Dans notre étude parue le 21 octobre 2024 dans la revue Physical Review Letters, nous prédisons l’existence d’un nouveau type de trous noirs entourés par des anneaux similaires sur la forme à ceux de Saturne, mais constitués de particules élémentaires.

La théorie de la relativité générale d’Einstein prédit l’existence des trous noirs : des régions dans l’espace-temps où la gravité est si intense que rien, pas même la lumière, ne peut s’en échapper. Leur existence hypothétique a été formulée en 1916 quand les solutions des équations mathématiques de la relativité générale décrivant les trous noirs ont été obtenues.

Cependant, leur existence réelle a par la suite été débattue par les scientifiques pendant près d’un siècle. En 1965, les travaux théoriques du mathématicien britannique Roger Penrose démontrent que des trous noirs sont inévitablement formés par l’effondrement gravitationnel des étoiles et il faudra attendre les années 90 pour que des observations astronomiques, menées par deux astrophysiciens américains Reinhard Genzel et Andrea Ghez, révèlent ce qui semble être un trou noir gigantesque au centre de notre galaxie. Cette découverte leur vaudra, ainsi qu’à Roger Penrose, le prix Nobel de physique en 2020.

Aujourd’hui, grâce aux observations de la collaboration internationale Event Horizon Telescope, nous sommes en mesure de discerner l’ombre du trou noir situé au centre de la Voie lactée.

L’existence de trous noirs dans l’Univers a donc été solidement établie, mais les découvertes ne s’arrêtent pas là. Nous prédisons aujourd’hui l’existence de trous noirs d’un nouveau type, suggérés par le Modèle standard des forces fondamentales.

L’origine des trous noirs dans l’univers

Il est aujourd’hui communément admis que les trous noirs sont omniprésents dans notre Univers. On distingue en général deux scénarios expliquant leur formation.

Il y a d’abord les trous noirs stellaires, formés par l’effondrement gravitationnel d’étoiles ordinaires en fin de vie, c’est-à-dire lorsqu’elles finissent par s’effondrer sous leur propre poids après avoir consommé tout leur carburant. Leur masse varie typiquement de 2-3 masses solaires à des dizaines — voire des centaines — de masses solaires. Après leur formation, ces trous noirs stellaires peuvent grandir en absorbant de la matière environnante. Ils peuvent aussi fusionner entre eux, avec une émission importante d’ondes gravitationnelles, dont la première détection a été reconnue par le prix Nobel de physique en 2017.

Il est également possible que certains trous noirs, dits primordiaux, se soient formés par l’effondrement de la matière primaire pendant la première seconde après le Big Bang. La masse de ces trous noirs primordiaux peut être gigantesque, jusqu’à des milliards de masses solaires pour les trous noirs supermassifs situés au centre de la plupart des galaxies. Mais elle peut également être petite, de l’ordre de celle de planètes ou d’astéroïdes, concentrée dans un rayon de moins d’un centimètre ! Il est donc possible que l’Univers soit parsemé de ces minuscules trous noirs primordiaux, dont la détection future constitue un enjeu majeur de l’astrophysique observationnelle. Les trous noirs primordiaux encore plus légers auraient dû s’évaporer très vite selon le processus de Hawking et n’auraient pas survécu jusqu’à nos jours.

Nos résultats suggèrent que certains des petits trous noirs primordiaux qui existent encore aujourd’hui pourraient posséder une nouvelle propriété : être « chevelus ».

Les trous noirs « n’ont pas de cheveux »

Les trous noirs stellaires ne gardent aucune mémoire de l’étoile qui s’est effondrée pour mener à leur formation, sauf celle de sa masse, sa charge électrique (ou magnétique), et sa vitesse de rotation. Toutes les autres caractéristiques de leur état initial (par exemple, la composition chimique de l’étoile) sont complètement perdues au cours de l’effondrement, et tous les trous noirs de même masse, même charge, et même vitesse de rotation sont absolument identiques.

Le physicien américain John Wheeler a illustré cette propriété par une phrase devenue célèbre : « les trous noirs n’ont pas de cheveux », où par « cheveux » on entend n’importe quel autre paramètre que la masse, la charge et la vitesse de rotation.

Cette propriété des trous noirs stellaires est confirmée par les théorèmes d’unicité, tandis que, pour les trous noirs primordiaux, elle a été postulée comme une conjecture, partiellement confirmée par une série de « théorèmes de calvitie ».

Et pourtant… les prémices des trous noirs chevelus

Parmi les quatre forces fondamentales de la nature, il y en a deux, la gravitation et l’électromagnétisme, qui agissent à l’échelle macroscopique et expliquent la structure des trous noirs stellaires qui sont « chauves ». Les deux autres forces, dites faible et forte, n’agissent qu’à l’échelle microscopique, à l’intérieur des atomes. Est-ce que ces deux dernières forces fondamentales peuvent influer sur la structure des trous noirs ?

Les théories physiques qui décrivent ces forces sont assez compliquées à étudier, et c’est pour cette raison que les physiciens se sont d’abord concentrés sur des modèles théoriques simplifiés. C’est grâce à ces modèles simplifiés qu’ont été découverts les trous noirs dits chevelus, c’est-à-dire entourés d’une coquille de matière intrinsèquement liée à eux et donc caractérisés par des paramètres supplémentaires (autres que la masse, la charge, la vitesse de rotation) qui permettent de les distinguer les uns des autres.

Depuis leur première découverte en 1989, de nombreux exemples de trous noirs chevelus ont été trouvés par les physiciens théoriciens, mais toujours dans le cadre de théories simplifiées ou, à l’inverse, extrêmement spéculatives. De tels trois noirs existent sur le papier comme solutions d’équations mathématiques, mais rien ne permet d’affirmer qu’ils existent réellement dans notre Univers.

Des trous noirs avec des « cheveux électrofaibles »

Dans notre étude, nous avons considéré l’unification de trois théories exactes, non simplifiées, et confirmées expérimentalement, qui réunissent trois des quatre forces fondamentales : la gravitation, l’électromagnétisme, et la force nucléaire faible (les deux dernières forment ensemble la force électrofaible).

Les solutions que nous avons obtenues en résolvant les équations de ces théories combinées décrivent des trous noirs chargés magnétiquement et entourés d’un « cheveu » en forme d’anneaux.

trous noirs chevelus
Schéma du trou noir (point noir), entouré d’une zone de champ magnétique très intense (région grise), puis de trois anneaux. Le bleu porte une partie de la charge magnétique et les deux autres correspondent à des courants électriques de bosons W qui circulent autour du trou noir. // Source : Romain Gervalle et Mikhail Volkov

Ces anneaux sont composés de particules élémentaires (plus précisément, des bosons W, Z et de Higgs), sous la forme d’un condensat de Bose-Einstein — un état particulier de la matière apparaissant dans certaines situations. En laboratoire, il a été observé pour des atomes froids piégés grâce à des lasers (ce qui a valu un prix Nobel en 2001 à ses découvreurs). Dans notre cas, c’est le champ magnétique intense du trou noir chargé qui produit le condensat électrofaible, et comme ce dernier est aussi chargé magnétiquement, il est repoussé du trou noir par la force magnétique et ne tombe donc pas à l’intérieur. Cependant, il n’est pas éjecté plus loin non plus, car il est attiré vers le trou noir par la force gravitationnelle. Il reste donc piégé à l’extérieur du trou noir.

Nos trous noirs à anneaux, d’un nouveau type, peuvent être de taille macroscopique, d’environ un centimètre, alors que les particules élémentaires qui composent leurs anneaux apparaissent normalement à l’échelle de l’infiniment petit.

Comme ces trous noirs sont décrits par des théories confirmées expérimentalement, cela suggère fortement qu’ils existent non seulement en tant que solutions mathématiques, mais aussi comme des objets réels dans l’Univers.

Pourrait-on détecter ces trous noirs ?

Il est clair que ces trous noirs chevelus ne pourraient pas se former aujourd’hui. Par contre, les conditions favorables à leur formation auraient pu être rencontrées dans les premiers instants de l’Univers, dans le plasma primordial extrêmement dense et fluctuant. Il s’agirait donc de trous noirs primordiaux.

Il est important de noter que ces trous noirs sont stables, car la présence des anneaux diminue la masse du trou noir, si bien que s’en débarrasser serait énergétiquement défavorable. Ils pourraient donc parvenir à survivre jusqu’à aujourd’hui et faire partie de la matière noire, cette substance dont la nature exacte reste à ce jour inconnue et que l’on détecte uniquement par son influence gravitationnelle. Ces trous noirs chevelus pourraient être détectés par leur interaction avec des étoiles à neutron en rotation (pulsars), car s’ils sont absorbés par l’une d’entre elles (ce qui peut arriver car ils sont beaucoup plus petits et plus légers), alors l’étoile continue à exister avec le trou noir à l’intérieur mais cela doit brusquement changer sa période de rotation, ce qui pourrait être détectable.

The conversation logo

Romain Gervalle, Chercheur associé en théories de la gravitation, université de Tours et Mikhail Volkov, professeur de physique, université de Tours

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Découvrez les bonus

+ rapide, + pratique, + exclusif

Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.

Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci

Il y a une bonne raison de ne pas s'abonner à

Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.

Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :

  • 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
  • 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
  • 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.

Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Abonnez-vous gratuitement à Artificielles, notre newsletter sur l’IA, conçue par des IA, vérifiée par Numerama !