Depuis la décision de la cour de justice de l'Union européenne qui impose aux moteurs de recherche la lourde responsabilité d'arbitrer au cas par cas entre le respect de la vie privée d'un individu (droit à l'oubli) et la nécessité de maintenir l'accès à l'information du public (droit de savoir), il ne se passe pratiquement pas une semaine sans que la mise en application de l'arrêt ne pose problème.
En effet, l'institution communautaire a délégué à une entreprise privée le travail du juge, qui est pourtant autrement plus légitime pour déterminer comment le curseur doit être placé, non seulement au regard de la loi mais aussi en fonction de l'affaire qu'il est amené à résoudre. Résultat, certains retraits ne passent pas du tout, en particulier lorsqu'ils touchent des articles de presse ou des pages de Wikipédia.
Signe que ce sujet est particulièrement brûlant, les cadres de la fondation Wikimédia ont, outre la tenue d'une conférence de presse à Londres, rédigé deux articles pour dire tout le mal qu'ils pensaient de cet arrêt. Signés respectivement par Geoff Brigham (directeur juridique) et Michelle Paulson (avocate) pour le premier et par Lila Tretikov (directrice générale) pour le second, ils sont sans équivoque :
- des pages Wikipédia censurées dans les résultats de recherche européens ;
- la décision de la cour européenne perfore la connaissance libre.
Trous de mémoire
La prise de position de la fondation Wikimédia n'arrive pas par hasard. En effet, celle-ci a justement fait les frais du droit à l'oubli. Des notices ont été envoyées par les moteurs de recherche et les déclinaisons anglophone, italophone et néerlandophone de l'encyclopédie ont été touchées. Elle survient également au moment de la publication du premier rapport de transparence de la fondation.
Pour Lila Tretikov, "la cour européenne a abandonné sa responsabilité de protéger l'un des droits les plus importants et universels : le droit de chercher, de recevoir et de propager l'information. Par conséquent, des résultats de recherche précis sont en train de disparaître en Europe sans aucune explication publique, aucune preuve réelle, sans contrôle judiciaire et sans le moindre processus d'appel".
"Le résultat est un Internet criblé de trous de mémoire – des lieux dans lesquels les informations gênantes disparaissent tout simplement", s'alarme-t-elle.
Équilibre entre des droits opposés
L'équilibre entre droit à l'information et droit à l'oubli avait fait l'objet d'un travail réalisé par l'avocat général Niilo Jääskinen. Celui-ci indiquait l'an dernier, au sujet de la liberté de l'information, que "dans la société contemporaine de l’information, le droit de rechercher des informations publiées sur Internet en recourant à des moteurs de recherche constitue l’un des moyens les plus importants d’exercer ce droit fondamental".
"Ce droit comprend indubitablement celui de rechercher des informations qui sont relatives à d’autres personnes et qui sont en principe protégées par le droit à la vie privée, telles que les informations figurant sur l’Internet à propos des activités qu’exerce une personne en tant qu’entrepreneur ou qu’homme ou femme politique", ajoutait-il.
"Le droit d’un internaute à l’information serait compromis si sa recherche d’informations au sujet d’une personne ne produisait pas des résultats de recherche reflétant fidèlement les pages web pertinentes, mais n’en donnait qu’une version «bowdlerisée»", avait-il poursuivi, avant de plaider pour un rejet du droit à l'oubli.
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