Le Suédois Armand Duplantis a encore établi un record du monde au saut à la perche, avec un passage à 6,25 mètres lors des Jeux olympiques de Paris 2024. Jusqu’où l’athlète pourrait-il aller ? Voilà ce que dit la physique.

Lundi 5 juillet, Armand Duplantis a non seulement obtenu la médaille d’or du saut à la perche, il l’a décrochée avec un geste superbe qui va au-delà des Jeux olympiques. Face à des concurrents, Sam Hendricks et Emmanuel Karalis, qui avaient sauté respectivement 5,95 m et 5,90 m, il a commencé par effectuer un saut à 6 m, ce qui lui assurait la médaille d’or. Mais il lui restait trois essais à sa disposition et après une première barre « d’échauffement » à 6,10 mètres pour battre le record olympique, il a demandé que la barre soit placée à 6,25 m, soit 1 cm de plus que son précédent record du monde, établi au mois d’avril en Chine ! Façon de dire : être le meilleur aux JO, c’est bien, mais être le meilleur absolu, n’est-ce pas mieux ? Pari tenu, comme on l’a vu.

L’histoire des records du monde

Si l’on ne tient pas compte des vingt ans qui suivent le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale — où l’humanité avait d’autres priorités que de sauter à la perche — le record du monde a progressé régulièrement depuis 1910 jusqu’au milieu des années 1990, à un rythme d’environ 2,5 cm par an.

Saut à la perche quelle est la limite physique
L’évolution du record du monde. // Source : Capture d’écran

En revanche, depuis, la progression est bien plus faible : Sergueï Bubka a été le premier à passer les 6 m, en 1985, et il a gardé son record mondial de 6,15 m, obtenu en 1993, jusqu’à ce Renaud Lavillenie le détrône en franchissant 6,16 m en 2014. Il a donc fallu 21 ans d’efforts des perchistes pour gagner 1 cm ! Armand Duplantis, pour sa part, a amélioré ses propres records du monde au rythme de 2 cm par an, passant de 6,17 m en 2020 à 6,25 m en 2024. Est-ce le signe d’un nouveau rythme d’évolution ?

La physique pour y voir plus clair dans le saut à la perche

Un saut à la perche se déroule en trois phases :

  • Le sauteur court et atteint sa vitesse maximale (v) en bout de course.
  • Il bloque sa perche contre un butoir à la verticale de la barre, et transfère son énergie de mouvement en énergie élastique de la perche qui se plie.
  • La perche se détend en restituant cette énergie élastique et propulse le perchiste dans les airs.

Appelons H l’élévation de son centre de gravité. La description détaillée de l’ensemble du mouvement sauteur + perche parait à première vue très compliquée, mais une approche purement énergétique rend les choses étonnamment simples. En effet, le rôle de la perche est simplement de transformer l’énergie associée à la course du sauteur, son énergie cinétique 1/2Mv2, en énergie potentielle gravitationnelle MgH, où g désigne l’accélération de la pesanteur et M la masse du perchiste. Une bonne perche doit assurer ce transfert en emmagasinant elle-même aussi peu d’énergie que possible (vibration, déformation permanente).

Mondo Duplantis // Source : Canal+
Mondo Duplantis s’est imposé comme le crack incontesté du saut à la perche. // Source : Canal+

Les perches en fibre de carbone, introduite en 1964, après celles en métal et les premières en bambou, ont permis d’améliorer considérablement les performances des perchistes jusqu’aux années 1990, justement pour cette raison : elles avaient un bien meilleur rapport de restitution de l’énergie.

Dans ces conditions, la perche idéale est celle qui transfère entièrement l’énergie cinétique en énergie de gravitation. Du coup, on peut écrire directement ½ Mv2 = MgH, d’où H = v2/(2g). Cela montre que la vitesse de pointe est cruciale pour déterminer la hauteur du saut. En prenant une vitesse de 10 m/s, on trouve H = 5,10 m… Comment, 5,1 m ? Mais on est loin du compte des 6 m et plus ! Mais, attention, le centre de gravité du sauteur ne se trouve pas initialement au niveau du sol, n’est-ce pas ? Il est debout et a son centre de gravité autour de 1 m. Donc la barre peut être placée à 5,1 + 1 = 6,1 m. CQFD.

Comment expliquer, dans ces conditions, des sauts au-delà de cette estimation favorable – puisqu’on a considéré une perche idéale qui n’absorbe aucune énergie ? Si l’on observe un saut avec attention, on constate que le sauteur a la possibilité, lorsque la perche passe à la verticale, de prendre appui sur elle avec ses bras pour se pousser vers le haut juste avant d’enrouler son corps autour de la barre : il y a là des centimètres précieux à gagner !

Où placer la barre à l’avenir pour Armand « Mondo » Duplantis ?

Augmenter la vitesse en fin de course serait décisif : prenons le cas limite du record du monde du 100 m par Usain Bolt. Il a couru le 100 m en 9,58 s, ce qui donne une vitesse moyenne de 10,44 m/s, mais sa vitesse de pointe a été enregistrée à 12,42 m/s. Si un sauteur à la perche pouvait atteindre cette vitesse en fin de course, le calcul précédent indique qu’il pourrait passer une barre à… 8,86 m ! Évidemment, il faudrait être capable d’atteindre cette vitesse en portant contre soi une barre de plus de 7 mètres de long et d’environ 15 kg ! Pour le moment, avec une vitesse de pointe enregistrée pour Armand Duplantis de 10,3 m/s, le calcul (toujours avec une perche parfaite) donne une hauteur de 6,41 m. La différence avec la performance du perchiste est sans doute à mettre sur le compte de l’imperfection de la perche. Avec une vitesse de 10,5 m/s, la hauteur franchie passe à 6,62 m. On voit qu’il y a encore de la marge de progression par rapport au record actuel de 6,25 m !

Sans compter ce que l’on peut gagner en améliorant la façon de pousser sur la perche au passage de la barre. Bref, il y a encore des surprises à attendre : vivement les Jeux olympiques de 2028 à Los Angeles !

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Jacques Treiner, Physicien théoricien, Université Paris Cité

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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