Nous vieillissons. C’est inexorable. Car le temps épouse la deuxième loi de la thermodynamique : l’entropie, le chaos, soit la tendance au désordre. Il en va de même pour les objets. De fait, le temps est irréversible : si vous cassez un objet, vous ne pourrez pas rembobiner pour le réparer (le désordre… se fait dans l’ordre). Mais comme toujours, la physique peut surprendre là où on ne l’attend pas, et une nouvelle étude publiée dans Nature Physics, le 26 janvier 2024, remue clairement les méninges sur l’écoulement du temps. En tout cas à l’échelle moléculaire d’un type spécifique de matériau.
Ce que l’on savait déjà, c’est qu’un matériau comme le verre dispose de sa propre horloge interne. Pour le dire simplement : si le verre avait une montre, elle n’afficherait pas le même écoulement du temps que votre montre. Au sein de ce matériau, les molécules sont enchevêtrées dans un mouvement constant : elles visent sans cesse l’état énergétique le plus favorable, les propriétés du matériau évoluent dans le temps. Le verre vieillit, mais cela peut être imperceptible pour nous, sur des milliers, millions, milliards d’années.
Ce « temps du matériau » (material time) est connu depuis un demi-siècle, mais n’a jamais pu être véritablement mesuré. C’est à cela que se sont attaqués ces physiciens américains, qui décrivent leur démarche comme un « immense défi expérimental ». Non seulement ils ont réussi à saisir cette horloge interne du verre, mais ses propriétés étaient étranges.
« Cela nous laisse une montagne de questions sans réponse »
Pour mener à bien ce projet, ces physiciens ont pointé des faisceaux laser sur un échantillon de verre. Comme la lumière est captée par les molécules, ces faisceaux ont pu rebondir sur celles contenues dans le matériau. Alors, en filmant avec une caméra de pointe, extrêmement sensible, ils ont obtenu des motifs : des fluctuations, faites de points clairs, de points sombres. Ces fluctuations ont ensuite été traduites en statistiques, afin de mesurer comment elles évoluent dans le temps. C’est ainsi que l’horloge interne du verre a été obtenue. Mais cette horloge interne n’a pas un comportement habituel.
En raison de l’entropie, le temps avance pour nous en ligne droite. De fait, il y a un début, un milieu, une fin. Si vous rembobinez une vidéo de votre montre, cela apparaît clairement : l’aiguille fait demi-tour, ce qui rappelle que ce qui est advenu est déjà advenu dans un ordre spécifique et absolument irréversible. Sauf que cela ne fonctionnerait pas de la même façon pour la « montre » du verre.
L’horloge interne du verre serait plutôt comparable à un pendule — au mouvement équilibré, constant. Si vous filmez ce pendule, puis que vous rembobinez la vidéo, il sera impossible de situer un début, un milieu et une fin. Quel que soit le moment de la vidéo, le temps sera indéfini. De la même façon, le « temps du matériau » est constitué de fluctuations de molécules qui peuvent être regardées de différents points de vue sans que cela ait d’impact sur la temporalité. C’est en cela que le temps est alors dit réversible : les fluctuations moléculaires ne sont pas en ligne droite avec un début et une fin comme deux points fixes inamovibles. Si vous rembobinez le temps du verre, le mouvement des molécules ne change pas en raison de ce rembobinage (en clair : vous auriez beau permettre au verre de remonter dans le temps, cela ne remontera pas les fluctuations dans le temps).
Ce phénomène semble aussi advenir dans du plastique. Cela signifie que cela appartient à un type de matériaux dits « désordonné ».
« Toutefois, cela ne signifie pas que le vieillissement des matériaux peut être inversé », précisent les physiciens. Au contraire : cela montre que le vieillissement du matériau est inéluctable, mais en obéissant à son propre écoulement. Et que tout ce qu’il se passe dans le matériau — toutes ses fluctuations moléculaires — ne contribue pas forcément à son vieillissement. Les auteurs donnent une illustration : des enfants qui jouent sur la banquette arrière d’une voiture ne contribuent pas au mouvement de la voiture.
Vous avez des questions ? Cela tombe bien, les physiciens à l’origine de la découverte aussi : « Cela nous laisse une montagne de questions sans réponse », admet Thomas Blochowicz, l’un des auteurs.
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