L’exploration d’Alpha du Centaure avec une sonde est-elle condamnée à rester de l’ordre du fantasme ? En tout cas, cette distance immense n’empêche pas les scientifiques de réfléchir à ce qu’ils feraient s’ils avaient la possibilité d’atteindre ce système dans un temps relativement raisonnable. C’est à cet exercice que deux astronomes se sont prêtés lors d’une conférence de l’Union américaine de géophysique.
« Imaginez que nous avons décidé de nous embarquer dans le projet le plus ambitieux de l’humanité: une mission d’une durée de 40 ans pour visiter une planète habitable en orbite autour d’un de nos plus proches voisins stellaires », écrivent Anthony Freeman et Leon Alkalai, deux membres du Jet Propulsion Laboratory, une coentreprise entre la Nasa et l’institut de technologie de Californie.
C’est un système à trois étoiles composée d’une paire principale de naines jaunes (Alpha du Centaure A et Alpha du Centaure B) et d’une naine rouge excentrée, Proxima du Centaure.
Pour comprendre le fonctionnement et la composition de quelque chose, il est parfois nécessaire de s’en rapprocher. Dans le cas de l’étude d’un système planétaire, c’est plutôt simple : nous vivons dedans. Certes, quelques objets sont assez éloignés de la Terre et il faut des années pour croiser ceux qui sont le plus éloignés. Par exemple, il a fallu dix ans à la sonde spatiale New Horizons pour atteindre Pluton.
Mais si l’on veut contempler de près un système stellaire, c’est-à-dire un système qui est composé d’au moins deux étoiles liées entre elles par l’attraction gravitationnelle, c’est une toute autre paire de manches. En effet, le cas de figure le plus proche du système solaire se situe à 4,37 années-lumière. C’est peu à l’échelle cosmique, mais c’est un gouffre infranchissable pour la technologie humaine.
« Pour planifier notre mission, nous devons considérer au total 6 phases de mission : 1 – accélérer hors de notre système solaire ; 2 – atteindre Proxima du Centaure ; 3 – décélérer à l’approche ; 4 – ajuster la trajectoire pour une rencontre rapprochée ; 5 – acquérir des données ; 6 – retourner l’information sur Terre », ajoutent-ils. Or, selon eux, la plupart des travaux ne portent que sur les deux premières étapes.
Aussi ont-ils focalisé leur réflexion sur les phases suivantes : « Que voudrions-nous que notre engin spatial interstellaire fasse quand il arrivera à destination et comment devrait-il être configuré à son arrivée ? La mission devrait-elle être un simple survol, en recueillant des données sur le système planétaire en quelques jours ? Ou doit-il tenter de s’insérer en orbite autour de l’étoile cible, afin de pouvoir passer plus longtemps dans le système ? ».
« Que voudrions-nous que notre engin spatial interstellaire fasse quand il arrivera à destination ? »
Les scientifiques s’interrogent aussi sur les informations à recueillir (photographies, signature spectrale de la surface; composition détaillée de l’atmosphère, décompte du nombre de satellites naturels, caractéristiques de la magnétosphère…), en partant du principe que ces éléments n’ont pas pu être acquis à distance, grâce aux satellites sur Terre ou placés en orbite autour de la Terre.
Et surtout, ils se demandent comment permettre au vaisseau de survivre sur une période de 40 ans. Doit-il intégrer une imprimante 3D pour pouvoir créer des composants à partir de matériaux qui ont été préalablement mis en stock à cette fin ? Car si les opérateurs au sol pourront envoyer à distance des mises à jour logicielles, les mises à jour matérielles sont impossibles, sauf si la sonde les fabrique.
« La capacité de se reconfigurer, voire de se cannibaliser, devrait être intégrée dès le départ dans la conception d’un explorateur interstellaire, ce qui nous permettrait d’envoyer des mises à niveau matérielles et logicielles obtenues grâce aux avancées technologiques sur Terre, pendant la longue traversée », écrivent ainsi les deux scientifiques. Reste qu’à trop se focaliser sur les étapes 4 à 6, on en oublie les premières.
Reste à faire le voyage
Comment en effet accélérer hors de notre système solaire et atteindre Proxima du Centaure ?
La première étape est connue : il suffit d’exploiter le principe de la fronde gravitationnelle, qui consiste à faire passer la sonde à proximité d’un objet très massif — typiquement une planète ou le Soleil — pour modifier sa trajectoire et sa vitesse. C’est de cette façon que le record de vitesse d’Helios 2 a été atteint. Et aujourd’hui, certaines sondes sont en train de quitter le système solaire, comme Voyager 1.
Avec un vaisseau circulant à 49 kilomètres par seconde, comme la vitesse à laquelle la sonde américaine New Horizons a atteint Pluton en 2015, il faudrait pas moins de 24 000 ans pour achever ce voyage. Quant à Helios 2, l’objet le plus rapide conçu par l’homme avec une vitesse de pointe de 70,2 km/s, il lui faudrait quand même 18 000 ans pour gagner Alpha du Centaure.
Et on ne parle ici que de l’aller. Comptez le double pour rentrer.
La deuxième est en revanche plus ardue à mettre en œuvre. Helios 2 a beau avoir établi une pointe à 70,2 km/s, cela ne représente que 1/4269ème de la vitesse de la lumière. Or, il lui faudrait 18 000 ans pour atteindre Alpha du Centaure. Cependant, d’autres approches, qui sont encore très théoriques, sont envisagées. C’est par exemple le cas du projet Starchip, qui veut atteindre Alpha du Centaure en seulement… 20 ans.
L’idée ? Mettre au point un vaisseau doté d’une voile poussée par un laser. Il serait possible de voyager à une vitesse ahurissante (on parle d’une vitesse d’un cinquième de celle de la lumière, soit 60 000 km/s), ce qui rendrait le projet viable à échelle de temps humaine. Le souci, c’est que le vaisseau imaginé est minuscule, ce qui est incompatible avec les idées émises par les deux chercheurs du JPL.
Dans tous les cas de figure, et vu les temps de voyage dont il est question rien n’indique que l’on verra une telle mission de notre vivant. En 2016, un élu américain a certes sollicité la Nasa pour lui demander de commencer à construire des sondes interstellaires dans le but de lancer une mission vers Alpha du Centaure. Mais le départ de la mission n’aurait lieu qu’en… 2069, pour le centenaire de l’alunissage d’Apollo 11.
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