Au moment de sa formation, la Terre était trop chaude pour contenir de la glace d’eau. Toute l’eau présente sur Terre doit donc avoir une origine extraterrestre. L’étude de roches terrestres anciennes montre qu’il y a eu sur notre planète de l’eau liquide très tôt (aux échelles de temps des astrophysiciens en tout cas) vers 100 millions d’années environ après la formation du Soleil. Cette eau a aujourd’hui plus de 4,5 milliards d’années, en vertu d’un cycle maintenant son renouvellement permanent. Avec mon équipe, nous venons de proposer une nouvelle théorie pour expliquer l’arrivée de l’eau sur Terre.
Une question vieille de plusieurs milliards d’années
Les astrophysiciens tentent de répondre à la question de l’arrivée de l’eau sur notre toute jeune planète depuis plusieurs décennies. Une des premières hypothèses considérait que l’eau terrestre était un sous-produit direct de la formation de la Terre, qui pouvait être relâché via le magma lors d’éruption volcanique où la grande majorité du gaz produit est de la vapeur d’eau.
Cependant, en analysant la composition de l’eau terrestre, cette hypothèse a évolué dans les années 90 avec la découverte du rôle potentiel des comètes glacées, suggérant un apport d’origine extraterrestre. Les comètes sont des boules de glaces et de roches qui se forment assez loin dans le système solaire et sont parfois éjectées vers le Soleil. Elles peuvent devenir spectaculaires quand, chauffées par le Soleil, elles forment une queue de poussières que l’on peut observer depuis la Terre. Les astéroïdes, qui sont des objets situés dans la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, sont aussi évoqués comme progéniteurs potentiels de l’eau sur Terre.
L’analyse de roches cométaires et d’astéroïdes, via des météorites (petits fragments d’astéroïdes ou de comètes tombées sur Terre), notamment en mesurant leur rapport D/H (qui est la quantité d’hydrogène lourd, appelé deutérium, par rapport à l’hydrogène standard), a permis de voir que l’eau terrestre correspond davantage à celle des astéroïdes dit « carbonés » (ceux qui contiennent des traces de la présence d’eau passée), orientant ainsi les recherches vers ces derniers.
Les travaux récents se sont donc focalisés sur la recherche du meilleur mécanisme céleste propre à faire venir s’écraser ces astéroïdes sur notre jeune Terre sèche, au début de son histoire, afin de la fournir en eau. Pléthores de scénarios ont ainsi été publiés pour théoriser le « chamboulement » des planétésimaux, c’est-à-dire des gros corps glacés présents dans les ceintures d’astéroïdes (entre Mars et Jupiter) et de Kuiper (au-delà de Neptune) afin qu’ils en soient délogés pour être envoyés vers la Terre. Mais cela sous-tend un jeu de billard gravitationnel qui n’est pas trivial et impose l’idée d’une histoire compliquée du Système solaire. Il est clair qu’il y a dû y avoir des chamboulements et des impacts pour former les planètes. Cependant, il se peut que les choses se soient passées plus sereinement et plus naturellement pour l’apport de l’eau sur Terre.
Une hypothèse « plus simple » de l’origine de l’eau sur Terre
Je suis parti du principe que les astéroïdes sont glacés au sortir de leur cocon de formation (aussi appelé « disque protoplanétaire »). Ce cocon est un disque de gaz massif, principalement composé d’hydrogène et rempli de poussières, dans lequel se forment les planètes et les ceintures initialement. Il englobe donc tout le système planétaire en devenir. Une fois que le cocon initial protecteur disparaît (au bout de quelques millions d’années), les astéroïdes se réchauffent et les glaces fondent, ou plus exactement subliment. Autrement dit, leur glace se transforme en vapeur d’eau. Dans l’espace où la pression est presque nulle, l’eau reste alors sous forme vapeur.
Un disque de vapeur d’eau se superpose alors à la ceinture d’astéroïdes en orbite autour du Soleil. À mesure que les glaces subliment, le disque se remplit de vapeur d’eau et s’étale naturellement vers l’intérieur, c’est-à-dire vers le Soleil, à la suite de processus dynamiques complexes. Au passage, il rencontre les planètes internes qui se retrouvent baignées dans ce disque de vapeur d’eau. En quelque sorte, le disque d’eau « arrose » les planètes telluriques que sont Mars, la Terre, Vénus et Mercure. Le gros de la capture d’eau par les planètes se passe vers 20-30 millions d’années après la formation du Soleil, à un stade où ce dernier a vu sa luminosité augmenter fortement sur un court laps de temps, ce qui a augmenté le taux de dégazage des astéroïdes.
Une fois que l’eau est capturée par l’attraction gravitationnelle des planètes, il peut se passer beaucoup de choses. Cependant, sur Terre, il existe un mécanisme protecteur qui explique que la masse d’eau totale n’a pas beaucoup varié, depuis la fin de la capture jusqu’à maintenant. En effet, si l’eau va trop haut dans l’atmosphère, elle condense, forme des nuages, qui se retrouvent un peu plus tard sous forme de pluie à la surface de la Terre : c’est le cycle de l’eau.
Les quantités d’eau passée et présente sur Terre sont donc bien connues. Notre modèle qui, partant de la ceinture d’astéroïdes originelle, et procède au dégazage des glaces, arrive à amener la bonne quantité d’eau, qui sert ensuite à former les océans, les rivières, les lacs, et explique l’eau enfouie en profondeur dans le manteau terrestre. Les mesures fines du rapport D/H de l’eau dans les océans peuvent aussi être expliquées à l’aide de notre modèle. Enfin la quantité d’eau présente dans le passé sur les autres planètes (et même sur la Lune) est aussi bien expliquée avec notre théorie.
On pourrait se demander comment m’est venue l’idée de proposer cette nouvelle théorie. Cela ne sort pas de nulle part et s’appuie sur des observations récentes, notamment avec ALMA, un radiotélescope composé de plus de 60 antennes déployées au Chili, sur un plateau à 5 km d’altitude. En effet, en observant les systèmes extrasolaires qui ont des ceintures similaires à celle de Kuiper, on découvre maintenant que les planétésimaux dans ces ceintures subliment du monoxyde de carbone (CO). Pour des ceintures plus proches de leur étoile comme la ceinture d’astéroïdes, le CO est trop volatil pour être présent et c’est plutôt de l’eau qui devrait s’en dégazer.
Une hypothèse qui requiert des observations
C’est donc sur la base de ce constat que l’idée initiale s’est forgée. De plus, grâce aux résultats récents issus des sondes Hayabusa 2 et OSIRIS-ReX parties explorer in situ des astéroïdes similaires à ceux qui auraient pu participer à la formation du disque de vapeur d’eau initial, nous avons pu confirmer (car on l’observe aussi depuis longtemps avec les télescopes au sol) la présence de grandes quantités de minéraux hydratés sur ces corps, qui ne peuvent se former qu’au contact de l’eau. Le préalable pour expliquer ces observations est que ces astéroïdes aient été glacés initialement, bien qu’ils ne le soient plus aujourd’hui (à part les plus massifs comme Cérès).
Les bases du modèle étaient en place et il fallait ensuite construire une simulation numérique qui puisse suivre ce dégazage, l’étalement du gaz, puis sa capture par les planètes. En réalisant ces simulations, je me suis tout de suite rendu compte que cela pouvait expliquer la quantité d’eau sur Terre. Pour les autres planètes, j’ai fait quelques petites recherches pour trouver les contraintes sur les quantités d’eau passées sur Mars et les autres planètes telluriques. Cela fonctionnait aussi. Il ne manquait plus qu’à publier le tout !
En tant que chercheur, on ne se contente pas de mettre au point un modèle qui fonctionne et semble tout expliquer ; on se doit d’aller plus loin et de tester la théorie à grande échelle. S’il est maintenant trop tard pour détecter le disque de vapeur d’eau initial (sur lequel tout repose) qui a permis « d’arroser » les planètes telluriques, il convient de se pencher sur des systèmes extrasolaires avec de jeunes ceintures d’exo-astéroïdes pour voir si en effet on distingue ces disques de vapeur d’eau. D’après nos calculs, ces disques d’eau, bien que peu brillants, pourraient être détectables avec ALMA et notre équipe vient d’obtenir du temps sur ALMA pour tester tout cela sur des systèmes bien spécifiques.
Nous sommes peut-être au début d’une nouvelle histoire…
Quentin Kral, Astrophysicien à l’observatoire de Paris-PSL, CNRS, Sorbonne Université, Université Paris Cité
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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