L’augmentation du trafic spatial, notamment due à l’arrivée de nouveaux acteurs privés et la démocratisation des technologies spatiales, se traduit par une augmentation exponentielle du nombre d’objets en orbite. Cette situation va poser de sérieux problèmes de sécurité si elle n’est pas rapidement prise en compte.
Le principal danger réside dans les collisions entre satellites et débris spatiaux. Elles se produisent à des vitesses très élevées (entre 7 et 16 km/s) et la collision d’un seul objet peut générer une multitude de débris supplémentaires, créant un effet domino et aggravant le problème. On nomme ce processus le syndrome de Kessler, du nom du scientifique américain de la NASA ayant le premier alerté sur ce problème en 1978.
Actuellement, nous ne pouvons observer depuis le sol que les objets en orbite de plus de 10 cm. On recense environ 35 000 objets supérieurs à cette taille en orbite, dont 9 000 sont des satellites actifs avec 5 200 satellites Starlink et 600 OneWeb. Le nombre de débris spatiaux dont la taille est supérieure à 1 mm est quant à lui estimé à environ 128 millions. Le risque de collision est particulièrement élevé dans certaines zones, comme l’orbite basse terrestre, où se concentrent la plupart des satellites.
Désorbiter les satellites, mesure préventive clé
La France s’est imposée comme l’un des pionniers dans la lutte contre la prolifération des débris spatiaux. En effet, dès 2008, la loi relative aux opérations spatiales a posé les bases d’une approche proactive, imposant aux opérateurs français de respecter un certain nombre de règles pour limiter leur impact environnemental.
Pour prévenir la création de nouveaux débris, il est par exemple essentiel de désorbiter les satellites en fin de vie. Cette opération, complexe et coûteuse, nécessite de réserver une partie de l’énergie du satellite pour le propulser dans l’atmosphère terrestre afin qu’il se désintègre grâce aux frottements de l’air.
De nombreux satellites lancés dans les premières années de l’ère spatiale n’ont malheureusement pas été désorbités et constituent aujourd’hui des « épées de Damoclès » en orbite, augmentant le risque de collisions et constituant une réserve de petits débris non traçables en cas de fragmentation.
Comment capturer et enlever les débris dans l’espace ?
Des start-up et des entreprises, notamment en France, travaillent sur les briques technologiques permettant de se rapprocher de ces débris, de synchroniser leur trajectoire avec celle du véhicule venant les ramasser, de les attraper et enfin de les désorbiter. L’opération est complexe et coûteuse.
Il existe aujourd’hui quelques projets d’active debris removal (ADR) en cours. On peut citer le projet ClearSpace-1 de l’Agence spatiale européenne (ESA) qui a pour ambition de désorbiter en 2026 un morceau d’étage de 112 kg du lanceur Vega. L’entreprise japonaise Astroscale développe aussi des activités d’ADR depuis 2013, avec un certain nombre de démonstrations en orbite déjà réalisées. Sa mission ADRAS-J, lancée le 18 février dernier, vise à se rapprocher d’un troisième étage de lanceurs japonais H-2A mis en orbite en 2009, et de se synchroniser avec cet étage pour valider la phase de rapprochement final. Astroscale a depuis peu monté une antenne en France pour développer une partie de ses activités aussi dans l’Hexagone. La start-up bordelaise Dark se positionne aussi sur l’interception de débris avec des solutions innovantes.
L’activité est en pleine expansion, mais a besoin d’un ancrage commercial afin de pouvoir vraiment « décoller ». Aujourd’hui, seuls les États financent cette thématique. Il n’est donc pas encore rentable d’un point de vue économique d’aller chercher un débris. Pour résoudre ce dilemme, il faudrait être capable de donner une valeur aux débris en valorisant leur recyclage et leur réutilisation. On pourrait aussi essayer d’estimer le coût économique d’une collision et de l’importante quantité de débris générés qui vont perturber des opérations spatiales. Ce manque à gagner déclenché par l’inaction doit être mis en regard du coût de l’intervention de nettoyage. Mais il est très difficile aujourd’hui d’estimer et de construire ces modèles économiques.
Pour remédier à ce problème, l’idée d’un service de dépannage, de remorquage et de réparation de satellites en orbite, et capable de capturer les débris spatiaux, est envisagée. Ce système s’articulerait autour d’engins spatiaux multifonctions. En plus de réparer les satellites en panne, ces engins captureraient des débris à la fin de leurs missions de réparation, les ramenant dans l’atmosphère terrestre pour les désintégrer. Ce modèle économique présente l’avantage de générer des revenus, grâce au service de réparation et à la valorisation potentielle de matériaux récupérés sur des débris.
Un modèle économique à créer sur la base de la règlementation
La réglementation peut venir en aide à ce modèle économique. La règle stricte imposant que l’ensemble des objets mis en orbite doivent être désorbités à leur fin de vie avec une probabilité de 100 % oblige de fait à disposer de « systèmes » qui viendraient chercher les véhicules en panne. L’analogie avec les forfaits de dépannage sur les autoroutes n’est pas loin.
Il deviendrait alors moins cher de payer un service de dépannage qui viendra récupérer un véhicule en panne plutôt que de disposer soi-même de la capacité de dépannage. Cela peut favoriser une économie vertueuse qui nettoie les objets récemment mis en orbite, mais récupère aussi des objets issus de missions historiques et qui nous embêtent aujourd’hui.
Un effort qui a besoin d’une coopération internationale
Cependant, des défis subsistent. Le développement technologique de capture et de désorbitation des débris spatiaux est encore en cours. De plus, un cadre juridique international est nécessaire pour définir les responsabilités et les obligations des acteurs impliqués. La France plaide pour une action internationale concertée pour faire face à ce défi global. La collaboration entre les nations est indispensable pour développer des solutions technologiques et juridiques efficaces et garantir la sécurité de l’espace pour les générations futures.
En conclusion, la mise en place d’un modèle économique pour la dépollution spatiale est un enjeu crucial pour garantir la sécurité et la pérennité de l’exploration spatiale. Bien que des défis soient à relever, la collaboration internationale et l’innovation technologique peuvent permettre de les surmonter et d’assurer un avenir durable à l’espace.
Pierre Omaly, Expert débris spatiaux et responsable de l’initiative Tech 4 Space Care, Centre national d’études spatiales (CNES)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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