Dans la série Severance, les employés de Lumon Industries sont dissociés entre leur « moi du boulot » et le « moi de la maison ». Le premier est ainsi entièrement dévolu à ses tâches professionnelles, sans interférences dues aux aléas de la vie quotidienne, et le second libre de vaquer à sa vie privée sans charge mentale due au travail. Cependant, malgré la promesse d’un équilibre travail/vie privée strictement parfait, les protagonistes ne vivent pas si bien leur dissociation. Le personnage principal, Mark Scout, tente une procédure de réintégration de ses deux « moi ». C’est Reghabi, une ancienne employée rebelle de Lumon qui s’en charge.

Dans l’épisode 3 de la saison 2, elle enregistre l’activité du cerveau de Mark après avoir posé des électrodes sur sa tête, comme on le fait de nos jours avec l’électroencéphalographie. Deux tracés en forme de vagues sont visibles, chacun d’eux représentant une partie des souvenirs de Mark. La procédure consiste à resynchroniser ces deux tracés, c’est-à-dire à les réaligner, pour réintégrer les deux « moi ».
Ce processus serait crédible à l’aune des connaissances actuelles en neurosciences. Connaître les recherches sur le sujet permet d’apprécier de nouvelles subtilités dans cette série, qui soulèvent déjà de nombreuses questions.
Dissociation et réintégration des « moi » dans Severance
L’activité cérébrale mesurée par électroencéphalographie, une technique qui consiste à poser des électrodes sur le cuir chevelu d’une personne, se présente effectivement sous forme de vagues d’activité. Les chercheurs étudient ce signal en le découpant en différentes oscillations, plus ou moins rapides, dont les noms correspondent à la liste de lettres grecques égrenées par Reghabi : delta, theta, alpha, beta, gamma.
Les oscillations delta sont par exemple très lentes, autour de 2 Hz, ce qui correspond à deux cycles par seconde, proche du rythme cardiaque après un effort, et souvent retrouvées pendant certaines phases du sommeil. Les oscillations gamma sont plus rapides, autour de 40 Hz (40 cycles par seconde), et sont impliquées dans de nombreuses fonctions cognitives comme la perception visuelle ou la mémoire.

Dans la série, la réintégration se produit lorsque Reighabi force les deux signaux correspondant aux deux « moi » de Mark à se resynchroniser. On pourrait ici faire un lien avec une question fondamentale en neurosciences cognitives : comment le cerveau combine-t-il les différentes informations qu’il reçoit (lumière, son, odeurs…) en une expérience consciente cohérente ?
Considérons une scène avec un ballon rouge et une chaise grise : chaque objet a plusieurs caractéristiques, comme sa couleur, sa forme ou le fait qu’il soit statique ou en mouvement. Chacun de ses aspects est traité par des parties différentes du cerveau. Comment ces informations dispersées sont-elles ensuite regroupées pour donner une perception unifiée de la scène ? Plus particulièrement, comment le cerveau sait-il qu’il faut associer la couleur rouge au ballon, et la couleur grise à la chaise ?
Le phénomène de synchronisation des oscillations a été proposé comme solution potentielle : deux populations de neurones, à deux endroits différents du cerveau, vont se synchroniser si elles traitent deux caractéristiques d’un même objet.
Cette théorie a été proposée suite à une étude de référence sur des chats, auxquels des électrodes ont été implantées dans le cerveau. Ces électrodes ont permis de mesurer la réponse de groupes de neurones dans le cortex visuel, lorsque des barres lumineuses étaient présentées devant les yeux des chats. On savait déjà qu’un neurone communiquait en envoyant des impulsions électriques à ses voisins. Les auteurs ont remarqué que les neurones déchargeaient ces impulsions de manière rythmique, suivant une oscillation, alternant entre périodes de repos et périodes d’activité. La découverte la plus remarquable, c’est l’observation que différents groupes de neurones, éloignés l’un de l’autre, se synchronisaient entre eux seulement s’ils étaient activés par la même barre lumineuse.

Plus généralement, les neuroscientifiques ont proposé l’idée que la synchronisation de deux groupes de neurones éloignés leur permettait d’aligner leurs périodes d’activité et donc de pouvoir échanger des informations. La synchronisation de l’activité cérébrale serait donc un mécanisme important du traitement de l’information dans le cerveau car elle permettrait aux différents groupes de neurones du cerveau de communiquer entre eux. Dans Severance, on retrouve cette idée : réintégrer les deux « moi » se fait en resynchronisant l’activité cérébrale de chacun des « moi », ce qui permet de rétablir une communication entre les deux pans de la personnalité de Mark.
Peut-on repérer une personnalité dans une zone du cerveau ?
Là où la fiction se permet quelques libertés artistiques par rapport à la science, c’est lorsqu’un objet aussi complexe qu’un « moi » défini par ses souvenirs, désirs, et émotions est capturé et réduit à une oscillation. En réalité, chaque aspect du fonctionnement du cerveau (perception, attention, mémoire…) est associé à différents types d’oscillations cérébrales. Par exemple, les oscillations theta (entre 4 et 8 Hz), alpha (entre 8 et 12 Hz) et gamma (> 35 Hz) sont impliquées dans les processus attentionnels. La mémoire mobilise aussi les oscillations theta et gamma. Le simple fait de regarder une image sollicite plusieurs mécanismes impactant différentes régions du cerveau et reste encore partiellement incompris à ce jour. Ainsi, aucune de ces capacités ne peut être expliquée par une seule oscillation. Il n’est donc pas possible de résumer une personnalité complète à un endroit précis du cerveau ni de stocker deux personnalités différentes n’ayant rien en commun dans deux parties bien délimitées du cerveau.
Faisons donc l’hypothèse que chaque tracé sur l’oscilloscope représente la moyenne de multiples électrodes mesurant l’activité globale du cerveau de Mark, plutôt que de provenir d’une unique électrode. C’est toute l’activité de son cerveau qui se déphase donc lorsqu’il passe de son « moi du boulot » à son « moi privé », le déphasage étant probablement activé par la puce insérée dans son cerveau. Dans le cas de Mark, on ne veut pas seulement intégrer l’information de deux régions différentes du cerveau, mais on veut réintégrer deux cerveaux complets déphasés dans le temps ! On comprend pourquoi la procédure est douloureuse et occasionne des effets secondaires…
Peut-on resynchroniser deux ondes cérébrales avec la stimulation magnétique transcrânienne ?
Une dernière question se pose : peut-on resynchroniser deux ondes cérébrales ? Dans la série, Reighabi utilise un dispositif de stimulation magnétique transcrânienne (ou TMS), une technique utilisée à la fois pour la recherche et le traitement de troubles neurologiques ou psychiatriques. Le principe est d’envoyer un champ magnétique localisé qui stimule l’activité des neurones. Dans l’épisode 3 de la saison 2, on voit Mark bouger ses doigts suite à l’usage de la TMS. C’est exactement ce qui arrive lorsqu’on stimule avec la TMS le cortex moteur, une région du cerveau qui dirige l’exécution de mouvements. Il est aussi possible d’induire des oscillations avec la TMS, en envoyant des impulsions rythmiques de champ magnétique. On l’utilise donc dans la recherche pour moduler des oscillations dans le cerveau et observer si ces perturbations de l’activité cérébrale ont un impact sur la perception ou d’autres fonctions cognitives.

Quant à l’utiliser pour resynchroniser deux cerveaux déphasés en une personnalité unifiée, cela supposerait d’appliquer la TMS sur le cerveau entier (alors que l’intérêt de cette technique est de pouvoir cibler une zone donnée, par exemple, le cortex moteur ou le cortex visuel). Or une synchronisation trop forte de nombreuses populations de neurones, voire du cerveau entier, conduit à… une crise d’épilepsie. Ce que vit d’ailleurs probablement Mark dans l’épisode 6, bien qu’elle ait aussi pu être déclenchée par un problème dans la tentative de Reighabi d’inonder la puce à l’intérieur de son cerveau pour la rendre inefficace.
La synchronisation des oscillations apparaît donc comme un processus délicat, un ballet subtil où chaque partie du cerveau doit s’accorder avec les autres pour permettre le fonctionnement normal d’un cerveau. Décrypter les mystères des oscillations cérébrales demeure un défi captivant pour la recherche, car elles n’ont pas encore livré tous leurs secrets. Leur potentiel intrigant en fait également une source d’inspiration riche pour la science-fiction, comme l’a montré avec brio la série Severance.

Laetitia Grabot, Chercheur postdoctoral en neurosciences cognitives, École normale supérieure (ENS) – PSL
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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