Des projets de désextinction bien avancés font l’actualité en ce moment, entre des loups géants (comme ceux de Game of Thrones) ou des « souris mammouths ». Mais à quoi correspond exactement cette notion ? Quel est l’argumentaire derrière ? Quels sont les risques ?

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Colossal Biosciences a su faire l’actualité en ce début d’année 2025. D’abord, avec des souris laineuses : oui, des « souris mammouths ». En modifiant l’expression génétique de sept gènes, à partir du séquençage de génomes de mammouths, ils ont conféré à ces souris la « laine » si typique de cette espèce disparue.

Mais la startup de biotechnologies préparait en réalité une autre annonce encore plus frappante : ce 8 avril 2025, une communication a fait grand bruit. Colossal Biosciences affirme avoir ressuscité l’espèce Canis dirus, des loups géants (dits loups sinistres ou loups terribles) éteints depuis 10 000 ans. Trois individus sont nés de ce projet, une femelle et deux mâles, aujourd’hui bien en vie et montrés dans une vidéo.

Les loups de Colossal Biosciences. // Source : Capture YouTube Colossal Biosciences
Les loups de Colossal Biosciences. // Source : Capture YouTube Colossal Biosciences

Si l’annonce relève aussi d’une opération de communication — puisque les données scientifiques ne sont pas publiées dans une revue scientifique, par cette entreprise privée –, cela appartient quoi qu’il en soit à un continuum de recherches ayant un objectif : la désextinction.

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C’est la nouvelle scientifique qui agite le monde depuis le lundi 7 avril 2025 : des scientifiques américains de la startup de biotechnologies Colossal Biociences ont annoncé avoir réussi à « cloner » une espèce ancienne de loup. Cette espèce, dont les membres sont aussi surnommés les « loups terribles », avait pourtant disparu il y a des milliers d’années. #direwolf #extinction #extinct #extinctanimals #animaux #loup #loupterrible #colossalbiosciences #actu #news #actualité #apprendresurtitkok #learnontiktok

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La résurrection d’une espèce éteinte, c’est quoi ?

La désextinction se définit le plus simplement par la tentative de résurrection d’une espèce disparue. Mais cette expression couramment utilisée, « résurrection », n’est pas exactement à l’image du processus réel mobilisé dans ces recherches : il s’agit de créer une copie, un équivalent, de l’espèce en question.

Il existe différentes techniques dans la recherche. Pour une potentielle désextinction par édition génétique, la recette est la suivante :

  • L’ADN le plus complet possible de l’espèce disparue, condition sine qua non pour envisager un tel processus ;
  • Une espèce cousine, la plus proche possible, chez laquelle exprimer génétiquement des gènes issus de l’espèce disparue ;
  • Une mère porteuse d’une espèce, là encore, apparentée.

Une entreprise comme Colossal Biosciences mobilise les ciseaux génétiques CRISPR, une technique relativement récente (consacrée en 2020 par le Prix Nobel) qui permet de découper très précisément une portion d’ADN pour y insérer, modifier, enlever des gènes.

Une désextinction a-t-elle déjà eu lieu ?

À ce jour, aucune désextinction réelle et confirmée par un consensus dans la communauté scientifique n’a eu lieu.

Les loups géants de Colossal Biosciences sont ce qui se rapproche le plus d’une première, mais ce n’est pas (encore) le cas à proprement parler, ou en tout cas est-ce soumis à débat : ils restent un mélange génétique avec des loups gris ; et le fait est qu’aucune institution liée au recensement de la biodiversité n’a pour l’instant reconnu cette espèce comme étant de nouveau vivante.

Il faut donc rester encore prudent sur l’affirmation de l’entreprise voulant que ces loups ne soient plus éteints. Mais cette annonce montre que les recherches avancent à grande vitesse dans le domaine, car, dans les faits, ces loups géants sont ce qui se rapproche le plus d’une « résurrection » d’espèce pour l’instant.

Une « désextinction », vraiment ?

Certains chercheurs questionnent l’usage même des termes « désextinction » et « résurrection », comme étant foncièrement impossibles. Le philosophe Jay Odenbaugh propose par exemple de parler plutôt de « recréer une espèce ».

Autre limite : faire revivre une espèce disparue suggère que celle-ci soit réellement, pleinement, recréée. Or : les génomes « fossiles », même de bonne qualité, se dégradent de toute façon avec le temps ; il en manquera toujours une part. Raison pour laquelle les chercheurs font appel à l’espèce vivante la plus proche avec laquelle l’ADN est hybridé : on vise à ressusciter une copie semblable de l’espèce disparue, pas l’espèce disparue.

La question s’élargit à la définition même d’une espèce : une espèce remplit une fonction au sein d’un écosystème. Un être vivant éteint depuis 10 000 ans est exclu de tout écosystème, un processus qui, habituellement, se fait au fil de l’évolution. Ce qui fait d’ailleurs partie des « risques » d’un tel projet (sujet abordé dans la suite de cet article).

Quelles espèces pourraient être ressuscitées ?

Parmi les espèces « candidates » les plus souvent évoquées dans la désextinction, on trouve le mammouth laineux, le tigre de Tasmanie, le Dodo, par exemple. Un critère important est que l’espèce ne soit pas trop ancienne : il faut que le génome soit disponible, séquencé. Par exemple, un scénario à la Jurassic Park est plus qu’improbable (voire littéralement impossible) : l’ADN des dinosaures est si ancien que les sources en sont trop dégradées. Les loups géants de Colossal n’auraient pas pu advenir sans des fossiles en bon état, pour en récupérer de l’ADN exploitable.

Source : Colossal Biosciences
Source : Colossal Biosciences

Mais pourquoi ressusciter une espèce disparue ?

Venons-en au sujet qui anime le plus le débat sur la désextinction : le cadre éthique.

L’argumentaire de la désextinction

Voici l’argumentaire de Colossal Biosciences sur leur site web : « L’entreprise humaine est à l’origine d’un grand nombre de développements extraordinaires. Mais nombre d’entre elles ont eu un coût pour notre planète et les ressources naturelles qu’elle a fournies pendant d’innombrables millénaires. Colossal est à la pointe du combat pour restaurer ce qui a été perdu ou risque de l’être. » En clair, la désextinction est un projet qui se veut lié à la restauration des écosystèmes pour compenser la 6e extinction de masse.

La philosophie des sciences a aussi fait émerger un autre argument possible : la « dette » que l’humanité peut avoir envers les espèces éteintes.

Les risques de la désextinctiona

La réalité de la désextinction n’est pas si rose et, que ce soit tant d’un point de vue philosophique qu’éthique ou purement scientifique, elle pose de grandes questions sujettes à débat. « Jouer à Dieu » reste une inquiétude palpable dès qu’il est question d’édition génétique pour transformer ou recréer des êtres vivants. D’autres problématiques, très concrètes, se posent. Elles sont nombreuses :

  • Le biais esthétique : la popularité d’une espèce dans l’imaginaire ne risque-t-elle pas de motiver la résurrection de telle espèce plutôt qu’une autre ?
  • L’urgence de la conservation des espèces : ne faut-il pas consacrer tous les budgets et toutes les ressources scientifiques au sauvetage d’espèces en voie de disparition — ce qui pourrait perturber de nombreux écosystèmes — plutôt que de redonner vie à des espèces éteintes depuis des siècles, voire des millénaires ?
  • La moralité de ces expériences et la transparence autour du processus mis en place par des entreprises privées dans ce domaine.
  • La perturbation négative des écosystèmes actuels par le retour d’une espèce longtemps après l’adaptation de ces écosystèmes à ces absences. De même, les risques pour d’autres espèces en introduisant une « nouvelle » espèce dans leur environnement.
  • L’émergence de nouvelles maladies.

Les conditions favorables à la désextinction

L’IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature), dans un document entièrement dédié à la désextinction, estime que cela « présente des risques mais peut être bénéfique pour la conservation » à condition de respecter certaines conditions.

Parmi ces dernières, on trouve une « justification positive a priori », c’est-à-dire que la quête de résurrection doit être directement motivée par un bénéfice positif pour la conservation des espèces, pour l’augmentation de la stabilité et de la résilience d’un écosystème, et/ou pour la réduction des pertes chez d’autres espèces.

Si tant est que le projet soit de relâcher l’espèce dans la nature, il faudrait une « évaluation approfondie des risques ». De même, il faudrait vérifier l’adéquation réelle entre l’habitat et l’espèce, ou encore le consentement des populations humaines locales.

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