À quelques dizaines de kilomètres d’altitude, l’atmosphère accueille parfois des ballons stratosphériques. Véritables laboratoires, ils sont des vigies essentielles pour les scientifiques étudiant le changement climatique, note cet article de The Conversation.

Depuis soixante ans, le Centre national d’études spatiales (CNES) conçoit, développe et opère des ballons, pour la science et la technologie. Pourtant ce mois de juin 2024, notre équipe de ballonniers réalisera une première. Un vol transatlantique, lâché du nord de la Suède à Kiruna, emportant une nacelle d’instruments scientifiques de plus de 800 kg, qui sera récupérée une petite semaine plus tard dans l’arctique canadien. Ce vol va permettre de mesurer notamment les gaz à effet de serre sur une large échelle géographique. Et à l’automne 2025, une flottille de vingt ballons pressurisés stratosphériques, volant entre 18 et 20 km d’altitude, partira des Seychelles pour un voyage de plusieurs mois aux latitudes équatoriales afin d’étudier la composition et le transport des masses d’air en lien avec le changement climatique.

L’activité ballons a démarré en France en 1961, au Service d’Aéronomie du CNRS, et le CNES l’a prise en charge en 1964. Depuis, nous avons opéré plus de 4 000 vols. Capable de rester durablement dans la stratosphère jusqu’à 40 km d’altitude, le ballon reste un véhicule unique pour collecter des données in situ sur les vents, les gaz à effet de serre, les aérosols, les radiations, et pour observer l’Univers avec des télescopes portés au-dessus des couches denses de l’atmosphère.

Ainsi, en collaboration avec les laboratoires du CNRS et les pays hébergeant des sites de lâchers, nous organisons des campagnes régulières à l’étranger et en France depuis le centre d’opérations d’Aire sur l’Adour dans le département des Landes.

Le CNES est aujourd’hui maître d’œuvre du système complet, et s’appuie sur des équipementiers et sous-traitants d’horizons et de tailles variés. Le fabricant des enveloppes est unique en Europe, c’est HEMERIA Airship, qui a repris l’usine créée par Zodiac, près de Toulouse.

Ces 5 dernières années, la stratosphère a inspiré le « New Space » : ces initiatives issues du privé, des industriels, et en particulier de start-up, pour de nouvelles applications et services issus du spatial et de la stratosphère, Thales Alenia Space travaille à un dirigeable, le Stratobus, Airbus a développé le drone Zephyr et bientôt le ballon manœuvrant, avec Hemeria et le CNES. Des start-up comme Zephalto veulent offrir du tourisme stratosphérique sous ballon. Notre équipe met à disposition de ces acteurs français notre expertise technique et notre expérience. En Europe, la Suède, à Kiruna, opère des vols des ballons stratosphériques, achetés en France ou aux États-Unis, numéro un mondial du domaine. Les autres pays européens, acteurs du spatial, Allemagne, Italie, Royaume-Uni, mais aussi Belgique, Pays-Bas, Espagne, Pologne, développent des instruments qu’ils font voler avec le CNES ou les Suédois.

Les avantages des ballons stratosphériques

Plateformes d’innovation, simples et écologiques, les ballons ont des avantages indéniables. Ils permettent le développement de projets complets à courte échéance, compatibles de cycles de formation d’ingénieurs et de chercheurs.

Ils fournissent des sujets de coopérations internationales à coût réduit, et des démonstrateurs d’instruments pour satellites, rapidement testés en situation opérationnelle. L’ensemble des matériels qui atterrit sous parachute est récupéré après le vol, et peut être réutilisé. Les opérations de mise en œuvre sont relativement simples, compatibles de sites de lâchers peu équipés.

Enfin, les contraintes mécaniques sont moins strictes que pour un satellite soumis aux chocs et vibrations du lanceur.

Pour répondre aux diverses missions demandées, nous offrons une gamme optimisée de véhicules, dont les matériaux d’enveloppe, les dimensions et les différents systèmes bord et sol sont adaptés aux performances requises.

https://theconversation.com/les-ballons-stratospheriques-de-veritables-laboratoires-au-dessus-de-nos-tetes-224542
La gamme des différents ballons du CNES. // Source : Vincent Dubourg

Des ballons différents selon les missions

Le ballon stratosphérique ouvert (BSO) peut atteindre près d’un million de m3 (huit terrains de rugby en surface), fait de polyéthylène transparent de 15 à 25 µm d’épaisseur, peut porter près de 2 tonnes et voler quelques jours jusqu’à 40 km d’altitude. Il peut réaliser des descentes pilotées grâce à un clapet pour évacuer de l’hélium, et à une réserve de lest de billes d’acier (voir Figure 3 le synoptique du BSO)

Des campagnes annuelles en Suède, au Canada, en Australie et bientôt au Brésil, mettent en œuvre les BSO pour des expériences d’astronomie ou de mesures atmosphériques. Nous mettons à disposition des utilisateurs des plates-formes pour installer leurs instruments, appelées « nacelles charges utiles ».

Source : Vincent Dubourg
Un système de ballon stratosphérique ouvert atteint les dimensions de la tour Eiffel. // Source : Vincent Dubourg

Trois vols sont prévus en juin 2024 à Kiruna. Le vol transatlantique sera réalisé par un BSO de 800 000 m3, emportant à plus de 35 km d’altitude des instruments scientifiques français, canadiens, suédois et allemands, principalement pour la mesure de composants atmosphériques. L’objectif scientifique principal est de mesurer les gaz à effet de serre (CO2, méthane,vapeur d’eau), le long de la trajectoire et en étudier la répartition géographique. Les mesures permettront de valider un instrument candidat à la mission Earth Explorer 11 de l’Agence spatiale européenne.

Pour des vols jusqu’à plusieurs mois, il faut un ballon fermé, pour garder le gaz porteur (hélium) durant tout le vol, et éviter que le ballon ne se dégonfle la nuit lorsqu’il fait plus froid. Pour le programme STRATEOLE-2 en cours pour l’étude de la stratosphère équatoriale, nous avons développé des ballons pressurisés sphériques, de 8 à 13 m de diamètre, capables de transporter 50 kg entre 18 et 20 km d’altitude pendant plus de 3 mois. Nous allons démarrer dès ce mois de mai chez HEMERIA la fabrication des 28 ballons pour la campagne de 2025. Les vols de plusieurs mois d’une flottille de ballons permettent une moisson de mesures des vents stratosphériques directement assimilées pour l’amélioration des modèles opérationnels de circulation des masses d’air, comme Arpege de Météofrance.

photo ballon
Un ballon pressurisé sphérique prêt à être lancé. // Source : R. Gaboriaud/CNES

Pour d’autres missions, de simples ballons-sondes en latex, portant moins de 4 kg, permettent des sondages atmosphériques jusqu’à 35 km d’altitude. Nous en lâchons à Aire-sur-l’Adour tout au long de l’année, pour des essais technologiques à coût réduit, mais aussi pour des mesures de gaz à effet de serre (CO2, CH4) et d’aérosols, pour la calibration de satellites.

Nous développons également un ballon manœuvrant avec l’industriel Hemeria. Constitué d’un ballon pressurisé lobé rempli d’air, d’un diamètre de l’ordre de 20m, et contenant un ballonnet d’hélium, il sera capable d’excursions verticales commandées entre 16 et 22 km, pour utiliser les vents de directions et force variable, pour atteindre une zone cible et s’y maintenir. Ce ballon « persistant », éprouvé par le projet Loon de Google, ouvre le champ à de nouvelles applications scientifiques mais aussi d’imagerie, de surveillance civile et de Défense. La grande nouveauté étant la pilotabilité de ce véhicule.

La mise au point de nouveaux matériaux, plus résistants, va autoriser des vols de plus longue durée, jusqu’à plus de six mois, pour des charges utiles plus lourdes. Avec le New Space, l’utilisation de la stratosphère, notamment pour l’observation et la surveillance, devient stratégique et attire les start-up comme les grands groupes et les institutionnels. Le ballon manœuvrant devrait être source de nombreuses applications dans les années à venir.

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Vincent Dubourg, Ingénieur en engins spatiaux, Centre national d’études spatiales (CNES)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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