Après un suspense de dix ans suite à la découverte d’une anomalie dans sa rotation, la preuve est enfin faite que Mimas, la plus petite des huit lunes principales de Saturne, abrite un océan d’eau sous toute sa surface. Plus étonnant encore, cet océan serait âgé de moins de 25 millions d’années, soit presque rien, en comparaison des 4,5 milliards d’années de notre système solaire. Cette découverte surprenante est le fruit d’un long travail, mais également d’une intuition prenant à contre-pied les principales idées admises jusqu’ici sur l’évolution du système de Saturne.
C’est en 2010 que notre équipe commence à s’interroger sur la nature réelle de Mimas. D’un rayon de 200 km, la plus petite des lunes dites principales de Saturne est aisément reconnaissable à sa surface recouverte de cratères. Découverte en 1789 par l’astronome britannique William Herschel, il faudra attendre l’ère spatiale pour obtenir de premières images résolues de cette lune, et pouvoir ainsi découvrir sa surface inerte.
Comprendre les anneaux de Saturne en étudiant la lune Mimas
Le lien entre Mimas et nos travaux initiaux n’était pas immédiat, puisqu’il s’agissait d’expliquer la structure la plus remarquable des anneaux de Saturne : la division Cassini. Découverte par Jean-Dominique Cassini en 1675, alors tout jeune directeur de l’observatoire de Paris, celui-ci avait observé une zone sombre dans les anneaux de la géante, qui porte désormais son nom. D’une envergure d’environ 4 500 km, celle-ci coupe littéralement les anneaux en deux parties bien distinctes.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, la communauté scientifique ne savait pas expliquer l’existence de cette division en 2004, au moment de l’arrivée de la sonde Cassini au voisinage de Saturne. Or, en étudiant le mouvement de ses lunes, nous avions envisagé la possibilité que cette formation si particulière puisse être la conséquence d’un changement drastique de la distance entre la petite lune Mimas et Saturne. En effet, il était connu de longue date que la présence de Mimas avait un effet gravitationnel important sur le bord interne de la division Cassini.
Plus précisément, nous savions que les petites particules de glace qui composent les anneaux de Saturne et qui se trouvent au bord interne de la division tournent exactement deux fois plus vite que Mimas autour de Saturne. C’est précisément cette synchronisation qui permet à la gravitation d’avoir un effet majeur sur les anneaux à cet endroit, car la perturbation gravitationnelle de Mimas se cumule, plutôt que de se moyenner au cours du temps. Notre intuition était alors la suivante : si dans un passé récent, Mimas s’était rapprochée de Saturne, les particules de glace prises dans la résonance auraient dû être chassées vers l’intérieur, suivant le rapprochement de Mimas à Saturne, et ouvrant ainsi la fameuse division.
Le mystère des entrailles de Mimas ?
Aussi séduisante soit-elle, cette idée se heurtait à un souci de taille. Pour que Mimas se rapproche de Saturne, le seul mécanisme possible devait être les effets de marées engendrés par la planète. Tout comme la Lune déforme la Terre, dont les océans à sa surface, créant les marées, Mimas est déformé par Saturne au cours du temps. Cette déformation, que l’on appelle effet de marées, provient du fait que le côté de Mimas qui fait face à Saturne en est plus proche, et donc plus attiré par la planète, que le côté opposé.
Or, la glace dont est majoritairement composé Mimas aurait nécessairement fondu en quantité très importante à cause de la friction interne qui aurait résulté de ces effets de marées. Cette hypothèse était en complet désaccord avec la surface extrêmement cratérisée et inactive de Mimas, qui sous-entendait l’absence d’activité interne. En effet, la présence d’eau liquide en quantité sous la surface de Mimas aurait dû résulter en l’existence de failles en surface, de renouvellement de sa surface, voire même de geysers comme observés sur Encelade, une lune voisine de Mimas.
Néanmoins en 2014, Radwan Tajeddine, alors en thèse dans notre équipe, avait remarqué que la rotation de Mimas sur elle-même était affectée d’une anomalie. Les explications théoriques laissaient entrevoir deux possibilités : soit l’intérieur de Mimas était rigide, mais cachait un noyau de roche très allongé ; soit il devait y avoir un océan d’eau global sous la surface du satellite. Ce résultat publié dans la revue Science fut la première mention d’un possible océan d’eau sous Mimas.
Deux hypothèses : un océan interne ou un long noyau de roche
Avec le temps, la communauté internationale avait dans sa grande majorité adopté l’hypothèse d’un noyau de roche allongé. Celle-ci s’insérait parfaitement dans la vision d’une lune froide et inactive, en parfait accord avec sa surface criblée d’impacts. Notre équipe se devait donc d’en avoir le cœur net, car l’explication de l’existence de la division Cassini n’était compatible qu’avec la présence d’un océan. Nous avons donc cherché un moyen d’obtenir une information complémentaire sur l’intérieur du satellite.
Nous nous sommes alors tournés vers le mouvement orbital de Mimas autour de Saturne. Celui-ci est très complexe de par les nombreuses perturbations gravitationnelles qu’il subit des lunes voisines. Pourtant, un rapide calcul laissait entendre que l’observation de l’évolution orbitale de Mimas par la sonde Cassini, en orbite autour de Saturne entre 2004 et 2017, devait permettre de départager les deux modèles de structure interne.
Des dizaines de milliers de photos passées en revue
C’est ainsi que nous avons repris l’intégralité des données disponibles (plusieurs dizaines de milliers d’images) et avons ajusté le mouvement de dix-neuf lunes du système orbital, dont bien sûr Mimas, aux observations de Cassini. L’analyse n’a laissé que peu de doutes : un intérieur rigide avec un noyau rocheux allongé n’est pas compatible avec l’observation du mouvement orbital de la lune. En revanche, la modélisation d’un intérieur comprenant trois couches internes, à savoir un noyau rocheux surplombé d’un océan d’eau liquide, recouvert par une coquille de glace est en accord avec les observations si l’épaisseur de la couche de glace solide est comprise entre 20 et 30 kilomètres. Ces valeurs aident d’ailleurs à comprendre pourquoi la surface de la lune ne montre pas d’activité à l’heure actuelle.
Nous savons désormais que plus de la moitié du volume de Mimas est composée d’eau liquide. De plus, les calculs d’évolution orbitale de Mimas sous l’action des effets de marées impliquent que cet océan date de moins de 25 millions d’années. Mais ce qui rend l’existence de cet océan si intéressant, c’est que nous n’aurions jamais imaginé détecter un jour de l’eau liquide sous une telle surface d’apparence aussi ancienne et inerte. Voilà de quoi jeter le doute sur la possibilité d’avoir de l’eau liquide sous encore beaucoup d’autres objets du système solaire. La quête de l’eau liquide dans notre système et de ses conditions d’habitabilité ne fait que commencer…
Valéry Lainey, Astronome à l’observatoire de Paris-PSL, Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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