Pour tous les amoureux des animaux, le mois de septembre 2023 restera un mois noir. Sur les berges du lac Tefé, un affluent de l’Amazone au Brésil, 130 dauphins roses (Inia geoffrensis), 23 dauphins tucuxi (Sotalia fluviatilis), mais également des milliers de poissons ont été retrouvés sans vie.
Selon les propos des membres de l’Institut Mamirauá, un centre de recherche en partie financé par le ministère brésilien des sciences, recueillis par Le Parisien : « Il est encore tôt pour déterminer la cause de cet événement extrême, mais selon nos experts, il est certainement lié à la période de sécheresse et aux températures élevées du lac Tefé, dont certains points dépassent les 39 °C. »
Et si ces dauphins, véritables icônes de la faune brésilienne, étaient morts de soif ? Cela semble improbable, me diriez-vous, puisqu’ils ont accès à de l’eau en abondance. Mais, savez-vous comment les dauphins s’hydratent ? Boivent-ils réellement l’eau dans laquelle ils vivent ? La réponse est non, voyons donc comment ils maintiennent un niveau d’hydratation correcte.
Les dauphins des océans ne boivent pas l’eau de mer
Pour les dauphins d’eau douce, c’est encore un mystère puisqu’aucune étude scientifique ne s’est, à l’heure actuelle, intéressée à la question. En revanche, nous possédons des informations précieuses sur la manière dont les dauphins vivant dans les océans s’hydratent.
Contrairement à ce que nous pourrions penser, les dauphins ne boivent pas l’eau salée dans laquelle ils vivent puisque pour eux, comme pour nous, un excès de sel peut être mortel. Dans notre étude récemment publiée dans la revue scientifique Journal of Experimental Biology, nous avons confirmé que les dauphins ne boivent pas de l’eau de mer contrairement aux poissons osseux (le thon, le hareng ou encore la sardine), aux tortues marines et aux oiseaux marins. En effet, boire de l’eau de mer nécessite de disposer d’un moyen de se débarrasser de l’excès de sel, et certains animaux marins disposent, pour ce faire, d’organes appelés glandes à sels.
Les dauphins en sont dépourvus, et leurs reins ne sont pas capables d’éliminer une quantité trop importante de sels. Mais alors, comment s’hydratent-ils ? Les dauphins ne boivent pas « volontairement » comme nous pourrions l’imaginer, ils s’hydratent de manière indirecte grâce à l’eau contenue au sein de leurs proies (entre 70 et 85 % de la masse totale chez les poissons) et de l’eau produite au niveau des mitochondries, des organites situés dans les cellules, qui produisent de l’eau, appelée eau métabolique, issue de la dégradation des molécules organiques ingérées par l’animal (glucides, protéines, lipides).
La question de l’hydratation chez les dauphins agitait l’esprit des scientifiques depuis près d’un siècle. Les premières études physiologiques réalisées au milieu du vingtième siècle avaient montré qu’ils ne buvaient pas, mais les expériences se basaient uniquement sur des dauphins à jeun, et donc privé d’une source d’eau : la nourriture.
Aujourd’hui, c’est l’eau des proies et l’eau métabolique qui sont considérées comme les deux principales sources d’eau chez les dauphins, mais leurs contributions respectives restent inconnues, en particulier chez les animaux nourris. Pour déterminer la proportion respective d’eau provenant des proies, de l’eau métabolique et de l’eau salée environnante chez les Odontocètes (les cétacés à dents tels que les dauphins, les orques ou encore les cachalots en opposition aux Mysticètes, les baleines à fanons), nous avons analysé la composition isotopique de l’oxygène (18O et 16O, tous deux des atomes d’oxygène, mais dont la masse diffère par leur nombre de neutrons au sein de leur noyau) de l’eau contenue dans leur corps afin de déterminer son origine.
Prise de sang sur les dauphins
Pour cela, nous avons mesuré la composition isotopique de l’oxygène de l’eau contenue dans le plasma sanguin et de l’urine de quatre orques, Orcinus orca, et de neuf grands dauphins, Tursiops truncatus, nés et élevés en structure zoologique. Ces valeurs ont été comparées à celle de l’eau contenue dans leurs proies et celle de l’eau environnante (eau du bassin dans lequel ils vivent) et ceci pendant un an et à intervalles réguliers.
Puis, dans un second temps, ces données ont servi à alimenter un modèle mathématique permettant de prédire les contributions des différentes sources d’eau des cétacés.
Les résultats isotopiques obtenus et ceux de la modélisation indiquent que l’eau des proies constitue la source principale d’apport d’eau chez les orques et les grands dauphins (61–67 % des apports totaux), suivie par l’eau métabolique (28–35 % des apports totaux). La production d’eau métabolique étant significativement plus élevée chez les orques dont le régime alimentaire est plus riche en lipides. Le reste étant de l’eau de mer environnante ingérée accidentellement et de la vapeur d’eau inhalée lors de la respiration.
Nos recherches apportent de nouvelles informations sur la physiologie des cétacés, avec des implications majeures concernant les problématiques de conservation concernant ces organismes. En raison du fait que ces animaux tirent de leur nourriture l’eau permettant de les maintenir hydratés, la surpêche dans certaines régions du monde et le réchauffement climatique actuel qui affecte la distribution des proies des cétacés s’affichent comme des défis majeurs pour la préservation de la biodiversité marine.
Cet article a été coécrit par Isabelle Brasseur, Responsable Éducation – Recherche et Conservation à Marineland Côte d’Azur.
Le projet OXYMORE est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.
Nicolas Séon, Docteur en paléontologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN); Peggy Vincent, Chercheuse CNRS en paléontologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Romain Amiot, Chargé de Recherche, Université Claude Bernard Lyon 1
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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