Ils ont interrompu, temporairement, leur grève de la faim et de la soif, entamée il y a plusieurs semaines. L’objectif de ces trois militants, dont Thomas Brail — le fondateur du Groupe national de surveillance des arbres –, était de pousser l’État et la Région Occitanie à mettre fin aux travaux de construction de l’autoroute A69, reliant Toulouse et Castres d’ici à 2025. L’abattage des arbres, contre lequel ils protestent notamment, a été suspendu le 10 octobre dans l’attente d’une nouvelle réunion, vendredi 13 octobre, rassemblant le préfet d’Occitanie, le préfet du Tarn, les élus du territoire et les représentants d’associations.
Atosca, concessionnaire de ce projet autoroute, l’assure régulièrement : ce projet serait exemplaire en termes de transition écologique et d’empreinte écologique, tout en apportant un gain de temps de 35 minutes et en redynamisant l’attractivité du Tarn. Pourtant, la mobilisation contre cette autoroute n’a jamais faibli et de nombreux scientifiques reconnus ont rejoint le mouvement. Qu’est-ce qui cloche avec l’A69 dans le contexte de crise climatique ?
Un projet d’autoroute « anachronique »
Les rapports et déclarations en provenance d’autorités scientifiques se sont accumulées, ces derniers mois, en la défaveur du projet. En septembre 2022, le Conseil national de protection de la nature (CNPN) rendait son avis. « Ce dossier s’inscrit en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif du zéro artificialisation nette et du zéro perte nette de biodiversité, ainsi qu’en matière de pouvoir d’achat », conclut le CNPN, qui émet in fine un avis défavorable.
Il en va de même de l’Autorité Environnementale (AE), particulièrement dubitative dans un nouvel avis rendu en 2022. « De façon générale, ce projet routier, initié il y a plusieurs décennies, apparaît anachronique au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et de la pollution de l’air, d’arrêt de l’érosion de la biodiversité et de l’artificialisation du territoire et d’évolution des pratiques de mobilité et leurs liens avec l’aménagement des territoires », indique la synthèse des délibérés. De même, la qualification d’« utilité publique » utilisée par l’État et le concessionnaire est remise en question : « La justification de raisons impératives d’intérêt public majeur du projet au regard de ses incidences sur les milieux naturels apparaît limitée. »
L’autorité relève des « lacunes » dans l’étude d’impact, tant sur le plan environnemental que socio-économique : « L’analyse socio-économique, dont seul un résumé est présenté, ne semble pas avoir été actualisée : elle repose sur des données de trafic et des hypothèses d’émissions de polluants désormais obsolètes. »
De nombreux enjeux écologiques
Selon l’Autorité Environnementale, le projet d’autoroute A69 met en avant un certain nombre d’enjeux écologiques :
- La fragmentation du territoire découlant tantôt de la création d’une nouvelle infrastructure s’ajoutant au réseau existant, tantôt de l’augmentation de la largeur de l’infrastructure routière, et ses impacts,
- La forte consommation de sols naturels et agricoles,
- L’impact sur la biodiversité et la rupture des continuités écologiques,
- Les altérations du paysage et des aménités des territoires traversés,
- La pollution de l’air et les risques sanitaires induits à proximité et dans les agglomérations reliées,
- La préservation des zones humides,
- L’augmentation des consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre, dans un contexte de sobriété et face à l’urgence de réussir la transition énergétique.
La commission d’enquête publique environnementale — chargée de se prononcer sur le « comment faire » et non sur l’opportunité ou non de le faire — a rendu un avis favorable avec réserves. Les « inconvénients » cités dans son rapport sont notamment environnementaux. « Le projet, qui favorise les déplacements en voiture et camions et consomme beaucoup de terres agricoles et naturelles ne va pas dans le sens de la règlementation en vigueur et ne concourt pas au respect de nos engagements internationaux en matière environnementale. » Elle ajoute, parmi les inconvénients, « des conséquences lourdes et définitives incompensables : importante perte de terres agricoles et naturelles (343 ha), impact paysager et sonore, coupure du territoire notamment. »
Dans un contexte plus large, la question de la construction de nouvelles routes est peu à peu devenue le sujet d’études scientifiques ces dernières années. En 2020, un rapport produit au Royaume-Uni par le Transport for Quality of Life en arrivant à une conclusion : il faut arrêter de construire de nouvelles routes. Ce rapport estimait alors qu’un nouveau programme de construction routière en Angleterre ajouterait 20 millions de tonnes de CO2 en plus dans l’atmosphère, en raison de 3 facteurs : la construction elle-même ; l’accroissement de la vitesse sur les routes de grandes distances, qui accroît alors les émissions ; le trafic routier supplémentaire.
Les scientifiques se mobilisent
Le débat autour de l’autoroute A69 a pris une dimension toute particulière, ces derniers mois, car nombre de scientifiques reconnus se sont engagés aux côtés des militants et des militantes déjà sur place. Le 4 octobre 2023, pas moins de 1 500 scientifiques ont publié une lettre ouverte, dans L’Obs : « Pour nous, scientifiques, l’autoroute A69 est un de ces projets auxquels il faut renoncer », titre la tribune. Parmi les signataires, des membres du GIEC, l’instance internationale qui produit tous les 5 ans un rapport faisant loi sur l’état du changement climatique et ses causes.
« Ce projet maintient la France sur une trajectoire incompatible avec la transition écologique telle qu’inscrite dans la loi », écrivent les auteurs et les autrices. « Nous admettons qu’en dépit des impacts environnementaux que toute nouvelle infrastructure peut avoir, certains projets restent nécessaires. Mais pas celui-ci. Ni l’intensité du trafic, ni les gains de temps envisagés sur le trajet Toulouse-Castres ne justifient la construction d’une autoroute. »
Michel Forst, rapporteur des Nations unies sur la défense de l’environnement, a également apporté son soutien aux militants mobilisés contre ce projet.
Planter des arbres ne compensera pas
Parmi les problèmes écologiques de ce projet, il y a l’abattage massif des arbres tout au long de l’autoroute A69 — à une époque où la préservation des écosystèmes est un pourtant sujet. C’est l’une des principales motivations de Thomas Brail pour s’opposer au projet, lui qui est le fondateur du GNSA, le groupe national de surveillance des arbres. « Il y aura cinq fois plus d’arbres replantés qu’abattus », y répondait le ministre des Transports, Clément Beaune.
Cette réponse n’a pas manqué de faire réagir, car elle n’est que faiblement ancrée dans la réalité écologique : la stratégie de planter des plantes en guise de compensation — notamment des émissions carbone — est souvent considérée comme du greenwashing, voire une approche contre-productive puisqu’elle est souvent réalisée en tenant peu compte du fonctionnement des écosystèmes. Remplacer un arbre centenaire par plusieurs arbres plus jeunes et plus petits ne fonctionne pas si bien, notamment car ils n’ont pas les mêmes capacités de résistance ni d’absorption carbone. Les fameuses plantations d’arbres ont été, en 2022, un véritable échec en France, selon le Département de la santé des forêts. En cause, le stress hydrique, le parallèle du stress thermique, lié au manque d’eau.
Côté biodiversité, les « vieux » arbres abritent par ailleurs des espèces animaux qui ne peuvent pas habiter, ou en nombre déduit, dans de tout jeunes arbres. La réduction des habitats fait partie des causes de la sixième extinction de masse.
« Les projets d’ouvrages et d’infrastructures de transport, comme dans le cas de l’A69, ont des effets directs sur les forêts à travers les coupes d’arbres qu’ils entraînent. Plutôt que d’être dans une logique de réduire encore plus la place du vivant, le gouvernement devrait être dans une logique de la restaurer », estime Sylvain Angerand, coordinateur de l’association Canopée.
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