On l’a vu accroché la tête en bas en apesanteur, porter un nombre incalculable d’appareils sur tout son corps, des casques de réalité virtuelle, sortir dans l’espace changer un panneau solaire, et prendre des centaines de photos du monde entier vu du ciel. Mais, au fond, qu’a fait Thomas Pesquet lors de son premier séjour dans la Station spatiale internationale ?
Cette question est au cœur d’une étude parue dans Acta Astronautica qui propose une analyse quantitative et qualitative des expériences menées par l’astronaute français lors de la mission Proxima, entre le 19 novembre 2016 et le 2 juin 2017. « C’est mon idée, raconte la principale autrice, Elizabeth Heider de l’Agence spatiale européenne (ESA). Les résultats des expériences étaient étudiés indépendamment, mais jamais personne n’avait tenté de les rassembler pour en faire une synthèse ! »
« Thomas Pesquet a dû battre des records ! »
En agissant ainsi, la chercheuse espère mieux rendre compte de la quantité de travail réalisée par un astronaute lors de sa mission, et des résultats des expériences menées. « C’est particulièrement intéressant de mener ces recherches sur Thomas Pesquet, précise-t-elle, car il a été particulièrement actif pendant les 196 jours de sa mission. Tous les astronautes travaillent énormément, mais lui a dû battre des records ! » Il faut dire que si certains de ses détracteurs critiquaient son omniprésence sur les réseaux sociaux durant cette période, Thomas Pesquet avait 25 expériences distinctes à réaliser pour l’ESA. Sans compter tout ce qu’il a entrepris avec la Nasa, Roscosmos, et les sorties extra-véhiculaires où il était soit le principal acteur, soit un des coordinateurs. « Tout cela n’apparaît pas dans mon étude, ajoute Elizabeth Heider. Je me suis limitée aux expériences liées à l’ESA, mais il a énormément travaillé, y compris sur son temps libre. »
Elizabeth Heider a donc compilé toutes les publications scientifiques qui concernaient ces travaux. La grande majorité concernent les recherches sur la santé humaine qui ont occupé plus de la moitié du temps de travail de Thomas Pesquet. Il y a aussi une part consacrée aux démonstrations technologiques, à la physique, l’environnement, ou encore l’éducation.
Elle détaille : « Thomas Pesquet a permis, grâce à son travail là-haut, de mieux comprendre la dégradation des os, la plasticité du cerveau, l’influence sur la vision… Tout cela est crucial pour les soins des maladies neuro-dégénératives, Parkinson, l’ostéoporose. Les bienfaits de ces opérations sont visibles sur Terre et si nous n’étions pas allés les faire dans l’espace, nous n’aurions jamais pu obtenir ces informations. »
Parmi les plus emblématiques, BRAIN-DTI fut particulièrement intéressante. Des scans du cerveau de l’astronaute ont été réalisés avant, pendant et après son vol, et ont démontré à quel point le cerveau s’adapte aux différents environnements, notamment en l’absence de gravité. Avec GRASP, Thomas Pesquet a dû se munir d’un casque de réalité virtuelle pour attraper des objets autour de lui sans utiliser la gravité, qui nous aide bien sur Terre pour différencier le haut du bas. Des résultats qui sont actuellement utilisés pour trouver des remèdes aux personnes souffrant de troubles neurologiques.
Dans un tout autre domaine, l’expérience Fluidics menée par le CNES cherchait à comprendre comment se déplaçaient les liquides en l’absence de gravité, avec l’objectif d’optimiser l’efficacité des satellites dont le carburant bougeait durant le vol.
De la science, mais pas forcément d’aspect monétaire
« Pour tout cela, c’est difficile de définir une valeur précise, regrette Elizabeth Heider. C’est souvent de la science fondamentale, il n’y a pas forcément de transaction monétaire. Mais en s’intéressant aux études parues, on a une petite idée de la masse de connaissance acquise, et elle est considérable. »
Avec ce type de travail, la chercheuse espère alerter la communauté scientifique sur la valeur inestimable de l’ISS. « Nous savons qu’elle est en fin de vie, reconnaît-elle. Alors, je voulais essayer de capturer ce qu’elle a permis à l’avancée de la science, avant qu’elle ne disparaisse. » Le projet actuel est de poursuivre les activités de la station jusqu’à 2030, mais au-delà, elle devrait vraisemblablement être remplacée par d’autres stations privées. « C’est important de connaître ce que l’on perd, assure Elizabeth Heider. Il y a tant de bénéfices, tant d’études sur toutes les expériences menées, qu’il est difficile de se rendre compte. Ce genre de bilan apporte une vision d’ensemble, même si c’est sur le travail d’un seul astronaute au cours d’une seule mission. »
Mais, démontrer tout ce que la station internationale apporte à la science est loin d’être aisé. La mission Proxima étudiée ici par Elizabeth Heider a eu lieu il y a déjà 7 ans, et les publications scientifiques la concernant continuent de paraître. Qui sait quel sera son impact réel dans 15 ou 20 ans ? Sans compter ce qu’auront apporté les autres astronautes qui se sont succédé dans ce laboratoire unique au monde.
À l’heure où les activités spatiales sont sous le feu des critiques pour leur coût supposé au niveau environnemental ou économique, l’ISS apparaît comme un modèle de projet où les bénéfices ne se comptent pas en dollars, mais en quantité de connaissances scientifiques. Réussira-t-elle à revenir sous une autre forme dans un secteur dominé par les multinationales et les initiatives privées ?
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