosetta qui a analysé avec succès la composition de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko.
Cependant, l’ESA s’est associée avec la NASA pour ramener des échantillons de Mars en 2031-2033, pour un coût total qui dépassera les 7 milliards d’euros. Il s’agit d’un ensemble complexe de missions successives, dont l’échec de l’une d’entre elles compromettra le retour de matière martienne. Ce projet s’inscrit bien sûr dans la perspective de l’envoi sur Mars d’humains : avant de ramener des personnes, il faut d’abord caractériser au mieux l’environnement martien, et, prosaïquement, être capable de ramener quelque chose de la planète rouge ! Un rover est en route pour échantillonner des dépôts lacustres fossiles, avec entre autres l’espoir de trouver des traces de vie passée, voire actuelle. Cette recherche d’activité biologique a d’ailleurs un revers pour les géochimistes : les échantillons devront être traités dans une salle biologique de type P4, jusqu’à ce qu’ils soient déclarés biologiquement inertes par stérilisation. En effet, ces contraintes de confinement ne permettront pas la finesse analytique prévue étant donné la complexité et la taille des équipements nécessaires.
La fête ne s’arrêtera pas là : la mission MMX de la JAXA qui décollera en 2024 va échantillonner une des deux lunes de Mars avec un retour dans les laboratoires terrestres en 2029.
L’agence spatiale chinoise CNSA a aussi de grandes ambitions dans ce domaine, projetant d’échantillonner la Lune — ce qu’elle a déjà commencé à faire avec la mission Chang’e-5 qui a ramené des basaltes les plus jeunes de notre satellite le 16 décembre 2020. Mais la Chine souhaite aussi ramener sur Terre des échantillons de l’astéroïde Kamo’oalewa vers 2032 (mission Zheng He) et de Mars à l’horizon 2040 ou avant.
Plusieurs projets américains visent à analyser de la matière cométaire ramenée sur Terre, bien qu’aucune mission ne soit sélectionnée pour l’instant. Outre leur intérêt scientifique, ce type de missions a également comme conséquence d’accroître la connaissance technologique du domaine spatial, et de dynamiser la technologie analytique, dont l’Europe est un des leaders.
Bernard Marty, professeur de géochimie, université de Lorraine et Shogo Tachibana, professeur de cosmochimie, université de Tokyo
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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