En cas d’allergie à un antibiotique, les praticiens sont forcés d’opter pour des molécules alternatives qui peuvent être moins efficaces, présenter plus d’effets secondaires ou favoriser l’émergence de résistances bactériennes. Or, neuf personnes sur dix qui se déclarent allergiques aux antibiotiques ne le sont pas en réalité…

Près d’une personne sur dix se pense allergique à certains antibiotiques, selon les études menées sur le sujet.

Cette information est souvent enregistrée dans le dossier médical personnel, consulté par ses professionnels de santé. Pourtant, dans plus de neuf cas sur dix, ladite allergie aux antibiotiques n’existe pas, les symptômes qui ont été à l’origine de la suspicion d’allergie découlant en réalité d’autres problèmes.

Or, se penser à tort allergique aux antibiotiques peut avoir des conséquences délétères pour sa santé, notamment parce que cela peut priver les patients concernés de traitements efficaces.

C’est quoi une allergie aux antibiotiques ?

Les allergies aux antibiotiques sont le résultat de réactions inappropriées du système immunitaire. Il en existe deux types : les allergies immédiates et les allergies retardées.

Les allergies immédiates sont dues à des anticorps spécifiques (IgE). Elles surviennent instantanément, mais résultent d’une sensibilisation préalable, asymptomatique, qui a pu se produire des années plus tôt, à la suite d’une première rencontre avec la molécule à l’origine de l’allergie (souvent dans l’enfance, voire pendant la vie intra-utérine).

Les allergies retardées surviennent quant à elles 48 à 72h après la prise de l’antibiotique. Elles n’impliquent pas les anticorps, mais des cellules immunitaires, les lymphocytes T. Elles se traduisent généralement par une éruption cutanée de gravité variable.

En cas d’allergie, le type de réaction qui survient est propre à chaque personne. Exceptionnellement, la réaction allergique peut être grave, avec un risque de décès, du fait, par exemple, d’un choc anaphylactique (une réaction allergique immédiate exacerbée généralisée). Toutefois, les réactions non graves, telles que des éruptions cutanées, sont les plus fréquentes.

Ce qui n’est habituellement pas une allergie aux antibiotiques

Après une prise d’antibiotiques, il peut arriver que des symptômes se manifestent sans pour autant que ceux-ci ne traduisent une réaction allergique. En effet, comme tout médicament, les antibiotiques peuvent produire divers effets indésirables.

Les plus fréquents sont les nausées, les diarrhées ou les mycoses. Citons par exemple les candidoses buccales ou vaginales, des mycoses dues à de microscopiques champignons (levures appartenant au genre Candida), qui prolifèrent en profitant du fait que les antibiotiques perturbent la flore bactérienne avec laquelle ils sont habituellement en compétition.

Ces effets indésirables ne contre-indiquent pas le traitement par antibiotiques, et peuvent être pris en charge par des traitements.

roséole
Chez les enfants, certaines maladies peuvent provoquer des éruptions cutanées sans lien avec la prise d’antibiotiques. // Source : Bethany Petrik

Par ailleurs, il faut également savoir que la majorité des éruptions cutanées ne sont pas non plus d’origine allergique, mais sont souvent dues à l’infection initiale. Chez l’enfant notamment, les éruptions cutanées fébriles peuvent être dues à des virus (en particulier le parvovirus B19 et le virus de la roséole).

Soulignons également que les patients atteints de mononucléose infectieuse, maladie due au virus EBV (Epstein-Barr virus), peuvent parfois aussi recevoir des antibiotiques (alors qu’ils ne sont pas efficaces sur les virus), notamment du fait de difficultés diagnostiques. Il est alors fréquent qu’une éruption cutanée survienne après une prise d’amoxicilline, sans que ce ne soit une allergie à cet antibiotique.

Se croire à tort allergique n’est pas sans risque

La réponse est simple : se croire à tort allergique à la pénicilline est une perte de chance potentielle considérable en cas d’infection.

En effet, quand un prescripteur pense ne pas pouvoir utiliser un antibiotique indiqué en première intention dans les recommandations pour votre maladie, il se tourne vers un autre antibiotique, généralement d’une famille différente.

Beaucoup de gens se pensent, à tort, allergique à la pénicilline // Source :  Centre Régional en Antibiothérapie Pays de la Loire - Hôpital Saint-Jacques
Beaucoup de gens se pensent, à tort, allergique à la pénicilline // Source : Centre Régional en Antibiothérapie Pays de la Loire – Hôpital Saint-Jacques

Or, souvent, ces alternatives sont non seulement moins efficaces, mais aussi plus toxiques, c’est-à-dire à risque plus élevé d’effets indésirables. En outre, ces antibiotiques alternatifs sont souvent plus générateurs d’antibiorésistances, sélectionnant plus de bactéries résistantes aux antibiotiques dans les microbiotes, notamment la flore intestinale.

Le cas de la pénicilline et de ses dérivés (comme l’amoxicilline) est à ce titre emblématique : les allergies aux antibiotiques les plus fréquentes concernent cette famille. Or, ces antibiotiques sont les plus largement utilisés. S’en priver complique grandement le traitement des infections.

Soulignons par ailleurs qu’en raison des risques élevés d’allergies croisées entre des antibiotiques appartenant à une même famille (comme la pénicilline et ses dérivés – telle l’amoxicilline), un patient qui se dit « allergique à » se verra interdire non pas une seule molécule, mais toute une classe d’antibiotiques…

Des études ont ainsi montré que les patients considérés comme allergiques aux antibiotiques de la famille de la pénicilline ont un risque accru de mourir d’une infection bactérienne et d’être atteints par des infections difficiles à traiter, car dues à des bactéries résistantes à de multiples antibiotiques.

Comment bien différencier une allergie d’autres effets indésirables ?

Les antibiotiques peuvent avoir différents types d’effets indésirables, liés à trois mécanismes principaux :

  • allergique, décrit plus haut, qui peut concerner tous les antibiotiques ;
  • toxique, dont les manifestations sont propres à chaque antibiotique. On peut par exemple citer le risque de douleurs articulaires ou de tendinite associé à la prise de fluoroquinolones ;
  • de perturbation du microbiote (un microbiote est l’ensemble des micro-organismes qui vivent dans un environnement donné — en l’occurrence notre corps) : ce mécanisme concerne tous les antibiotiques, et a pour conséquence un risque de diarrhée, de mycose et d’antibiorésistance (émergence de bactéries résistantes aux antibiotiques).

Dans la majorité des cas, la description précise de la réaction à l’antibiotique (notamment le type de symptômes et leur délai de survenue) permet au professionnel de santé de savoir s’il s’agit d’une allergie à un antibiotique, et de déterminer le type d’allergie incriminé (et donc sa gravité potentielle).

Certains cas peuvent parfois s’avérer plus complexes à diagnostiquer. Ils nécessitent alors de prendre un avis spécialisé auprès d’un allergologue, qui pourra s’aider de tests spécifiques si besoin (souvent cutanés).

L’allergie aux antibiotiques peut-elle partir avec le temps ?

Il est difficile de prédire l’histoire naturelle des allergies médicamenteuses. Toutefois, au bout de quelques années sans exposition aux traitements, les taux d’anticorps responsables de l’allergie ou de lymphocytes T peuvent diminuer, voire disparaître.

Le problème, dans ce cas, est le risque de resensibilisation : une prise d’antibiotique, sur un terrain allergique vrai, peut être faussement rassurante lors de la première prise après un épisode allergique ancien. En effet, même si rien ne se passe sur le moment, elle risque de réactiver la mémoire immunitaire, et ainsi de déclencher une nouvelle réaction allergique lors d’une prise ultérieure du même antibiotique.

Il est donc nécessaire, afin d’avoir un bilan allergologique complet, de tester à nouveau les patients quelques semaines après l’éventuelle réintroduction de l’antibiotique, le tout sur avis spécialisé d’un allergologue.

Que faire si vous pensez être allergique à un antibio ?

De manière générale, lorsque vous prenez un médicament et que vous pensez souffrir d’un effet indésirable lié à ce traitement, il faut immédiatement en avertir votre professionnel de santé afin de savoir s’il faut arrêter ledit traitement. Alerté, il pourra aussi engager les investigations nécessaires pour déterminer quel type d’effet indésirable est éventuellement en cause.

Si votre allergie à une famille d’antibiotique a été confirmée de manière certaine par un professionnel de santé, il faut veiller à ce que celui-ci l’ait mentionnée dans votre dossier personnel partagé. Mise en place par la Caisse nationale de l’assurance maladie, cette base de données permet à tous les usagers du système de santé français de stocker et tenir à jour leurs documents et informations de santé, et de les rendre accessibles aux soignants.

Il faut notamment veiller à ce qu’y figurent tous les détails utiles, en particulier le nom de l’antibiotique responsable, la nature de l’allergie, les autres médicaments contre-indiqués, ainsi que les molécules alternatives. Il est également prudent de garder une trace de ces informations sur vous en permanence, et d’en avertir tout nouveau professionnel de santé qui vous prendrait en charge.

En cas de doute sur le caractère certain de votre allergie, il faut en discuter dès que possible avec un professionnel de santé, pour qu’il mène l’enquête (ou vous oriente vers le professionnel adéquat) afin de déterminer si vous êtes allergique ou non, ainsi que les caractéristiques de cette éventuelle allergie et les conséquences pratiques pour la prise en charge de vos problèmes de santé.

Pour guider sa décision, il pourra s’appuyer sur les recommandations qui ont déjà été émises par certains pays (Royaume-Uni ou Pays-Bas, par exemple), ou sur les recommandations européennes.

Des recommandations françaises sont par ailleurs attendues très prochainement, comme indiqué dans la stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance en santé humaine.

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Céline Pulcini est l’auteur du roman « Dans le tourbillon de la médecine », qui aborde notamment le sujet des études de médecine, de la prévention des infections et de l’antibiorésistance.

Céline Pulcini, professeur de médecine, infectiologue, université de Lorraine et Sébastien Lefèvre, allergologue, président du conseil national professionnel d’allergologie — chef de service Institut régional des pathologies allergologiques, environnementales et immunologie clinique, hôpital Mercy (CHR Metz-Thionville), Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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