WASP-121b est une planète extrême. C’est une géante gazeuse, presque deux fois plus grosse que Jupiter, et qui orbite extrêmement près de son étoile – cinquante fois plus que la Terre du Soleil. À tel point que les forces de marée ont bloqué sa rotation dans une « résonance » : comme la Lune avec la Terre, WASP-121b montre toujours la même face à son étoile. Sur l’une des faces de la planète, il fait perpétuellement jour, sur l’autre, il fait perpétuellement nuit. Cette différence jour/nuit est à l’origine d’énormes variations de température : alors que le côté jour est à plus de 3 000 °C, la température du côté nuit est, quant à elle, 1 500 °C plus faible.
Ces contrastes gigantesques sont la source de vents violents, de plusieurs kilomètres par seconde, qui tentent de redistribuer l’énergie du jour vers la nuit. Jusqu’à présent, nous devions deviner la force et le sens des vents à travers des mesures indirectes, par exemple en mesurant la température de la planète. Depuis quelques années et l’arrivée de nouveaux instruments sur des télescopes géants, nous pouvons mesurer directement la vitesse de vents de certaines exoplanètes.
Dans notre étude, menée par Julia Seidel, nous avons pu non seulement mesurer la vitesse des vents sur une exoplanète, mais aussi mesurer comment ces vents varient avec l’altitude. En particulier, nous avons mesuré, pour la première fois, que les vents dans les couches les plus profondes de l’atmosphère étaient très différents de ceux à plus haute altitude.
Nos mesures viennent dévoiler le comportement d’une zone charnière de l’atmosphère, qui fait le lien entre l’atmosphère profonde, habituellement sondée par les télescopes tels que le James-Webb Space Telescope, et les zones externes, où l’atmosphère s’échappe dans l’espace, soufflée par le vent venu de son l’étoile.
Mesurer l’atmosphère d’une planète située à des millions de milliards de km
Pour cela, nous avons utilisé un des spectrographes les plus précis sur Terre. Il est monté sur le plus grand télescope à notre disposition : Espresso au Very Large Telescope (VLT) de l’Observatoire européen austral (ESO) du cerro Paranal, situé dans le désert d’Atacama au Chili. Pour obtenir le maximum de lumière, nous avons combiné la lumière des quatre télescopes de huit mètres de diamètre du VLT. Grâce à cette combinaison, encore à l’essai, nous avons récolté autant de lumière qu’un télescope de 16 mètres de diamètre, plus gros que n’importe quel autre télescope optique sur Terre.
Le spectrographe Espresso, ultra-précis, nous a alors permis de séparer la lumière de la planète en 1,3 million de longueurs d’onde, autant de couleurs dans le visible. Cette précision est nécessaire pour détecter différents types d’atomes dans l’atmosphère de cette planète. En particulier, nous avons pu étudier comment trois types d’atomes différents absorbent la lumière de l’étoile : l’hydrogène, le sodium et le fer (tous à l’état gazeux étant donné les températures très élevées de cette planète).

En mesurant très précisément la position de ces lignes spectrales, nous avons pu mesurer directement la vitesse de ces atomes. En effet, l’effet Doppler nous dit qu’un atome venant vers nous absorbera de la lumière plus bleue, alors qu’un atome s’éloignant de nous absorbera de la lumière plus rouge. En mesurant la longueur d’onde d’absorption de chacun de ces atomes, nous avons autant de mesures différentes de la vitesse de vents dans cette planète.
Ce que nous avons trouvé, c’est que les raies des différents atomes ne nous racontaient pas la même histoire. Le fer se déplace à cinq kilomètres par seconde du point substellaire (la région de la planète la plus proche de son étoile hôte) au point antistellaire (la plus lointaine) de manière très symétrique. Le sodium, par contre, se divise en deux : une partie des atomes se déplace comme le fer, tandis que l’autre se déplace à l’équateur directement d’est en ouest quatre fois plus rapidement, à la vitesse faramineuse de 20 kilomètres par seconde. Finalement, l’hydrogène semble, lui, se déplacer à la fois selon le courant est-ouest du sodium, mais aussi verticalement, lui permettant sans doute de s’échapper de la planète.
Pour réconcilier tout cela, nous avons calculé que ces trois différents atomes sondent en fait différentes parties de l’atmosphère. Alors que le fer regarde les couches profondes, où on s’attend à une circulation symétrique, le sodium et l’hydrogène sondent des couches beaucoup plus hautes, où l’atmosphère de la planète se fait souffler par le vent venant de son étoile hôte. Ce vent stellaire, combiné à la rotation de la planète, entraîne probablement le matériel de manière asymétrique, avec une direction préférentielle donnée par la rotation de la planète.
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Quel intérêt y a-t-il à étudier l’atmosphère des exoplanètes ?
WASP-121b fait partie de ces planètes géantes gazeuses de plus de 1 000 °C que l’on appelle « Jupiters chauds ». La première observation en 1995 de ces planètes par Michel Mayor et Didier Queloz (ce qui leur a valu un prix Nobel de physique en 2019) a été une surprise, car, en particulier, les modèles de formation planétaires prédisaient que ces planètes géantes ne pouvaient pas se former à une distance si proche de leur étoile. Leur observation nous a fait comprendre que les planètes ne se forment pas forcément là où elles se trouvent actuellement : elles peuvent migrer, c’est-à-dire se déplacer dans leur jeunesse.
À quelle distance de leur étoile se forment les Jupiters chauds ? Sur quelles distances ces objets migrent-ils dans leur enfance ? Pourquoi, dans le système solaire, notre Jupiter n’a-t-il pas migré vers le Soleil (ce qui aurait envoyé la Terre dans notre étoile par la même occasion) ?
Pour trouver des réponses à ces questions, on peut étudier l’atmosphère de ses planètes qui ont gardé les traces fossiles des conditions de leur formation. Or, pour comprendre et pour mesurer les abondances moléculaires dans ces planètes, il faut pouvoir appréhender leur complexité. En effet, des variations de températures ou de composition chimique peuvent radicalement biaiser les mesures d’abondances que nous essayons de faire avec de grands télescopes tels que le James-Webb Space Telescope.
Pour cela, comprendre les mécanismes fondamentaux qui régissent l’atmosphère de ces planètes est essentiel. Dans le système solaire, les vents peuvent être directement mesurés, en regardant à quelle vitesse les nuages se déplacent, par exemple. Sur les exoplanètes, par contre, on ne peut pas directement voir de détail.
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Les Jupiter chauds, en particulier, orbitent si près de leurs étoiles qu’on ne peut pas les séparer spatialement de leur étoile et les prendre en photo. Au lieu de cela, on sélectionne parmi les milliers de planètes connues, celles qui ont le bon goût de passer périodiquement entre leur étoile et nous. Pendant ce « transit », la lumière de l’étoile est filtrée par l’atmosphère de la planète, ce qui nous permet de mesurer les signes de l’absorption par différents atomes ou molécules. En général, les données que nous obtenons ne sont pas assez bonnes pour séparer la lumière qui passe d’un côté de la planète ou de l’autre : on se retrouve avec une moyenne de ce que l’atmosphère a absorbé. Comme les conditions le long du limbe atmosphérique (c’est-à-dire la tranche d’atmosphère entourant une planète observée depuis l’espace) peuvent varier drastiquement, et interpréter la moyenne finale est souvent un casse-tête.
Cette fois-ci, en utilisant à la fois un télescope équivalent plus grand que n’importe quel autre télescope optique sur Terre et en le combinant avec un spectrographe extrêmement précis, nous avons pu séparer le signal qui est absorbé par le côté est du limbe de la planète du signal absorbé par le côté ouest. Cela nous a permis de mesurer la variation spatiale des vents dans la planète.
L’avenir en matière d’étude des atmosphères des exoplanètes
L’Union européenne est aujourd’hui en train de construire la prochaine génération de télescopes, avec, à sa tête, l’Extremely Large Telescope (ELT) de l’ESO prévu pour 2030. Ce télescope aux dimensions extrêmes aura un miroir de 30 mètres de diamètre, deux fois plus grand que le télescope obtenu en combinant la lumière des quatre télescopes de huit mètres du VLT.
Ce géant nous permettra d’obtenir des détails encore plus précis sur les atmosphères des exoplanètes. Il pourra, en particulier, mesurer les vents dans des exoplanètes plus petites et plus froides que les Jupiter chauds.
Mais ce que nous attendons tous réellement, c’est la capacité qu’aura l’ELT de mesurer la présence de molécules dans l’atmosphère des planètes rocheuses qui orbitent dans la zone habitable de leur étoile, là où l’eau peut-être présente à l’état liquide.
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Le projet EXOWINDS est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.
Vivien Parmentier, Professeur junior spécialiste des atmosphères d’exoplanètes au laboratoire LAGRANGE, Observatoire de la Côte d’Azur, CNRS, Université Côte d’Azur et Julia Victoria Seidel, ESO Research Fellow, Observatoire Européen Austral
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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