La découverte, fin mars, de l’existence du projet Neuralink a d’ores et déjà fait couler beaucoup d’encre. En effet, après les voitures autonomes se déplaçant toutes seules et les fusées capables de retourner sans encombre sur Terre, l’entrepreneur américain Elon Musk s’attaque à un tout autre chantier, sans doute encore plus ambitieux, puisqu’il s’agirait de créer un « cordon » cortical pour améliorer les capacités cognitives.
À l’heure actuelle, les informations sur Neuralink restent très succinctes. On sait juste que Neuralink a été enregistrée l’été dernier en Californie en tant que firme de recherche médicale et que quelques embauches ont été faites parmi les spécialistes de la pose d’électrodes. Elon Musk lui-même ne s’est guère épanché sur le sujet, évoquant seulement le projet dans les grandes lignes lors d’une conférence en janvier.
Tout à la fois passionnant, mystérieux et complexe, le sujet pose pour l’instant plus de questions qu’il n’en résout. Mais à défaut d’avoir toutes les réponses, il est néanmoins possible d’obtenir un éclairage sur ce que l’on sait. Éclairage que Claude Touzet, maître de conférences et responsable du laboratoire de Neurosciences Intégratives et Adaptatives à l’université d’Aix-Marseille a bien voulu nous apporter.
Reconnaissant être « intrigué » par Neuralink et les nouvelle ambitions d’Elon Musk, ce spécialiste de l’apprentissage automatique et biologique tempère toutefois les fantasmes de ceux qui imaginent déjà demain une humanité augmentée. « La piste de l’homme augmenté ne me semble pas crédible », analyse-t-il, essentiellement à cause de certaines limites physiques, notamment au niveau cérébral.
La piste de l’homme augmenté ne me semble pas crédible
De fait, « son idée d’augmenter la bande passante en sortie du cerveau peut sembler logique, mais il faut se souvenir du fait que la sortie utilise le langage qui est hautement compressé. Ainsi, un mot véhicule beaucoup d’information, même si on peut coder chaque mot sur un nombre de bits réduits », nous explique Claude Touzet. « Le cordon cortical évoqué par Elon Musk ne peut pas faire mieux que faire transiter vers la sortie ce que nous pensons à la vitesse où nous le pensons — et il me semble que nous sommes déjà à la limite », ajoute-t-il.
Alors à quoi bon un tel cordon cortical ? Claude Touzet imagine deux cas de figure à court terme.
Dans le premier, une telle liaison serait pertinente dans le cas « où l’accès à la parole est impossible », comme pour les patients frappés du syndrome d’enfermement (locked-in syndrome), un état neurologique dans lequel un individu est éveillé et totalement conscient, avec ses pleines facultés cognitives, mais dans l’incapacité de pouvoir bouger ou parler, à cause d’une paralysie complète en dehors des paupières et parfois des yeux.
Dans le second, cette connexion pourrait servir d’interface supplémentaire, mais à quelle fin ? C’est la question que pose Claude Touzet : « si vous voulez laisser vos mains dans les poches ou si vous ne voulez pas troubler le silence », elle serait utile, mais encore faut-il avoir des usages pertinents derrière. Pour l’heure, la perspective médicale est meilleure même si le nombre de patients concernés reste faible.
« À plus long terme », poursuit le maître de conférences, l’on pourrait « récupérer le fonctionnement cortical complet d’un individu pour en faire une copie» qui pourrait être en quelque sorte une « sauvegarde » du cerveau à un moment donné. « La question alors est de savoir si c’est possible avant de savoir si c’est souhaitable », observe-t-il. Or, les défis techniques sont aujourd’hui insurmontables.
« Même en utilisant comme unité de traitement de la cognition la colonne corticale, comme je le propose dans ma Théorie neuronale de la Cognition, sachant qu’elle compte environ 100 000 neurones, il reste tout de même 160 000 colonnes corticales dans le cortex… Cela fait beaucoup ! », analyse-t-il. « Il faudrait une dentelle de 160 000 électrodes. Est-ce réalisable ? Aujourd’hui nous en sommes à quelques dizaines ».
Mais dans le futur, ces obstacles pourraient être franchis. Claude Touzet évoque ainsi l’hypothèse d’électrodes se positionnant toutes seules aux bons endroits grâce aux progrès dans la nanotechnologie robotique, « puis émettant un signal codant l’identification de chacune et le comportement de la colonne à laquelle la nano-électrode est attachée ». « Cela est déjà dans le domaine du possible », fait-il remarquer.
Question existentielle… et réponse ?
« Nous aurions alors une copie temps réel du fonctionnement cortical, bref nous serions très proches de disposer d’un clone numérique du sujet humain ayant subi cette implantation », ajoute-t-il. Reste à savoir quelle sera la qualité de cette « copie » et à déterminer ce que l’on compte en faire. À ce moment-là, nous aurons alors peut-être en main l’une des clés pour mieux nous comprendre.
« Je soutiens pour ma part que lorsque nous saurons faire ceci, nous saurons aussi ce que nous sommes (la cristallisation de nos interactions avec notre environnement) et que cette réponse à notre question existentielle (qui sommes-nous ?) bouleversera bien plus le Monde que la possibilité de faire une copie de l’histoire de nos interactions avec l’environnement », conclut Claude Touzet.
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