Si vous avez mangé un burger végétarien au début des années 2000, vous avez sans doute le souvenir d’une galette de céréales insipide et grasse qui n’avait rien à voir avec un steak de bœuf. Depuis, les choses ont bien changé et les burgers veggies n’ont pas grand-chose à envier à leurs homologues carnés. Mieux, en plus de contribuer à réduire la souffrance animale et le dérèglement climatique, ils sont souvent aussi plus sains pour la santé.
Guillaume Dubois, cofondateur HappyVore, numéro deux du traiteur végétal en France avec 18 % de part de marché et une gamme de 16 produits, explique auprès de Numerama : « Nous visons à offrir la même expérience qu’avec des produits carnés et à permettre aux consommateurs de consommer moins de viande sans trop modifier leurs habitudes. » Et cela passe par une apparence, des textures et des goûts analogues ainsi que par le fait « de proposer des produits qui se cuisinent de la même manière que leurs homologues carnés, avec les mêmes recettes et les mêmes modes de cuisson », nous détaille-t-il.
De fait, des steaks aux saucisses, en passant par les nuggets, le bacon, les lardons, le jambon, ou bien des émincés et des escalopes, le marché en plein essor de la viande végétale propose aujourd’hui des alternatives convaincantes aux produits issus de bœuf, de porc ou de poulet.
2 ans pour développer un « simili » convaincant
C’est un travail de recherche et de développement long et complet que de reconstituer les propriétés organoleptiques de la viande sur la base de protéines végétales et de matières grasses végétales tout en proposant des produits nutritionnellement corrects. « Le niveau d’exigence en matière de composition et de teneur nutritionnelle des simili-carnés est extrêmement élevé. Et si, évidemment, ils sont — tout comme leurs homologues carnés –, moins sains qu’un plat de légumineuses brutes, il existe une vraie recherche pour les rendre moins riches en sel et en matières grasses, et tout aussi riches en protéines que les produits qu’ils visent à remplacer, voire davantage », nous explique Florimond Peureux, fondateur de l’Onav (Observatoire national des alimentations végétales).
« Contrairement aux viandes végétales de première génération qui multipliaient les ingrédients, nous avons à cœur d’éviter les produits ‘Frankenstein’ et mettons un focus tout particulier sur la composition », complète Nicolas Schweitzer, cofondateur et CEO de La Vie, entreprise qui commercialise des lardons, du bacon et du jambon végétal. Protéines de soja réhydratées, huile de tournesol, sel, arôme naturel et colorants composent ainsi le bacon végétal La Vie, une liste d’ingrédients relativement modeste comparée à celle d’un bacon Herta : filet de porc, conservateurs (nitrite de sodium, lactate de potassium, acétate de potassium) ; sel; dextrose et des antioxydants.
Selon les différents acteurs du secteur avec lesquels nous avons échangé pour cet article, il faut environ deux ans pour développer un produit convaincant en mobilisant l’expertise d’ingénieurs agro-alimentaires et physico-chimistes, d’aromaticiens, de nutritionnistes et chefs ainsi qu’en bout de course, de panel de consommateurs. Et, une fois un produit lancé, il n’est pas rare qu’une nouvelle version soit mise sur le marché quelques années sinon quelques mois après. « On note une volonté d’amélioration constante, avec le lancement par les marques de nouvelles versions de leurs produits en moins gras, mois sucré ou moins salé », signale Florimond Peureux.
C’est notamment grâce aux ingrédients utilisés — protéines et matières grasses, arômes, épices, etc. — et leurs interactions, que les produits visent à reproduire le goût des produits carnés et qu’ils se distinguent les uns des autres. Mais les marques innovent et se distinguent aussi les unes des autres dans la manière de tirer parti du procédé largement répandu d’extrusion, qui consiste à soumettre les matières premières à des contraintes thermiques et mécaniques afin de donner aux aliments la texture de viande.
« Le procédé clé, c’est l’extrusion, qui ressemble à une sorte de machine à faire des pâtes », illustre Guillaume Dubois. « Les produits sont chauffés à 50-60 degrés Celsius, hydratés, texturisés… C’est une méthode généralisée, mais c’est sur les différents réglages, les températures, les formatages qui que l’on dépose des brevets. »
Nicolas Schweitzer nous dévoile les trois branches de la R&D chez LaVie : « Il y a tout d’abord la recherche fondamentale, qui vise à comprendre les caractéristiques propres à chaque ingrédient et à développer ce que l’on appelle des ‘building blocks’, en évitant les additifs. Par exemple, chez nous, c’est créer un gras solide capable de cuire. Puis, la phase d’application destinée à utiliser ces ‘building blocks’ pour créer des produits comme du bacon. Et enfin la phase industrielle qui vise à porter le brief à une échelle industrielle. »
« Il faut déjà comprendre ce qu’est la viande »
Antoine Derensy, directeur R&D chez ACCRO, entreprise dont la gamme comporte aujourd’hui 10 produits différents, revient sur le déroulé de la première phase au sein de sa propre entreprise : « Lorsque l’on veut créer un produit analogue à la viande, il faut déjà comprendre ce qu’est la viande et quelles sont les protéines qui la composent. En effet, les protéines sont responsables aussi bien responsables de la texture ou des apports nutritionnels, et participent grandement au goût. »
Il explique ainsi que la première étape est d’effectuer une analyse fine des produits carnés que les viandes végétales visent à remplacer pour comprendre leur composition, leur teneur, leur structure, leur élasticité ou encore leur arôme. Mais là, survient une première difficulté : « La protéine animale est très différente de la protéine végétale, notamment parce que les protéines animales sont composées à 50 % d’eau, autrement plus que les protéines végétales produites à base de céréales », explique Antoine Derensy.
Il s’agit alors de déterminer les meilleures protéines végétales à utiliser et de trouver la manière de créer de la structure et de la texture en les faisant interagir avec de l’eau et en leur faisant subir un traitement thermique et de cisaillement afin de retrouver tant la jutosité que la texture fibreuse propre à la viande.
Ensuite, il y a tout un travail de recherche sur les goûts et les saveurs. Là encore, le produit carné à remplacer est scruté et analysé. « Les aromaticiens s’efforcent de comprendre les molécules qui génèrent les gouts et les odeurs des produits à base de viande, et recherchent et sélectionnent les arômes naturels végétaux qui peuvent les remplacer », nous indique Antoine Derensy. Guillaume Dubois signale quant à lui que « le plus souvent, ce n’est pas le goût de la viande que les gens aiment, mais celui des épices ou du fumé. Alors, nous utilisons des épices, notamment du piment de cayenne, des arômes naturels qui donnent le goût fumé ou bien encore des végétaux fermentés. »
Des enjeux nutritionnels et environnementaux
On l’a dit, le cahier des charges des marques de simili-carnés comporte également un volet nutritionnel, de manière à proposer des produits relativement sains, et au moins aussi riches en protéines que les produits carnés qu’ils visent à remplacer. Cela passe notamment par le choix des protéines utilisées qui devront aussi apporter les acides aminés essentiels. Certaines marques font alors le choix du soja ou d’autres celui d’une association céréale et légumineuse. « Nous avons aussi choisi d’enrichir nos produits en vitamine B12 pour les personnes qui ne consomment pas ou peu de viande », complète Antoine Derensy.
D’autres enrichissent leurs simili-carnés en fer. Pour proposer des produits équilibrés, il faut également utiliser des graisses végétales également saines et qui, contrairement aux graisses saturées de la viande, ne sont pas responsables de maladies cardio-vasculaires. D’où l’usage à bon escient d’huiles de colza, d’olive ou de tournesol en quantité toujours mesurée à des fins de texture, de mâche et de jutosité.
Enfin, les simili-carnés doivent répondre à un impératif environnemental : leur fabrication doit avoir un impact autrement moindre que celui des produits carnés. Renaud Saïsset, directeur Général d’ACCRO, explique : « Notre mission est aussi d’agir positivement pour le climat. Nous avons réalisé l’analyse carbone de nos produits, comparant par exemple notre steak végétal par rapport à un steak de bœuf. Et produire un kilo de steak végétal émet six fois moins de CO2 que l’équivalent carné. Nous avons fait le choix de recourir à des cultures agricoles proches de notre site de fabrication et avons tout mis en œuvre pour être moins énergivores possible et émettre le moins possible. »
Chez La Vie, la promesse est de 88 % moins de CO2, 82 % moins d’eau et 74 % moins de sols exploités. Chez HappyVore, 12 fois moins d’émissions de gaz à effet de serre et 28 fois moins d’eau nécessaire par rapport à l’équivalent carné.
Les viandes végétales sont chères : pourquoi ?
Ce travail de R&D important explique t-il sur des prix de ventes parfois jugés trop importants ? Oui et non. Guillaume Dubois s’en justifie : « Le prix est effectivement un énorme défi et l’investissement en amont se répercute forcément. En outre, nous ne sommes pas aussi efficaces qu’un industriel du porc qui optimise tout, par exemple en tirant partie des os ou des tissus conjonctifs pour en faire de la gélatine. Et le secteur de la viande est aussi un secteur très subventionné… »
Florimond Peureux déplore quant à lui l’importante marge réalisée par les distributeurs : « Les simili-carnés ne sont pas des produits chers en soi : le problème vient surtout la marge que prennent les distributeurs. Ils profitent d’avoir un public captif et motivé et prêt à faire des sacrifices. Et les marques de viandes végétales n’ont pas ou peu de pouvoir de négociation. »
Et si on créait des poissons végétaux ?
Aujourd’hui, outre l’amélioration continue des produits mis sur le marché et le développement des gammes de simili-carnés, la question se pose aussi, notamment pour les végétariens et les vegans, de la création d’alternatives convaincantes au poisson. Antoine Derensy estime que « sur le poisson, nous en sommes là où nous en étions il y a dix ans pour la viande ».
« Nous sommes au tout début du process et même si le poisson a une texture et un goût bien particuliers, dès lors que la demande est là, des solutions pour produire de bons produits sera trouvée », ajoute-t-il. Reste effectivement que la demande soit au rendez-vous, ce qui n’est pas exactement le cas aujourd’hui, comme le suggère Florimond Peureux : « C’est un marché autrement plus petit que celui de la viande végétale. Aujourd’hui, les recommandations nutritionnelles recommandent de manger régulièrement du poisson, pas d’en réduire sa consommation ! De fait, le majorité du public n’est pas vraiment intéressé et les marques sont moins à même d’investir. »
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