L’Europe va avoir une nouvelle fusée opérationnelle à l’été 2024 : Ariane 6. Le lanceur remplacera tout à la fois Ariane 5 et Soyouz. Elle est déterminante pour les ambitions spatiales du Vieux Continent.

Le nouveau lanceur européen Ariane 6 va connaître son vol inaugural le 9 juillet prochain, ce sera un jalon clé pour notre continent. À un moment où l’Union européenne monte considérablement en puissance dans le domaine spatial (programmes Copernicus d’observation de la Terre, Galileo de navigation par satellite, Iris2 de constellation de télécommunication), Ariane 6 est une constituante essentielle de la souveraineté européenne.

De plus, par la simple garantie de lancement qu’il procure, Ariane 6 crédibilise explicitement ou implicitement les offres de notre industrie des satellites sur le marché international, contribuant ainsi au renforcement de celle-ci.

Ses prédécesseurs Ariane 1/2/3/4 et Ariane 5 ayant chacune été exploitées pendant une vingtaine d’années, les actifs d’Ariane 6 ont été construits pour permettre la même durée d’exploitation.

L’importance des systèmes spatiaux pour notre société, notre économie et nos politiques publiques n’a cessé d’augmenter ces dernières décennies. Les systèmes spatiaux de télécommunication, d’observation de la Terre (y compris de météorologie), de navigation sont devenus de véritables clés de voûte pour des capacités indispensables pour de nombreux secteurs économiques (transports, communications, énergie, agriculture…), mais également pour la défense ou, plus généralement, pour notre souveraineté.

Les systèmes spatiaux contribuent grandement à l’autonomie de décision. En effet, grâce à leur accès non-intrusif à toutes les zones du globe, les systèmes spatiaux d’observation de la Terre, particulièrement ceux fournissant de l’imagerie haute résolution, ainsi que ceux de renseignement d’origine électromagnétique (ROEM, pour la détection, la localisation et la caractérisation technique des émetteurs électromagnétiques que sont les systèmes de radiocommunications ou encore les radars), sont de précieuses aides à l’appréciation des situations.

L’espace, lieu d’influence et de stratégie

L’espace contribue aussi à notre liberté d’action et au renforcement de l’efficacité de nos forces armées. Les conflits et opérations militaires récents ont vu une utilisation de plus en plus intensive des outils spatiaux. Ceux-ci permettent, en effet, de disposer, pour une opération en tout point du globe et quasiment sans délais, de capacités (commandement, contrôle, communication, renseignement, données d’environnement, localisation/navigation…) permettant à nos armées de bénéficier d’une supériorité tactique et opérative sur l’ensemble de leurs théâtres d’engagement.

Enfin, la maîtrise des outils spatiaux est un atout pour notre politique étrangère grâce à la crédibilité et à la stature stratégique qu’elle apporte. Elle constitue également une vitrine témoignant du niveau technologique de nos réalisations.

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Ariane 5 a tiré sa révérence. Place à Ariane 6 ! // Source : Numerama

En couvrant des zones très étendues, parfois difficilement accessibles, dans un laps de temps faible et avec une forte répétitivité, l’observation de la Terre depuis l’espace est indispensable pour découvrir, suivre, mesurer et interpréter des phénomènes physiques, chimiques, biologiques ou humains dont le suivi et l’anticipation sont importants pour les politiques publiques aux différents échelons, du régional au mondial. Les questions climatiques, les prévisions de ressources agricoles ou naturelles, l’occupation et l’aménagement du territoire sont autant d’exemples d’apport déterminant du spatial.

L’espace est devenu, en quelques années, un facteur essentiel de la sécurité civile. La conjugaison des outils spatiaux d’observation de la Terre, pour la prévision des catastrophes puis pour l’état des lieux, et des outils de télécommunications et de navigation, pour l’intervention sur le terrain, augmente considérablement l’efficacité des secours, alors que la catastrophe a en général neutralisé les moyens terrestres locaux. Pour les mêmes raisons, ces outils spatiaux facilitent la phase de reconstruction.

Lancement imminent d’Ariane 6

Notre souveraineté exige que ces systèmes spatiaux qui lui sont devenus indispensables soient lancés par des moyens qui nous sont propres : c’est la raison d’être du programme Ariane et, notamment, du dernier modèle Ariane 6 dont le premier lancement est imminent.

Ariane 6 est parfaitement adaptée aux missions spatiales institutionnelles et commerciales. Ses deux versions A62 (2 propulseurs latéraux d’appoint) et A64 (4 propulseurs latéraux d’appoints), conjuguées à son moteur rallumable d’étage supérieur (celui d’Ariane 5 ne l’était pas), lui permettent de couvrir une large gamme de performances et ainsi de répondre de manière optimale à des demandes de mises en orbite très variées :

  • Orbite basse (< 2 000 km d’altitude) pour l’observation de la Terre ou les constellations de télécommunication ;
  • Orbite moyenne pour Galileo (aux alentours de 15 000-25 000 km d’altitude), le système européen de navigation par satellite ;
  • Orbite géostationnaire (36 000 km d’altitude), pour les satellites de télécommunication ou de météorologie ;
  • Orbites « exotiques » pour certaines missions scientifiques ;
  • Missions dans le système solaire.

De fait, Ariane 6 vient remplacer deux lanceurs différents : Ariane 5 et Soyouz. Ce faisant, il permet une augmentation de cadence par rapport à Ariane 5, ce qui est de nature à améliorer la fiabilité technico-opérationnelle ainsi que la compétitivité, les coûts fixes d’un système de lancement étant importants.

Outre cet effet cadence, un outil de production modernisé et une définition optimisée d’Ariane 6 contribueront à une réduction des coûts unitaires de lancement de l’ordre de 40 % par rapport à Ariane 5.

Ariane 6, comme ses prédécesseurs, bénéficiera de tous les avantages et compétences du Centre Spatial Guyanais (CSG) :

  • Une latitude idéale maximisant la performance : proche de l’équateur, le CSG permet d’avoir d’emblée la bonne inclinaison d’orbite pour le géostationnaire ainsi que de bénéficier de l’effet de fronde maximal de la rotation de la Terre ;
  • Une orientation côtière permettant de couvrir toutes les orbites par des lancements en direction de la mer, en toute sécurité pour les populations et les biens ;
  • Des risques sismiques et cycloniques minimaux ;
  • Un savoir-faire et un professionnalisme des équipes s’appuyant sur un demi-siècle d’opérations de lancement.

Développée sous la maîtrise d’ouvrage de l’Agence spatiale européenne (ESA) et la double maîtrise d’œuvre d’ArianeGroup pour le lanceur et du Centre national d’études spatiales (CNES) pour le pas de tir et les adaptations de la base de lancement, Ariane 6 a pu profiter des savoir-faire accumulés dans l’industrie européenne grâce aux programmes successifs de systèmes de lancement, mais également de missiles balistiques.

Il est à noter qu’il partage certains de ses éléments avec le lanceur Vega C, également développé par l’ESA pour couvrir des missions requérant des performances moindres, notamment le propulseur solide P120C.

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Philippe Pujes, Responsable programmes systèmes de lancement, Centre national d’études spatiales (CNES)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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