Afin d’étudier les capacités de cognition et de communication des moutons, l’IRM est un formidable outil pour obtenir des images de leur cerveau. Il a fallu plus de neuf mois d’entraînement pour que des moutons soient capables de rester immobiles pendant plusieurs minutes afin d’obtenir des images de bonne qualité. Avant cette étude le chien était la seule espèce qui avait pu réussir cet entraînement.

Le mouton est un animal social qui vit en groupe et utilise différents moyens de communication avec ses congénères (visuels, auditifs, olfactifs…). Dans le cadre de mon projet de thèse, je m’intéresse à la manière dont les moutons interagissent entre eux par le biais de leurs bêlements. Pour cela, j’utilise l’imagerie par résonance magnétique (IRM), une technique de neuro-imagerie non invasive qui permet d’explorer le fonctionnement du cerveau.

Toutefois, quelle que soit l’espèce, l’IRM impose une contrainte majeure : le participant doit rester immobile plusieurs minutes (jusqu’à cinq minutes consécutives) pendant toute la durée de l’examen, qui se déroule dans un environnement bruyant – jusqu’à 120 décibels (équivalent à un circuit de Formule 1) – et confiné dans un tunnel étroit.

Un mouton dans la machine d’IRM.
Un mouton dans la machine d’IRM. // Source : Camille Pluchot

Les conditions spécifiques de l’environnement de l’IRM (immobilité, bruit, confinement) peuvent générer une appréhension, voire un stress chez le participant. Pour les moutons, rester immobile représente un véritable défi, et jusqu’à présent l’anesthésie était la seule méthode employée pour réaliser des IRM avec cette espèce.

Éviter l’anesthésie pour avoir un mouton éveillé

Bien que l’anesthésie facilite l’obtention d’images exploitables, elle comporte des risques pour l’animal, tels que des effets secondaires (problèmes respiratoires et/ou cardiovasculaires, réveil difficile, allergie aux agents anesthésiques…) et du stress. Elle modifie également l’activité cérébrale, ce qui compromet l’étude du fonctionnement du cerveau. Pour ces raisons, nous avons choisi de ne pas recourir à l’anesthésie générale. Nous nous sommes donc lancé le défi de réaliser des examens IRM avec des moutons éveillés et sans recours à la contention.

Jusqu’ici, le chien était la seule espèce animale non humaine à avoir été entraînée avec succès pour réaliser de telles prouesses.

En nous inspirant de leurs méthodes, nous avons élaboré un protocole d’entraînement IRM basé sur le renforcement positif (récompense alimentaire, caresses), adapté aux moutons, afin de répondre à la question suivante : comment parvenir à ce qu’un mouton reste immobile pendant toute la durée de l’examen IRM, dans un espace confiné et bruyant, tout en étant séparé de ses congénères ?

es interactions positives jouent un rôle très important dans l’apprentissage
es interactions positives jouent un rôle très important dans l’apprentissage. // Source : Camille Pluchot

Nous sommes quatre entraîneurs (Scott Love, Céline Parias, Didier Dubreuil et moi) à avoir accepté de relever le défi ! Dès la naissance des agneaux, nous avons réalisé des interactions positives avec eux deux fois par jour, tous les jours de la semaine pendant un mois, à la nurserie de l’Unité expérimentale de physiologie animale de l’Orfrasière, au centre INRAE Val de Loire, à Nouzilly (Indre-et-Loire). Lors de ces interactions positives, nous nous placions dans le parc des agneaux et attendions qu’ils viennent interagir avec nous. Puis nous leur proposions des exercices en lien avec l’IRM.

Un entraînement qui commence à la naissance pour préparer le test IRM

Cette phase d’habituation nous a permis d’identifier les agneaux les plus familiers avec les entraîneurs et les plus réceptifs aux exercices. Nous avons alors choisi dix agneaux (cinq femelles : Maggie, Brook, Lily, Barnita, Robin ; cinq mâles : Joe, Ted, Léonard, Jackson, Tony) pour participer au protocole d’entraînement IRM.

Étant donné que ce type de protocole n’avait jamais été réalisé auparavant, et que l’IRM est une machine coûteuse qui aurait pu être accidentellement endommagée par nos animaux inexpérimentés, nous avons jugé trop risqué de débuter les entraînements dans les conditions réelles. Nous avons donc réalisé une première phase d’entraînement au sein de la bergerie de l’UEPAO.

Pour ce faire, les équipements IRM ont été reproduits en bois et en plastique, avec les mêmes dimensions que la machine réelle, incluant la table mobile, le tunnel, l’antenne IRM et le sol en lino. Au cours de cette phase, les dix agneaux ont été entraînés de manière individuelle, séparés de leurs congénères. Ils ont appris à monter une rampe pour se coucher sur la réplique de la table IRM, à accepter que celle-ci se déplace d’avant en arrière, et à rester immobiles plusieurs minutes, la tête dans la réplique de l’antenne IRM, à l’intérieur du tunnel. Les agneaux ont également été habitués aux bruits de la machine en utilisant une enceinte dont le volume a été augmenté progressivement. Au cours de cette phase, nous avons accompli une partie de notre protocole d’entraînement : enseigner à nos moutons à rester immobiles plusieurs minutes dans un espace confiné et bruyant, tout en étant séparés de leurs congénères. Il nous restait cependant à valider ce protocole dans les conditions réelles et à réaliser des examens IRM avec eux.

Pour l’entraînement, un faux IRM a été construit.
Pour l’entraînement, un faux IRM a été construit. // Source : Camille Pluchot

Grâce au lien de confiance tissé entre l’entraîneur et le mouton, combiné à leur coopération lors des entraînements, nous étions sereins que les moutons ne risquaient ni de détériorer la machine, ni de se blesser. Nous avons donc poursuivi les entraînements dans la salle IRM de la plate-forme d’imagerie PIXANIM (Phénotypage par imagerie in et ex vivo de l’animal à la molécule). Les moutons ont été habitués à ce nouvel environnement : une salle faiblement éclairée, où la température ne dépasse pas 19 °C, et dans laquelle le bruit de la machine IRM est omniprésent. Les moutons ont également été habitués à la présence du personnel technique. Un examen IRM dure environ cinq minutes et pour obtenir des données exploitables, l’animal doit avoir effectué l’examen dans son entièreté, et être resté immobile pendant l’examen.

Après neuf mois d’effort, une première scientifique

Dans ces conditions, il a fallu plusieurs semaines d’entraînement pour que les moutons réussissent les comportements appris lors de la précédente phase. Finalement, le protocole d’entraînement a été couronné de succès, aboutissant à l’obtention d’images IRM du cerveau exploitables pour six des dix moutons, d’une qualité équivalente à celles obtenues sous anesthésie générale. Ces résultats, qui témoignent de notre approche novatrice, ont été publiés dans le journal Behavior Research Methods. Depuis, trois autres moutons ont également réussi l’examen IRM.

Nous avons donc relevé le défi de réaliser des examens IRM avec des moutons éveillés et sans contention. Ce succès illustre non seulement la faisabilité de notre protocole d’entraînement, mais également les capacités d’apprentissage des moutons. Forts de notre expérience en tant qu’entraîneurs, nous tenons à souligner l’importance d’une relation positive avec le mouton, indispensable pour établir et maintenir un lien de confiance, ainsi qu’une coopération volontaire pendant les entraînements et les examens IRM.

L’obtention d’images IRM du cerveau de nos moutons éveillés est une étape clé qui nous permet de poursuivre les examens IRM dans le cadre de mon projet de thèse. Cette réussite ouvre la voie à des études d’IRM fonctionnelle respectueuses du bien-être animal, pour explorer la cognition chez le mouton. L’expérience IRM se poursuit donc aujourd’hui ! Les moutons réalisent un examen IRM deux fois par semaine. Ils ont appris à porter des écouteurs diffusant divers sons (ex. fréquences pures, bêlements, bruits environnementaux, vocalisations animales…), ce qui nous permet d’étudier leur cortex auditif. Nous identifions les régions du cerveau activées en réponse à ces sons, nous offrant de nouvelles perspectives pour l’étude de la perception et du traitement de l’information auditive chez le mouton.

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Camille Pluchot, doctorante en neuroéthologie, Inrae

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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