Un mauvais conseil, à force d’être répété, peut-il devenir pertinent à la longue ? Sans doute pas. En revanche, il peut finir par s’ancrer pour de bon dans l’esprit des personnes qui sont constamment exposées au message erroné, et devenir une croyance largement répandue. C’est exactement ce qu’il s’est passé avec le nettoyage des mails.
Selon l’édition 2024 du baromètre du numérique, dévoilée le 14 mai, les Françaises et les Français jugent que « trier et nettoyer régulièrement sa boîte mail » constitue l’un des principaux leviers permettant de réduire le plus l’empreinte environnementale du numérique. Cette action est celle qui est la plus largement partagée, par 42 % des sondés.
Ce sentiment dépasse notamment le débranchement des appareils la nuit (39 % des personnes interrogées jugent ce levier efficace), qui arrive en 2e position. Il surpasse aussi une autre action courante, consistant à prolonger la durée de vie des équipements (38 %) — en les réparant, en les préservant et, donc, en évitant de les renouveler trop tôt.
Ces constats proviennent d’une étude annuelle menée en 2023 par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). Depuis, ils ont fait l’objet de divers commentaires, à l’image de Pierre Beyssac, le fondateur du bureau d’enregistrement Gandi, et candidat du Parti pirate pour les élections européennes de 2024.
« Quinze ans de pilonnage du ‘nettoyez votre boîte mail’ en ‘écogeste’ par des médias et initiatives de Cyber Clean Up Day qui préfèrent le ‘symbolique’ à l’efficacité et voilà le résultat : le geste le plus inutile est perçu comme le plus utile par le grand public », a-t-il déploré le 15 mai sur X (ex-Twitter).
Supprimer les mails, un « bon réflexe » pour le climat ?
La responsabilité des pouvoirs publics est aussi grande dans cette affaire. Barbara Pompili, quand elle a été ministre de la Transition écologique de 2020 à 2022, a par exemple invité le public à « vider » leur boîte mail, ce qui « sera déjà pas mal » pour agir sur l’empreinte du numérique. Cela, en pleine Convention citoyenne pour le climat.
Agnès Pannier-Runacher, qui lui a succédé jusqu’en 2024, a aussi poussé dans cette direction. Expliquant vouloir « associer les Français » pour faire « ces gestes pour sauver la planète », elle avait indiqué en 2022 qu’il valait mieux s’abstenir d’envoyer un mail amusant avec une pièce jointe, en sous entendant que ce « petit geste » serait un « bon réflexe. »
L’ex-ministre se targuait pourtant d’être « du côté de l’écologie des solutions et pas du côté de l’écologie des illusions. » Pourtant, cette action perçue par une large part de la population comme efficace ne l’est pas. Pour le dire plus directement, supprimer ses mails de sa boîte est l’équivalent numérique du pipi sous la douche.
Les spécialistes le disent régulièrement.
Citée par le HuffPost en 2020, Françoise Berthoud, ingénieure de recherche au CNRS, spécialiste de ces questions d’empreinte carbone numérique, prévenait qu’il s’agit d’une action contreproductive : passer du temps sur sa boîte et enchainer les suppressions nécessitent du traitement informatique et, donc, de la consommation d’énergie.
Même son de cloche dans un article pour The Conversation signé par Luciano Rodrigues Viana, doctorant en sciences de l’environnement, Jean-François Boucher, professeur à l’université du Québec à Chicoutimi et Mohamed Cheriet, professeur, et membre du centre de recherche interdisciplinaire sur l’opérationnalisation du développement durable.
Dans leur article titré « Envoyer moins de courriels : un geste symbolique, mais inefficace, pour le climat », ils expliquent aussi que « supprimer manuellement ses courriels peut entraîner plus d’impact que de simplement les stocker, puisque cela représente du temps passé devant l’ordinateur. » En clair, on fait fausse route avec ce conseil.
Le média Bon Pote, très allant sur les problématiques et les solutions liées à l’environnement, s’est aussi interrogé en 2022. S’il n’écarte pas totalement la suppression des mails des leviers pertinents, le site invite surtout le public à conserver son matériel informatique. « Vous avez certainement mieux à faire », tranche Bon Pote.
Il y a d’autres pistes à suivre
Si vous souhaitez réduire l’empreinte environnementale de votre usage du numérique, ce sont d’autres chemins qu’il vous faut prendre. Il faut aussi avoir en tête les ordres de grandeur : les technologies de l’information et de la communication représentent entre 2 et 4 % des émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre d’origine humaine.
Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire et que le numérique n’a pas à faire de contribution. Mais il y a plus efficace. C’est ce que glisse le Crédoc dans ses pages. C’est le cas de « l’accroissement de la durée de vie des appareils numériques » qui évite ainsi de les renouveler trop souvent et de maintenir une pression sur les ressources servant à les fabriquer.
À l’inverse, et dans un langage diplomatique, le Crédoc fait observer que le tri des mails et le débranchement des équipements en charge la nuit ont une « portée moindre. » C’est évidemment terrible, car ces deux stratégies figurent dans le top trois des principales mesures jugées utiles. On reste hélas dans l’écologie des illusions.
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