Parasols spatiaux, propagation de dioxyde de soufre dans l’atmosphère, Pluies acides, impacts climatiques, ciel blanc. On a de sacrées idées pour modifier le climat, mais sont-elles bonnes ? C’est ce qu’explore cet article de The Conversation.

L’inquiétude quant au changement climatique grandit et fait malheureusement naître des projets aussi grandioses qu’alarmants. La géoingénierie, c’est-à-dire les interventions à l’échelle de la planète entière grâce à la technologie, s’avère fertile en idées, mais malgré tout controversée.

Si la Terre se réchauffe, c’est qu’elle reçoit plus d’énergie du Soleil qu’elle n’en émet vers l’espace : on dit qu’elle n’est plus à « l’équilibre radiatif ». D’après le GIEC, cette situation est sans aucun doute possible la conséquence de l’accumulation dans l’atmosphère des gaz à effet de serre émis par l’humanité depuis le début de l’ère industrielle.

Pour réduire le déséquilibre énergétique du système Terre, nommé forçage radiatif, la géoingénierie propose, par exemple, de limiter le rayonnement solaire frappant la Terre ou d’en renvoyer plus vers l’espace. Il serait possible, entre autres, de déployer des parasols spatiaux ou d’injecter massivement dans la stratosphère un aérosol diffusant la lumière solaire : du dioxyde de soufre. Ces propositions ont-elles quelque pertinence ?

Pour répondre à cette question, appliquons à ces deux projets une grille d’analyse générale d’une grande efficacité. D’une part, ces techniques respectent-elles les principes de la physique ? Si oui, sait-on en réaliser un prototype ? Et en ce cas, sont-elles industrialisables et implantables à grande échelle en vue d’un impact réel ? Autrement dit : sont-elles faisables concrètement ?

D’autre part, verrons-nous un gain en termes de matière, d’énergie, d’environnement, y compris en considérant un éventuel effet rebond ? Rendront-elles les humains plus autonomes ou généreront-elles inégalités et effets pervers contre certaines populations ? Permettront-elles d’éviter pollutions, nuisances et déchets, à court et à long terme ? En bref, auraient-elles des retombées bénéfiques ?

Parasols spatiaux : faire de l’ombre à la Terre

Une première proposition consisterait à interposer entre le Soleil et la Terre une sorte de parasol réduisant le rayonnement solaire frappant notre planète. Sur le papier, c’est simple et cela respecte les principes physiques connus : des exemples de petite taille sont couramment utilisés pour limiter l’échauffement des satellites, dont le fameux télescope spatial James Webb. Le déploiement d’une grande structure réfléchissante a déjà été réussi par le projet russe Znamia, développé dans un autre but dans les années 1990.

Znamya-2
Znamia-2, déployé en 1993, est le seul réflecteur solaire à n’avoir jamais été mis en service. Mais pour limiter le flux solaire, il faudrait couvrir une surface du ciel bien plus importante que ce satellite. // Source : RSC Energia

Le problème arrive avec l’industrialisation. Pour que des parasols spatiaux aient un impact significatif, il faudrait qu’ils aient une aire totale gigantesque. Les coûts et les ressources nécessaires pour atteindre un effet suffisant deviendraient donc, eux aussi, démesurés. Afin de réduire ces coûts, la Planetary Sunshade Foundation (PSF) propose de placer un seul parasol spatial à 1,5 million de kilomètres de la Terre en direction du Soleil, à l’endroit appelé point de Lagrange L1. PSF estime ainsi pouvoir réduire le flux solaire d’environ 1 % pour un parasol de 650 kilomètres de rayon. Ce chiffre paraît petit, mais il est très important : cela compenserait cinq fois le déséquilibre radiatif provoqué par la totalité des gaz à effet de serre émis par l’humanité depuis le début de l’époque industrielle.

Un prototype difficile à industrialiser

Des chercheurs suédois estiment que le coût d’une telle opération pourrait être compris entre 5 000 et 10 000 milliards de dollars… ce qui serait concevable s’il fallait absolument en passer par là pour sauver la vie humaine sur la planète. Mais d’où vient ce chiffre ? C’est qu’il faut envoyer, dans la version minimale du projet, 34 millions de tonnes de miroirs dans l’espace. Or, depuis les débuts de l’ère spatiale, l’humanité n’a envoyé dans l’espace que 16 500 tonnes de matériel. En outre, même Starship, le lanceur super-lourd de SpaceX encore en développement, ne pourra envoyer que 100 tonnes à la fois. Il faudrait donc 340 000 lancements de cette fusée pour y parvenir !

Enfin, ce parasol aurait d’autres inconvénients majeurs : sa mise en place utilisera une quantité gigantesque de matières et d’énergie, dont l’extraction et l’usage aggraveraient le réchauffement qu’il vise à diminuer. Surtout, il provoquerait la réaction connue qui annule les gains positifs d’une solution technique : l’effet rebond. En effet, si on croyait avoir évité le réchauffement climatique, cela risquerait d’entraîner un relâchement des efforts (déjà trop faibles) de réductions d’émission de gaz à effet de serre. Or, si la croissance économique perdure, et l’augmentation exponentielle des émissions de gaz à effet de serre avec, aucun progrès n’aura été accompli.

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Le Starhip est en cours de développement. // Source : SpaceX

Le dioxyde de soufre : une solution efficace sur le papier

Quant à la seconde proposition, qui consiste à envoyer du dioxyde de soufre (SO₂) dans la haute atmosphère, on sait depuis longtemps que son principe physique est valable : cela peut effectivement provoquer un refroidissement global. En effet, les aérosols soufrés diffusent la lumière du soleil et agissent comme des noyaux de condensation de nuages, les rendant plus fréquents et plus durables. C’est pour cette raison que l’éruption du volcan philippin Pinatubo, en 1991, produisit un refroidissement significatif à l’échelle mondiale : en 1992-1993, on estime la diminution de la température moyenne au sol entre 0,5 et 0,6 °C dans l’hémisphère nord et 0,4 °C sur l’ensemble du globe.

Et le prototype est faisable… presque trop facilement. Sans demander l’autorisation à qui que ce soit, la start-up états-unienne Make Sunsets a testé l’envoi de particules soufrées dans la stratosphère depuis le sol mexicain. S’appuyant sur cette démonstration, elle propose aux entreprises émettrices de carbone de compenser leurs émissions, moyennant finances. Le Mexique a vigoureusement réagi, mais la start-up existe toujours. Ce scénario est le sujet du roman de science-fiction Choc terminal, de Neal Stephenson.

De plus, il est faisable d’émettre du soufre à grande échelle. L’activité humaine a déjà entraîné l’émission de quantités de SO₂ suffisantes pour induire un effet significatif et masquer une partie du réchauffement climatique en cours. Le GIEC a même calculé le refroidissement entraîné par les émissions d’aérosols. C’est justement l’efficacité de cet effet que mettent en avant les marchands de droits d’émission.

Pluies acides, impacts climatiques, ciel blanc… Pourquoi jouer aux apprentis sorciers ?

Le bât blesse sur les bénéfices attendus à long terme, là aussi à cause de l’effet rebond. En outre, compenser les émissions de CO2 (et d’autres gaz à effet de serre) par des émissions de SO2 n’arrête pas les premières. En traitant les symptômes, mais pas la cause, on se condamne à envoyer en permanence du SO2 dans la stratosphère. En infligeant aux générations futures cette tâche digne des Danaïdes, condamnées à remplir sans fin un tonneau troué, nous amputons définitivement leur autonomie.

Par ailleurs, l’impact sur les climats régionaux d’une action à si grande échelle est aussi difficile à anticiper que celui du réchauffement climatique. Par exemple, les rendements agricoles pourraient s’effondrer, ou les pluies disparaître.

Surtout, le dioxyde de soufre provoque des pluies acides qui détruisent des forêts, et n’est pas bon à respirer : la qualité de l’air dépend entre autres de sa teneur en particules de SO2. La réduction de ces émissions fait à juste titre l’objet de politiques publiques. Depuis 2020, les émissions de SO2 du transport maritime international ont diminué d’environ 80 % grâce aux nouvelles réglementations de l’Organisation maritime internationale. Celles de la France ont suivi la même voie bénéfique pour la santé publique.

Autre conséquence, esthétique et tragique : des aérosols soufrés en suspension dans l’atmosphère diffuseraient la lumière du soleil dans tous les sens. La couleur du ciel s’en trouverait changée, passant du bleu au blanc. Bien que faisable technologiquement, cette solution est donc rejetée par notre grille d’analyse, car elle engendre de nouvelles nuisances et pollutions.

Quelle conclusion ?

Notre grille d’analyse des « fausses bonnes idées » s’applique non seulement aux technologies de modification du rayonnement solaire, mais à toutes les technologies. Renvoyer le rayonnement solaire, déclencher la pluie en semant des particules dans les nuages, capturer ou stocker du carbone, modifier génétiquement des plantes, ou encore déposer sur les glaciers des couvertures réfléchissantes (comme l’a déjà fait la Suisse pour un coût exorbitant) : tout ceci doit être passé au crible de cette grille. Le technosolutionnisme, c’est-à-dire la croyance que la technologie nous sauvera des dégâts de la technologie, peut mettre en péril l’ensemble du monde vivant, humanité incluse. Elle doit être remplacée par une analyse rationnelle qui mène à l’interdiction de ces jeux d’apprentis sorciers qui ne survivent pas à l’analyse. Remplaçons l’illusoire croissance « verte » par une voie compatible avec les contraintes physiques : celle de la décroissance.

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Cet article a bénéficié de discussions avec François Briens (économiste et ingénieur en systèmes énergétiques), Jean-Manuel Traimond (auteur et conférencier) et Aurélien Ficot (épicier-libraire).

Emmanuelle Rio, Enseignante-chercheuse, Université Paris-Saclay; François Graner, Directeur de recherche CNRS, Université Paris Cité et Roland Lehoucq, Chercheur en astrophysique, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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