Véritable préoccupation sanitaire, ou écran de fumée à vocation marketing ? Cette semaine, le ministère de la santé a reçu une salve de questions identiques posées par différents députés de tous bords politiques (citons entre autres l'UDI Charles de Courson, l'UMP Jean-Pierre Door, ou la socialiste Christine Pires Beaune), ce qui est toujours la manifestation d'une action de lobbying opérée par un acteur privé.
En l'espèce, même si elle n'est jamais nommée, il s'agit très ostensiblement de la société vannetaise CeltiPharm, qui s'agace de ne pas pouvoir mettre en application une autorisation que lui avait accordée la CNIL le 8 septembre 2011, pour réaliser des "études épidémiologiques à partir de données issues des feuilles de soins électroniques anonymisées".
La CNIL avait en effet autorisé CeltiPharm à collecter auprès d'un panel de pharmacies "représentatives de l'ensemble des officines françaises" toute une série de données sur le contenu des ordonnances, l'âge des patients, l'origine et la spécialité des médecins prescripteurs, les types de mutuelles souscrites, les montants remboursables, etc. Le tout anonymisé par "une fonction d'anonymisation irréversible à clé secrète de type FOIN basée sur une fonction de hachage de la famille SHA-2 (256 bits)". Même le numéro de Sécu serait collecté, pour servir de base à la création d'un identifiant unique anonyme, puis serait "supprimé à bref délai".
Mais selon les députés, la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM) et surtout le GIE Sesame-Vitale (qui réunit des organismes d'assurance maladie obligatoire et des mutuelles) feraient opposition à la mise à disposition du "dispositif frontal contenant, de manière sécurisée, les clefs de déchiffrement indispensables à l'analyse des flux de données chiffrées". CeltiPharm se retrouve donc avec l'autorisation d'exploiter des données qu'il ne peut pas décoder.
CeltiPharm, "spécialiste de la conception de programmes marketing-ventes"
A travers leur question, les députés assurent que la mise à disposition des outils de déchiffrage au bénéfice de CeltiPharm aurait un véritable intérêt sanitaire, puisqu'il permettrait de "déceler les prescriptions et pratiques médicales non conformes aux stipulations des autorisations de mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques". Les affaires du Mediator et de Diane 35 sont citées en exemple des dysfonctionnements qui seraient détectées par une meilleure analyse statistique des ordonnances, et "l'actualité sanitaire accentue l'urgence et le caractère incontournable de la mise en place de cet outil de pharmacovigilance et de suivi épidémiologique".
Dans son dossier d'autorisation, CeltiPharm a elle-même indiqué que les données serviraient à la "mise en place d'indicateurs sanitaires avancés", au suivi de la consommation des médicaments "prescrits ou non", à la "mesure de l'efficacité des recommandations sanitaires", à la "détection des variations atypiques de délivrance des médicaments ainsi que les tendances", etc. Le tout pour "modéliser les comportements pour anticiper une évolution probable de l'état de santé de la population".
Rien que de très louable.
Mais CeltiPharm se décrit elle-même sur son site internet comme "spécialiste de la conception et de la vente de programmes marketing-ventes pour l'industrie pharmaceutique à destination des pharmaciens d'officine".
On imagine dès lors l'intérêt commercial immense que représenterait pour elle et ses clients une connaissance exacte des ordonnances et des tendances du marché, en n'ayant non plus seulement des indications volumétriques, géogragraphiques et temporels des médicaments vendus, mais des informations beaucoup plus précises sur les patients à qui sont prescrits les médicaments, par quelle typologie de médecins, avec quels contrats de mutuelles, etc. "Bases de données, analyses terrain, outils de mesure du retour sur investissement… Les solutions proposées par CELTIPHARM sont directement exploitables et opérationnelles", indique la société à ses clients.
Certes, CeltiPharm met en avant sa philosophie de "santé raisonnée" (une expression qu'elle a déposée en tant que marque…) pour "rendre efficient chaque euro dépensé" par le système de santé. Mais il paraît difficile de croire que les laboratoires pharmaceutiques ne voudront pas exploiter de telles données marketing pour mieux vendre encore les médicaments qui ne sont pas assez prescrits à leurs yeux. Ce qui alors l'effet contraire à celui escompté.
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