Les tsunamis font partie des catastrophes naturelles les plus meurtrières. Ils sont le plus souvent déclenchés par des tremblements de terre sous-marins, comme le tristement célèbre tsunami de Sumatra de 2004, qui a causé la mort de 200 000 personnes.
Plus rares, moins connus, mais aussi dangereux sont les tsunamis générés par des glissements de terrain, c’est-à-dire lorsqu’une partie du plancher océanique s’effondre et s’écoule sur les pentes en générant une vague de grande amplitude. Comme les grands tremblements de terre peuvent eux-mêmes générer des glissements de terrain, ces deux types de sources peuvent se combiner pour créer un tsunami encore plus dévastateur, comme le montrent les analyses faites par les chercheurs après le tsunami de Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1998.
Comment réagir face aux tsunamis ? Deux possibilités : la prévention et l’alerte précoce, sachant que la prédiction du moment et de l’endroit précis d’occurrence d’un séisme ou d’un glissement de terrain est actuellement hors de portée. La prévention consiste notamment à éviter les constructions dans les régions à risque et à sensibiliser les populations aux réflexes à adopter dans l’urgence : comment se mettre à l’abri, l’utilité de contacter les proches, etc.
L’alerte précoce consiste à repérer l’arrivée d’un tsunami avec suffisamment d’avance pour d’abord analyser les signaux et en extraire les caractéristiques de la catastrophe en cours (par exemple l’intensité du phénomène initial et donc la dangerosité des vagues qui arriveront ensuite) ; puis pour alerter et évacuer la population. Cette alerte sera d’autant plus efficace que des études en amont auront été réalisées pour établir une série de cartes de risques à partir de présimulations de scénarios possibles.
Quels outils et méthodes scientifiques permettent de mettre en place les systèmes d’alerte ?
Des systèmes d’alerte « précoces » existent
Les systèmes d’alerte précoce actuels utilisent les premières arrivées des ondes sismiques qui permettent d’évaluer rapidement (en moins de 20 minutes) le type de séisme et ainsi d’en déduire sa capacité à générer un tsunami. En effet, si le séisme induit un fort mouvement vertical de la colonne d’eau, celui-ci sera fortement « tsunamigène ».
Mais une difficulté importante apparaît lorsqu’on analyse les ondes sismiques : l’information transportée par l’onde sur sa source (séisme ou tremblement de terre) est « polluée » par sa distorsion liée à sa propagation dans le milieu inconnu et hétérogène qu’est la terre solide. Ceci induit des incertitudes quant au moment et aux amplitudes du séisme et du potentiel tsunami. De plus, si des études récentes ont aussi montré que les ondes sismiques permettent de retrouver le type de glissement de terrain ayant eu lieu et de les détecter de manière automatique, ces avancées sont hélas pour l’instant sous-exploitées pour la détection de glissements de terrain sous-marins.
Un système d’alerte précoce basé sur les ondes sismiques a été utilisé par exemple pendant le tsunami de Tohoku-Oki en 2011, mais il a malheureusement mal évalué la magnitude du séisme.
C’est pourquoi nous pensons qu’une approche complémentaire pour rendre les alertes précoces plus fiables est d’utiliser les ondes hydroacoustiques, également générées par un séisme ou un glissement sous-marin. Ces ondes se propagent dans l’océan, un milieu moins hétérogène et mieux connu que la structure interne de la Terre.
Les ondes hydroacoustiques en complément des ondes sismiques : moins rapides, mais plus simples à analyser
Un glissement de terrain sous-marin ou un séisme sous-marin est la source de plusieurs types d’ondes : des vagues, mais également des ondes sismiques et des ondes hydroacoustiques.
Pour fixer les idées, en océan profond, la vague générée par un séisme se propagera à environ 300 kilomètres par heure (pour un océan d’une profondeur d’un kilomètre) alors que les ondes hydroacoustiques se propagent à environ 5400 kilomètres par heure dans l’eau. Les ondes sismiques se propagent encore plus vite, à environ 14 000 kilomètres par heure pour les ondes dites « de Love ».
La présence de ces différentes ondes est confirmée par les mesures effectuées par des jauges de pression sous-marines. Sur les enregistrements de la pression sous-marine à deux jauges de pression différentes notées PG1 et PG2, on voit que la pression évolue au passage de différentes ondes : les ondes sismiques, les plus rapides, puis les ondes hydroacoustiques, et enfin le tsunami.
Les ondes sismiques étant les plus rapides, elles sont utilisées dans les systèmes actuels d’alerte précoce. Cependant, leur analyse peut être très complexe. Les ondes sismiques se propagent à travers tout le globe terrestre, traversant différentes couches aux propriétés très variables, et interagissant avec d’autres ondes sismiques émises à n’importe quel endroit du globe. Cela complique la phase dite « d’inversion » qui permet de remonter à la source de l’onde émise, et d’estimer l’amplitude prévue pour le tsunami.
A contrario, les ondes hydroacoustiques ne se propagent que dans l’eau, un milieu relativement homogène. Par exemple, même si la vitesse de propagation du son dans l’eau peut varier à cause des variations de température et de salinité, ces variations sont de l’ordre de quelques pour cent (en comparaison, la vitesse des différentes ondes sismiques est beaucoup plus variable et peut passer de 14 000 kilomètres par heure à 21 000 kilomètres par heure en fonction de la profondeur). On estime donc que les ondes hydroacoustiques sont moins déformées au cours de leur trajet, ce qui simplifierait l’analyse.
Modéliser les ondes acoustiques dans l’eau pour estimer leur potentiel comme signe précurseur de tsunamis
Pourquoi des tremblements de terre ou des glissements de terrain sous-marins génèrent-ils des ondes acoustiques qui se propagent dans l’eau ? L’eau est compressible : lorsqu’on la comprime, son volume diminue. Lors d’un tremblement de terre, la colonne d’eau située au-dessus de la faille est déplacée et comprimée. Le déplacement vertical va générer un tsunami, et la compression va créer des ondes acoustiques. Cependant la compressibilité de l’eau est très faible (l’air est environ 20 000 fois plus compressible que l’eau). Dans les modèles standards de propagation de tsunamis, l’eau est donc supposée incompressible, ce qui permet de négliger les ondes hydroacoustiques. Les modèles dits incompressibles sont plus simples à résoudre, et en première approximation suffisant pour l’étude des tsunamis. Cependant, pour utiliser les ondes hydroacoustiques, les modèles compressibles deviennent indispensables.
Les simulations faites à partir de la modélisation d’un tsunami dans un océan compressible illustrent ce couplage. Nos simulations numériques (issues d’un travail en cours) montrent l’élévation de la surface de l’eau en un point en fonction du temps. On voit ainsi de combien se déplacerait une bouée qui flotterait en ce point. La courbe bleue correspond à l’élévation calculée à partir du modèle compressible, et la courbe orange au modèle incompressible.
Bien que les deux modèles soient très différents sur plusieurs aspects, on peut remarquer que la courbe bleue comporte des oscillations de faibles intensités, mais très rapides : ce sont les ondes acoustiques, qui apparaissent avant le tsunami. Le modèle compressible (bleu) présente des oscillations, alors qu’avec le modèle incompressible, la surface de l’eau n’a pas encore bougé.
Pour une bouée située à 80 kilomètres du centre du tremblement de terre, les ondes acoustiques arrivent 400 secondes (6 minutes) avant le tsunami. L’écart entre l’arrivée du tsunami et des ondes acoustiques augmente avec la distance entre le point de mesure et le tremblement de terre. Ainsi, les ondes acoustiques peuvent arriver plusieurs minutes, voire plusieurs dizaines de minutes, avant le tsunami.
Même si ces ondes hydroacoustiques se propagent au moins deux fois moins vite que les ondes sismiques, elles ont été enregistrées à plusieurs milliers de kilomètres du glissement de terrain source et, comme on l’a vu, pourraient permettre de compléter l’analyse, car elles sont peu déformées par leur passage dans l’eau.
Un important travail en modélisation et simulation est encore nécessaire pour relier précisément le signal hydroacoustique aux caractéristiques de la source du tremblement de terre ou du glissement de terrain qui a généré le signal. La comparaison aux données de terrain sera également une étape cruciale avant de pouvoir intégrer l’analyse des ondes hydroacoustiques aux systèmes d’alerte précoce.
Juliette Dubois, Doctorante en mathématiques appliquées, Inria; Anne Mangeney, Professeure en géophysique, Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et Jacques Sainte-Marie, Directeur de recherche – Mathématiques appliquées, Inria
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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