En robotique humanoïde et grand public, la question de l’attachement à la machine est une des plus brûlantes pour le développement du marché. Saurions-nous utiliser quotidiennement un humanoïde pour lequel nous n’avons aucun attachement émotionnel ? À l’évidence non.
Et c’est donc la question que doivent soulever les designers de la robotique de demain avant chaque nouveau produit. Par exemple, souvenez-vous des ces utilisateurs qui insultaient Cortana parce qu’elle était un avatar féminin, obligeant ainsi Microsoft à mettre à jour son assistant pour qu’elle soit en mesure de répondre à des attaques d’ordre sexiste ou insultantes. En somme, Redmond venait d’apprendre la dure leçon de la personnification des intelligences artificielles ; même avec un visage, un prénom et une attention portée à ses émotions, l’humain ne « respecte » pas l’outil.
Saurions-nous utiliser quotidiennement un humanoïde pour lequel nous n’avons aucun attachement émotionnel ?
Le cas Cortana est un exemple intéressant pour comprendre le rapport entre la réussite commerciale d’une solution d’assistance artificielle et notre propre lien affectif au produit. En d’autres termes, le premier robot que l’humanité prendra au sérieux devra avoir de solides arguments affectifs.
Lorsque nous évoquons les travaux de Boston Dynamics et de ses robots, qu’il faut bien qualifier de terrifiants, nous parlons d’un segment de la robotique qui n’a pas vocation à créer un lien avec son utilisateur, surtout quand les gros chiens robotiques de la startup seront en terrain de guerre. Toutefois, dès lors qu’il s’agit de solutions grand public ayant vocation à convaincre l’acheteur de rentrer dans une nouvelle dimension de la technologie, la robotique d’assistance personnelle, vous demandez ni plus ni moins au consommateur que d’accepter de flouter ses frontières entre un produit et une entité vivante à laquelle il doit octroyer une personnalité.
À ce titre, dans la psychologie d’achat le robot assistant de type Zenbo doit revêtir la même relation qu’un jouet pour un enfant, et donc être doté de caractéristiques précises permettant un attachement et une conceptualisation subjective de l’objet en tant que personnalité.
Le robot, un jouet esclave ?
Quel rapport envisager face à un robot que l’on a acheté mais pour lequel il existe implicitement une sorte d’injonction à l’affect, parce qu’il ressemble à un petit être pensant ? Peut-on transformer un Pepper en esclave de nos désirs alors qu’il est conçu pour nous émouvoir et nous aider ? C’est tout le paradoxe.
Or c’est précisément cette marge d’interprétation de la nature de l’objet qui nous freine dès lors que nous parlons à haute voix à nos assistants personnels — soyons-honnêtes, même lorsque Siri s’avère utile pour changer de chanson pendant notre footing, nous préférions que personne nous voit lui parler.
Nous ressentons indiscutablement une honte face au regard d’autrui lorsque nous acceptons de confondre en public intelligence artificielle et entité vivante. Apple pense que prendre notre iPhone pour un humain peut nous faciliter la vie : « Ok Siri, joue Sigur Rós », et pourtant personne n’est dupe, Siri n’est pas un humain et lui parler procure un vrai malaise.
Créer pour posséder, respecter et utiliser
Cette question aussi métaphysique soit-elle, est en réalité un des premiers enjeux que devra affronter la robotique grand public et les intelligences artificielles pour véritablement se démocratiser. Tant que les humains ne pourront pas avoir un comportement à la fois naturel, mais aussi respectueux et intime à l’objet technologique, le produit ne pourra pas tout à fait s’implanter. Notamment lorsque sa principale cible reste le foyer, lieu de l’intimité s’il en est.
Les démarches des constructeurs sont pour le moment tâtonnantes. D’un côté nous avons Google qui souhaite absolument enlever toute personnalité possible à ses IA. Chez Google, on ne donne pas de prénom à son assistant. Après « Google Now », c’est désormais « Google Assistant » qui se chargera d’offrir des services d’intelligence artificielle sans aucune personnification.
Microsoft, Amazon et Apple partagent une démarche plus ambiguë : Cortana, Alexa et Siri ont déjà leur propre nom. Et comble de la tentative de personnification, chacun de ses assistants virtuels ont une fonction « raconte-moi une blague ». Pour autant vous ne leur parleriez pas encore dans la rue sans complexes, ce qui montre que l’industrie peut encore mieux faire pour les rendre socialement acceptables.
La robot et le syndrome Ikea
Et c’est précisément ce qu’ont cherché à démontrer les chercheurs S. Shyam Sundar et Yuan Sun de l’Université de Pennsylvanie. Du moins ils ont tenté d’appliquer ce qu’ils appellent le syndrome IKEA à la robotique grand public. Très prosaïquement, le syndrome IKEA c’est le sentiment gratifiant que vous récoltez à la fin de la construction de votre meuble au nom imprononçable. Bien que 10% de la population française possède le même meuble que vous, c’est vous qui l’avez construit, et vous tenez à votre meuble.
Même si c’est tout à fait illusoire parce qu’en réalité, vous n’avez fait que remonter un meuble optimisé pour voyager à plat, vous êtes plus satisfait que si vous ne l’aviez pas monté vous-même, car le meuble est désormais définitivement vôtre et une part de vous s’y est installée. Vous êtes désormais prêt à l’utiliser, le respecter et même vous y attacher alors même que la terre entière a une bibliothèque Billy — selon une étude suédoise.
Or partant de cette relation étrange de la consommation à la personnalisation, les chercheurs ont tenté de donner à 80 personnes n’ayant aucune connaissance particulières en robotique, un robot. 40 personnes ont reçu un kit dans lequel il fallait qu’ils montent eux-même l’appareil — de manière très simple, un assemblage et une configuration automatisée — et le reste du groupe a reçu le même kit mais les étapes de construction et de mise en marche ont été faites devant leurs yeux par du personnel de l’expérience.
Ensuite, les deux groupes ont été mis en relation avec leurs robots pendant une dizaine de minutes afin de compléter un questionnaire sur le lien et l’affection créés avec l’objet en fonction de leur ressenti pendant l’expérimentation. Les résultats qui n’ont été présentés que très récemment à l’International Conference on Human-Robot Interaction de Nouvelle Zélande concluent assez logiquement que les participants ayant eu à entrer dans le processus de construction du robot ont été bien plus positifs à l’égard de leur expérience avec l’objet.
Comme avec un meuble IKEA ou les puzzles de mamie, le sentiment gratifiant du « je l’ai fait moi même » change définitivement la relation à l’objet, et cela même si la participation du consommateur peut paraître dérisoire, ici, il ne s’agissait que de quelques personnalisations et d’un assemblage de pièces déjà préparées.
Si l’on ne va pas forcément se sentir responsable à l’instar d’un père devant son enfant, en créant notre propre robot nous aurons une vision bien plus claire de notre propriété sur un objet doté d’une conscience artificielle. Nous ne communiquerons plus seulement avec une IA de Google ou Apple, mais avec un outil que vous avez réalisé, abolissant l’opposition typique maître-esclave face au produit.
Nous ne communiquerons plus seulement avec une IA de Google ou Apple, mais avec un outil que vous avez réalisé, abolissant l’opposition typique maître-esclave face au produit
N’avez-vous pas porté plus d’attachement à l’ordinateur que vous avez vous même assemblé plutôt qu’à celui que vous avez acheté tout fait ? Ainsi, face à un produit aussi étrange et inclassable pour nos consciences que l’humanoïde, notre participation à sa construction change tout à fait notre rapport à lui. On va respecter l’objet qui est inéluctablement une part de nous, on va l’utiliser sans se sentir maître puisque l’assistant ne nous est pas spécialement étranger et surtout, lorsque Alexa sera le cerveau d’un humanoïde, ce qui finira par arriver vu les possibilités offertes par Amazon, vous aurez moins le sentiment de vous adresser à Amazon qu’à un produit que vous avez construit vous-mêmes et sur lequel, de fait, vous avez le sentiment d’avoir des droits.
L’analogie peut paraître naïve, mais elle donne toutefois à penser : lorsque Carlo Collodi écrit Pinocchio, l’auteur nous parle de l’amour d’un métier, et en sortant du bois de noyer un jeune garçon, seule la croyance inébranlable de Gepetto donnera vie au pantin de bois. La création appartient infiniment à son créateur, au moins dans son affect le plus profond. Et c’est peut-être le compromis que devront faire les géants de la tech avec la robotique : accepter que les robots soient autant nos objets que leurs produits.
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