Nous nous étions déjà énervés contre le député socialiste et président de la commission des lois de l'Assemblée Nationale Jean-Jacques Urvoas, qui avait ouvertement déformé le contenu et la portée de l'article 20 de la loi de programmation militaire (ancien article 12), en osant prétendre que ceux qui analysent la loi n'y comprennent rien aux "délices de la légistique". Un argument d'autorité aussi minable qu'insultant.
Comme le ministre de l'intérieur Manuel Valls avant lui, Jean-Jacques Urvoas avait multiplié les contre-vérités pour défendre un texte ouvrant les portes à une collecte massive de données personnelles. Il est d'ailleurs grave pour la République de voir que PS et UMP ont fini par s'entendre pour ne pas que le Conseil Constitutionnel examine la loi de programmation militaire, et ainsi permettre la promulgation d'un article de loi qui sans doute n'aurait pas été accepté en l'état par les Sages.
Dans un premier texte publié sur son blog avant la promulgation de la loi, Jean-Jacques Urvoas avait défendu le rôle de gendarme des libertés conféré par la loi à la Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité (CNCIS), en saluant son "bilan (qui) plaide sans conteste en faveur de son efficacité". Mais c'est Numerama qui avait dû rappeler que M. Urvoas était justement l'un des membres de la CNCIS, ce qu'il ne dit jamais, et que celle-ci ne compte au total que trois membres très politiques, puisque deux sont des parlementaires, et le troisième est un magistrat désigné par le président de la République (actuellement il s'agit d'un ancien directeur de cabinet du ministère de la Justice).
La loi étant désormais promulguée, Jean-Jacques Urvoas aurait pu se contenter de sa victoire et tenter de faire oublier son rôle majeur dans son adoption.
Mais non. Voici qu'il revient sur le sujet dans une tribune publiée par Le Monde (où il oublie encore de dire qu'il est membre de la CNCIS, ce qui ne l'empêche pas de dire qu'il "s'étonn[e] des doutes formulés quant à [son] indépendance"…).
A nouveau, Jean-Jacques Urvoas charge ses contestataires, accusés d'être "des exégètes amateurs et de mauvaise foi", pour qui le "soupçon tient lieu de raisonnement".
Et à nouveau, Jean-Jacques Urvoas masque la portée du texte.
Ainsi par exemple, il affirme que seules les "personnes suspectées de mettre en danger la sécurité nationale, de pratiquer l'espionnage, de concevoir des projets terroristes, d'appartenir à des réseaux de criminalité organisée ou à des mouvements visant à renverser la forme républicaine des institutions" sont susceptibles de voir leurs données collectées par les agents de l'Etat.
"Il semble pour le moins aventureux de tirer prétexte des cibles concernées par ce dispositif pour invoquer une « surveillance généralisée », à moins de considérer qu'une majorité de nos concitoyens œuvre à la destruction de notre système démocratique", ajoute-t-il.
"Rappelons-le, seuls les terroristes, les espions ou les factieux seraient légitiment en mesure de se plaindre d'une potentielle atteinte à leurs libertés individuelles !".
Mais jamais la loi ne limite la collecte des données à celles des personnes soupçonnées. Elle autorise les interceptions "ayant pour objet de rechercher des renseignements" dans les domaines énoncés, ce qui peut impliquer de les rechercher chez tous les internautes, justement pour se donner la possibilité d'identifier d'éventuels suspects à surveiller plus étroitement. C'est exactement ce qui est reproché à la NSA aux Etats-Unis.
Par ailleurs, Jean-Jacques Urvoas affirme que "les exégètes précités apprécieront la capacité de saisine dont dispose tout citoyen au titre de l'article 243-9 (du code de la sécurité intérieure)".
"Comment dès lors invoquer une absence de recours ?", demande-t-il.
Simple, il suffit de lire cet article 243-9 du code de la sécurité intérieure. Il dispose que "de sa propre initiative ou sur réclamation de toute personne y ayant un intérêt direct et personnel, la commission peut procéder au contrôle de toute interception de sécurité en vue de vérifier si elle est effectuée dans le respect des dispositions du présent titre". Pour avoir un "intérêt direct et personnel" à demander un contrôle, il faut déjà avoir connaissance de la collecte de données dont l'on fait éventuellement l'objet. Or toute la procédure est secrète. Par ailleurs, la CNCIS "peut procéder au contrôle", mais la réclamation d'un individu ne l'y oblige pas.
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