« ITER, c’est un rêve, c’est une histoire d’amour », nous confie Katerina Komissarova. Elle est la coordinatrice du chantier de ce projet scientifique considéré comme le plus « grand » du monde à l’heure actuelle, par sa taille (42 hectares), son budget (pas moins de 19 milliards), sa temporalité (son histoire remonte à 2001) et… sa complexité.
Car ITER consiste ni plus ni moins à construire un soleil artificiel. Derrière ce surnom, proche des films de science-fiction, se cache en réalité un réacteur à fusion nucléaire — soit l’inverse de la fission nucléaire actuellement utilisée dans les centrales nucléaires. Nous avons visité ce lieu unique au monde dans l’épisode 2 de La France du futur, notre série documentaire soutenue par le Centre national du cinéma et de l’image animée.
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Comment fonctionne la fusion nucléaire au cœur d’ITER ?
ITER n’est pas n’importe quel type de réacteur à fusion nucléaire : c’est un tokamak. Il agit par confinement magnétique et prend la forme d’un donut. Cet anneau est une chambre à vide, dans laquelle on doit insérer quelques grammes de deux isotopes de l’hydrogène : du deutérium et du tritium.
Un intense courant et des systèmes de chauffage extérieurs, par injection de micro-ondes ou de faisceaux de particules, viennent alors chauffer et mettre sous pression ces atomes légers. Ces conditions permettent de générer un état de plasma, extrêmement chaud et dense, où les noyaux des atomes peuvent alors se rencontrer. C’est de cette rencontre que naît la réaction de fusion : cela génère des noyaux lourds d’hélium. Cette mutation libère de l’énergie, et c’est celle-ci que l’on va chercher à récupérer.
Mais il faut, auparavant, garder ce plasma sous contrôle. Sa température monte à 150 millions de degrés, ce qui est plus chaud que notre propre étoile. L’ensemble est donc enfermé dans un cryostat, une paroi maintenue à −200°C. S’ajoutent des aimants surpuissants, qui viennent confiner le plasma dans la chambre à vide en le faisant tournoyer. Raison pour laquelle le tokamak prend la forme d’un donut, afin que le plasma puisse circuler constamment en son sein, sans jamais toucher les parois, en étant sculpté en ce sens par les aimants.
Mais si le plasma est ainsi confiné dans le vide, comment en récupérer l’énergie ? L’astuce, ce sont les neutrons : ils échappent au confinement magnétique. Et tant mieux, car ils emmènent avec eux 80 % de l’énergie produite par la réaction de fusion. Ces neutrons viennent alors bombarder sans cesse les parois, où la chaleur s’accumule. Cette chaleur est censée alimenter des turbines qui, à leur tour, permettent de récupérer une énergie censée être utilisable.
Qu’est-ce que le projet ITER ?
ITER (pour International thermonuclear experimental reactor, mais aussi « chemin » en latin) n’est pas encore entré en activité. Le bouton d’allumage ne sera pas appuyé avant la décennie 2030, environ. C’est un projet de temps long. L’accord, signé entre 35 pays, a été signé en 2006 et la première pierre a été posée en 2010, mais l’assemblage n’est pas terminé. Une machine d’une telle ampleur, apte à changer le monde, ne peut se faire en un claquement de doigt. Même les pièces déjà construites et posées doivent être révisées encore et encore — dans l’immense salle que nous vous montrons dans le documentaire.
En quoi ITER pourrait changer le monde ?
L’énergie de la fusion nucléaire est décarbonée et quasi illimitée. « Décarbonnée », car son impact environnemental est minime, et contrairement à la fission nucléaire, ses déchets nucléaires sont moins nombreux et d’une durée de vie plus courte. « Quasi illimitée », car l’objectif d’ITER est de générer une fusion qui démultiplie l’énergie d’entrée, puis qui s’autoalimente. Sans compter que la puissance finale d’un réacteur à fusion nucléaire est bien supérieure à celle obtenue par toutes les centrales actuelles — charbon, pétrole, fission.
Cette nouvelle forme d’énergie pourrait donc venir compléter les énergies renouvelables. Plus précisément, pour le physicien Alain Bécoulet, chef scientifique du projet interrogé dans le documentaire, la fusion nucléaire intervient dans un second temps, dans la transition énergétique. « La transition énergétique (…) va se passer sur au moins tout le siècle. Avec chacune des solutions dites propres ou écologiques s’améliorant, et des solutions comme la fusion arrivant à terme comme un nouvel acteur très puissant, très propre. »
Le projet ITER ne présente pas les mêmes risques que les centrales nucléaires actuelles : aucun incident comme Fukushima ne peut se produire, puisqu’en quelques secondes seulement, en cas de dysfonction, et malgré la très haute température à l’intérieur du tokamak, le plasma disparaît de lui-même. Ce n’est pas tout : « Les éléments constitutifs de la réaction [de fusion nucléaire] sont répartis uniformément sur Terre », ajoute Alain Bécoulet, ce qui pourrait selon lui effacer des tensions géopolitiques quant à la possession des ressources nécessaires à cette production d’énergie.
ITER est un prototype. Il n’est pas destiné à un véritable usage pour nos villes et industries. Quand il aura fait ses preuves, un nouveau projet prendra sa suite, appelé DEMO. On se rapprochera alors davantage d’un réacteur utilisable.
La série documentaire La France du futur
Ce soleil artificiel dans la campagne française est au cœur de l’épisode 2 de notre série documentaire La France du futur :
- Journaliste : Marcus Dupont-Besnard
- Réalisatrice : Louise Audry
- Motion design : Nino Barbey
- Voix : Benoît Allemane
À découvrir également, l’épisode 1 de la série, dédiée à l’habitat de demain — la maison du futur est en paille :
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