Le problème de la pollution de la Seine, qui a fait les gros titres de la presse en cette période de Jeux Olympiques, est en fait une conséquence d’un problème plus large : le traitement de notre caca.

Après les infections alimentaires liées à la contamination fécale de coquillages début 2024, voilà que les épreuves de natation dans la Seine pour les Jeux olympiques 2024 sont à nouveau au centre des débats en raison d’un problème similaire. Les matières fécales peuvent en effet contenir des microorganismes pathogènes à l’origine de maladies infectieuses entériques (gastro-entérite, choléra, typhoïde, etc.) qui se transmettent souvent par les mains ou par l’ingestion d’eau ou d’aliments souillés par des matières fécales de personnes contaminées.

En juin dernier encore, les bactéries indicatrices de contamination fécale mesurées en Seine (Escherichia coli et entérocoques intestinaux) laissaient supposer la présence de pathogènes dans les eaux de surface susceptibles de poser des risques pour la santé des athlètes. La situation s’est améliorée début juillet à la faveur du beau temps (la pollution de l’eau de la Seine étant favorisée, on le verra plus bas, par les fortes pluies qui contribuent à faire déborder les égouts dans les eaux pluviales), ce qui a permis la baignade de la maire de Paris Anne Hidalgo le 17 juillet 2024.

Il existe de bonnes raisons de prendre ce sujet au sérieux. Au Royaume-Uni, au moins 57 personnes ont été malades après une épreuve de natation en mer en 2023. Le problème n’est pas nouveau : il s’est également posé à l’occasion des Jeux olympiques de Rio en 2016.

Face à ces pollutions, des mesures ne sont prises que quand les enjeux économiques et pour la société sont élevés, comme les épreuves de natation dans la Seine lors des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024. Mais les mesures prises sont essentiellement curatives. Bien qu’utiles, elles ne prennent pas le problème à la source.

Aux origines de nos problèmes de matières fécales

Cette situation est largement due à la gestion des matières fécales par le tout-à-l’égout, système qui s’est déployé depuis le XIXe siècle dans les pays à revenus élevés où la ressource en eau est abondante. Bien que les eaux usées soient désormais principalement traitées dans les stations d’épuration, ces systèmes ne sont souvent pas conçus pour éliminer efficacement les pathogènes fécaux. De ce fait, les risques sanitaires persistent. En France, seulement 1,6 % des stations de traitement des eaux usées (STEU) sont équipées d’un traitement désinfectant.

En outre, dans beaucoup de villes, et à Paris en particulier, les eaux usées domestiques sont, par temps de pluie, mélangées aux eaux de ruissellement dans un égout dit unitaire, où les eaux usées et les eaux pluviales transitent par une seule et même canalisation. Ces égouts possédant des capacités forcément limitées, cela entraîne mécaniquement, à chaque pluie dépassant une certaine intensité, des déversements d’eaux pluviales mélangées aux eaux usées domestiques. Et par là, de matières fécales dans la Seine.

Mais alors, comment se fait-il que l’égout soit considéré, avec l’alimentation en eau potable, comme la plus grande avancée médicale depuis 1840 ?

Nous avons montré dans nos travaux que l’efficacité sanitaire du tout-à-l’égout dans la gestion des matières fécales manquait de preuves précises, notamment parce que le tout-à-l’égout a souvent été déployé à une période où d’autres pratiques ont amélioré la santé publique (alimentation en eau potable, meilleur accès aux soins, meilleure alimentation, etc.).

L’argument selon lequel le tout-à-l’égout aurait largement contribué à la baisse de mortalité liée au choléra à Paris au XIXe siècle, en particulier, ne se vérifie pas dans les faits. En effet, le tout-à-l’égout n’apparaît à Paris qu’à la toute fin du XIXe siècle, à une époque où la baisse de mortalité liée au choléra a déjà eu lieu, comme le montre le graphe ci-dessous, extrait de la thèse de Paul Minier, sur laquelle s’appuie cet article.

Le taux de mortalité associé au choléra à Paris (en bleu) diminue drastiquement avant que le taux de raccordement des immeubles au tout-à-l’égout (en orange) augmente : ce n’est donc pas le raccordement au tout-à-l’égout qui cause la baisse de mortalité.
Le taux de mortalité associé au choléra à Paris (en bleu) diminue drastiquement avant que le taux de raccordement des immeubles au tout-à-l’égout (en orange) augmente : ce n’est donc pas le raccordement au tout-à-l’égout qui cause la baisse de mortalité. // Source : Thèse de Paul Minier

Ce n’est donc pas le fait spécifique que les matières fécales soient évacuées par les égouts qui a été le facteur décisif dans la diminution de la mortalité associée aux épidémies de choléra successives du XIXe siècle à Paris.

La décision du passage au tout-à-l’égout à Paris (loi du 10 juillet 1894 relative à l’assainissement de Paris et de la Seine) a rencontré de très nombreuses oppositions, y compris de certains hygiénistes qui voyaient dans le tout-à-l’égout un moyen de disséminer systématiquement les pathogènes au lieu de les confiner. Au début du XXe siècle, on pouvait lire dans des manuels d’assainissement que le choix de sacrifier les milieux aquatiques en y déversant les eaux usées avait été réalisé de manière consciente et assumée.

Structurellement, ce choix va non seulement entraîner une pollution des milieux aquatiques, mais aussi un transfert de la responsabilité de la protection de la santé publique. Le système de tout-à-l’égout ne fait que déplacer le danger de l’intérieur des villes vers l’environnement, créant un risque sanitaire important pour les personnes vivant en aval des rejets.

Dans de nombreux pays industrialisés comme la France, d’autres barrières ont été établies pour limiter ce risque : traitement de l’eau de consommation, restrictions de baignade, interdiction de vente de coquillages lorsque des pathogènes sont détectés, sans oublier le dernier des remparts sanitaires : le système de santé.

La maîtrise du risque infectieux entérique ne repose donc pas sur l’établissement d’une barrière entre les déjections humaines et l’environnement – ce que l’on pourrait appeler « assainissement » –, mais aussi sur le maintien d’une barrière entre un environnement contaminé et les différents usages de l’eau, en particulier l’eau potable.

Des salles d'eau qui portent bien leur nom // Source : Markus Spieske
Des salles d’eau qui portent bien leur nom // Source : Markus Spieske

Critiquer l’égout, un vrai sujet de société

La critique de ce système n’a jamais cessé tout au long du XXe siècle, mais le verrouillage sociotechnique autour du tout-à-l’égout s’est renforcé par l’urbanisation, l’industrialisation, le confort apporté pour l’utilisateur et le passage à une économie basée sur des ressources fossiles.

Les mesures proposées dans le cadre de ce système sont essentiellement curatives : désinfection des eaux usées, vérification des mauvais branchements dans les zones où les réseaux d’eaux usées domestiques et d’eaux pluviales sont séparés, stockage des eaux susceptibles de se déverser lors des pluies intenses et transport de ces eaux en aval des zones de baignade… Bien que ces solutions permettent de réduire la contamination microbiologique, elles ne l’éliminent pas entièrement et laissent subsister des risques sanitaires.

Ce modèle d’assainissement pose la question de son déploiement à une échelle plus vaste, notamment dans les pays en voie de développement. Aujourd’hui encore, une personne sur quatre dans le monde n’a pas accès à une eau potable exempte de contamination microbiologique. Dans ce contexte, le rejet des eaux usées dans le milieu récepteur peut avoir des effets dramatiques sur la santé des populations situées en aval du rejet. Le tout-à-l’égout y est considéré comme la pire solution sur le plan sanitaire.

La gestion des fèces par le tout-à-l’égout, même si elle est devenue la norme dans les villes des pays occidentaux, n’est pas la seule manière de gérer les matières fécales. D’autres systèmes existent, basés sur une gestion différenciée des effluents et communément nommés « séparation à la source ».

En effet, plus de 99,9 % de la contamination microbiologique présente dans les eaux usées provient des matières fécales, alors qu’elles ne représentent que 0,1 % du volume des eaux usées produites par personne et par jour. Séparer les matières fécales des eaux usées permettrait ainsi de retirer la quasi-totalité du risque. « La meilleure façon de gérer le danger, c’est de le confiner ! », comme le rappelait Paul Minier dans sa participation à l’édition 2024 du concours Ma thèse en 180 secondes.

Ces autres systèmes reposent souvent sur une gestion sèche des matières fécales afin de limiter leur dilution. Ils ont été la norme pendant des siècles et se réinstallent progressivement en France, en milieu rural, mais aussi en milieu urbain. Aujourd’hui, ils sont à nouveau déployés au cas par cas. En témoignent des projets par exemple en Bretagne ou à Bordeaux.

La litière nous sauvera-t-elle ?

Historiquement, ces systèmes ont posé problème pour l’évacuation des matières et la diffusion d’odeurs nauséabondes dans les immeubles et les rues, notamment lors de la vidange. Ces désagréments ne sont pas une fatalité, pour autant que l’on accorde du soin à la gestion des matières fécales. En observant les pratiques des utilisateurs sur le terrain, il apparaît que la gestion sèche des matières fécales pourrait offrir une meilleure maîtrise du risque sanitaire en confinant les matières de la toilette jusqu’à un traitement hygiénisant.

Les filières de gestion des matières fécales par voie sèche pourraient offrir une solution structurelle pour contenir le risque sanitaire. Il suffirait de mesures simples, par exemple :

  • l’usage de contenants fermés et verrouillés pour éviter les risques de renversement pendant le stockage et le transport,
  • dans les configurations où le traitement peut être fait sur place, le compostage pendant une durée de deux ans garantit une hygiénisation des matières.
  • Il convient d’être vigilant pour éviter la formation de lixiviats, en particulier en protégeant le compost des intempéries et en empêchant les infiltrations.

Le contexte global du dérèglement climatique et de dépassement de nombreuses limites planétaires nécessite de repenser nos modes de vie, dont l’assainissement fait partie intégrante. Aujourd’hui, le tout-à-l’égout est considéré comme un aboutissement technique et sanitaire pour la gestion des excréments humains, mais il a été démontré que celui-ci est largement sous-optimal, aussi bien en termes sanitaires, de gestion de l’eau, de gestion des composés azotés et phosphorés (il faudrait boucler les cycles de l’azote et du phosphore) et en termes économiques.

D’autres solutions, on l’a vu, existent pourtant à l’échelle locale. Les filières par voie sèche permettent de séparer les matières fécales des eaux usées et de réduire largement leur contamination. Si elles sont mises en œuvre avec rigueur, en maintenant les matières confinées des toilettes jusqu’au traitement hygiénisant, ces filières peuvent protéger à la fois la santé humaine et l’environnement. Il est primordial de garantir que la gestion des matières soit correctement effectuée, soit sur place chez l’habitant, soit qu’une filière soit mise en place pour la collecte des matières, permettant ainsi leur transport vers des sites de traitement situés en dehors des zones densément peuplées.

Un des défis de nos sociétés est désormais d’arriver à créer les conditions du déploiement de pratiques plus vertueuses, sur les plans écologiques, sanitaires et économiques, à grande échelle.The Conversation

Paul Minier, Docteur en sciences et techniques de l’environnement, École des Ponts ParisTech (ENPC); Bruno Tassin, Directeur de recherche, sciences de l’environnement, École des Ponts ParisTech (ENPC) et Fabien Esculier, Chercheur, coordonnateur du programme de recherche-action OCAPI au LEESU, École des Ponts ParisTech (ENPC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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