Les orages surviennent partout dans le monde et à tout moment de l’année, mais ils sont plus intenses et plus fréquents dans les régions tropicales, et, sous nos latitudes, en été. En effet, les orages et la canicule sont étroitement liés, car la chaleur accumulée pendant les périodes de beau temps est le carburant qui alimente les orages les plus intenses.
Néanmoins, pendant les vagues de chaleur, les modèles atmosphériques et les météorologues prévoient souvent des orages « dans les prochains jours »… mais ces tempêtes ne se produisent pas et semblent éternellement repoussées.
Alors, les météorologues souffrent-ils d’hallucinations ? Et bien non – il ne s’agit pas seulement d’une impression due à l’impatience du public qui aspire à un rafraîchissement. Il y a de vraies raisons scientifiques qui rendent particulièrement difficile de prévoir quand une vague de chaleur sera finalement interrompue par un épisode orageux, rafraîchissant, mais parfois destructeur.
Un orage requiert chaleur, humidité et complexité
Pour comprendre ce qui se passe, il faut d’abord comprendre ce qu’est un orage. Les orages sont une valve utilisée par la nature pour dissiper l’énergie excessive accumulée près de la surface de la terre sous forme de chaleur et d’humidité. Cette énergie est stockée dans la « couche limite planétaire », dont l’épaisseur varie de quelques centaines de mètres à 2-4 kilomètres l’été.
On le voit très bien si l’on regarde un orage d’en haut en accéléré : il ressemble à des bulles émergeant du fond d’une casserole lorsque l’eau commence à bouillir et que la vapeur, plus légère que l’eau liquide, veut s’échapper vers la surface.
En été, notamment pendant les vagues de chaleur, la température monte près de la surface de la Terre. Souvent une grande quantité d’humidité y est également piégée, qu’elle provienne de la mer toute proche ou qu’elle s’évapore de la végétation. Cet air chaud et humide est moins dense que l’air en altitude (donc plus léger), et il veut s’élever vers le sommet de l’atmosphère – une élévation qui libérerait l’énergie accumulée à basse altitude.
Mais les choses ne sont pas si simples : les vagues de chaleur sont liées à des systèmes de haute pression, également appelés « anticyclones ». Ces systèmes de haute pression compriment l’air vers le sol, supprimant tout mouvement ascendant et empêchant donc l’air de monter.
L’énergie dans la couche limite planétaire s’accumule… et se prépare à être libérée de manière explosive comme un pistolet chargé. « Loaded gun », c’est d’ailleurs le terme utilisé par les météorologues américains pour communiquer sur les situations météorologiques particulièrement dangereuses qui conduisent aux vagues d’orages extrêmes et de tornades, et qui affectent les États-Unis plus que toute autre région de la planète.
Un exemple emblématique est la vague d’orages et de tornades qui a frappé les États-Unis du 25 au 28 avril 2011 : ces jours-là, 200 tornades ont frappé cinq États du sud, causant plus de 300 morts. Des conséquences fatales, alors même que la tempête avait été bien prévue à l’avance, et que les météorologues avaient reconnu le terrible potentiel d’une atmosphère en « pistolet chargé » (loaded gun).
Quels détonateurs pour les « pistolets chargés » atmosphériques
De multiples phénomènes peuvent servir de détonateur pour libérer l’énergie et déclencher les orages. Dans certains cas, la présence d’une montagne suffit : agissant comme un trampoline, la montagne oblige l’air à monter, parfois suffisamment pour atteindre des altitudes où il est alors capable de continuer seul, et enfin de libérer l’énergie. C’est la raison pour laquelle, dans des régions comme les Alpes et le Massif central, les orages estivaux se produisent souvent alors que le reste du pays est encore sous un temps très chaud et sec.
Parfois, l’anticyclone devient simplement très vieux et commence à se dégrader, ou bien il est remplacé par un système dépressionnaire : le premier jour où la pression a suffisamment baissé, le soleil de l’après-midi chauffe la surface au point que l’air sort enfin de sa prison anticyclonique.
Une autre cause fréquente de déclenchement d’orages est l’arrivée d’une masse d’air froid : beaucoup plus dense que l’air chaud sous le dôme anticyclonique, elle agit comme un coin pour fendre le bois, en soulevant abruptement l’air chaud près du sol.
Un autre élément déclencheur possible est le passage de forts courants de vent en altitude, dans lesquels la direction du vent diverge, comme une route à quatre voies qui se divise en deux routes à deux voies allant dans des directions légèrement différentes. Cela crée une sorte de vide dans la haute atmosphère, qui doit être compensé par une remontée d’air près du sol.
La plupart du temps, on observe une combinaison de phénomènes.
Par exemple, nous pouvons examiner la situation météorologique présente sur la France le 20 juin 2023, telle que vue par la réanalyse du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF). Ce jour-là, des orages violents se sont développés sur la France, produisant de gros grêlons, des tempêtes de vent, de nombreux éclairs et des nuages spectaculaires.
Ce jour-là, un fort anticyclone était encore présent sur l’Europe centrale, tandis que la France était approchée par un système de basse pression entre le Royaume-Uni et l’Islande. De plus, le gradient de pression sur la France était également lié à un couloir de vents divergents dans les niveaux supérieurs de l’atmosphère, tandis que de l’air plus chaud que la normale s’attardait encore sur le pays : une recette parfaite pour la formation d’orages.
Tant de difficultés à prévoir un phénomène pourtant très banal
Les météorologues savent donc ce que sont les orages et comment ils fonctionnent. Alors, pourquoi avons-nous du mal à les prévoir ?
Parce que le fait que de multiples facteurs concourent à la formation des orages implique également de multiples sources d’erreur.
En effet, les modèles de prévision météorologique sont très fiables à un horizon de quelques jours, après quoi leurs performances tendent à diminuer. En cas d’anticyclone anormalement persistant, le modèle produit souvent une prévision erronée de son affaiblissement (avec orages associés), et cette prévision se voit corrigée au fur et à mesure, repoussant les prédictions d’orages plus loin dans le futur. Parfois, lorsque l’anticyclone s’affaiblit effectivement, les conditions ont changé par rapport à la prévision précédente, de sorte que la fin de la vague de chaleur n’est plus associée à des orages. C’est un peu un « effet mirage ».
Dans de nombreux cas, la situation est encore plus compliquée. Bien qu’ils soient puissants et spectaculaires, les orages sont assez petits en taille par rapport à l’ensemble d’un système de haute pression. Certains des éléments que nous avons évoqués et qui les produisent peuvent être affectés par des variations environnementales même minimes. Par exemple, le vent de haute altitude peut être un peu plus faible ou moins divergent, ou le ciel un peu plus nuageux le matin, ce qui suffit à consommer l’énergie avant que les orages ne se déclenchent.
Les orages ont toujours été considérés comme peu prévisibles et volatils, et ce pour de bonnes raisons. Les progrès scientifiques futurs, notamment les efforts continus pour améliorer la description de la physique de l’atmosphère, mais aussi l’essor de l’intelligence artificielle dans le domaine des prévisions météorologiques permettront de les prévoir de mieux en mieux au fil du temps.
Cependant, les prévisions ne seront jamais parfaites, en raison de la nature chaotique de l’atmosphère, qui amplifie même la plus petite (et inévitable) erreur affectant les conditions initiales de la prévision.
Les canicules interminables et les orages imprévus (ou mal prévus) sont ainsi une occasion de s’émerveiller encore de la nature… et d’être un peu indulgent envers votre météorologue favori !
Flavio Pons, Post-doctorant au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE), CEA, CNRS, UVSQ, Université Paris-Saclay
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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