5, 4, 3, 2, 1… allumage des moteurs, allumage des propulseurs… et lancement ! Au cinéma, voilà à quoi ressemble généralement le décollage d’une fusée. Dans une effusion de feu et de fumées, le lanceur est propulsé dans les airs — quelques fois, cela se passe même en musique.
Bien entendu, cette représentation d’un décollage n’est pas si éloignée de la réalité — certains films s’attachent même à rendre de telles scènes crédibles. Il n’empêche : assister à un véritable décollage est une expérience rare. À défaut d’en vivre un, il est toujours possible d’apprendre comment il se passe.
Quelles sont les étapes du lancement d’une fusée ?
Quelles sont les étapes du lancement d’une fusée ? Combien de temps faut-il pour préparer un décollage ? À quel moment la zone de lancement est-elle évacuée ? Quel est le point de non retour, à partir duquel les opérations ne peuvent plus être annulées ? Nous avons posé ces questions — et bien d’autres — à Christophe Bonnal, expert à la direction des lanceurs du Centre national d’études spatiales (Cnes).
Étape par étape, il nous éclaire sur le processus de lancement d’une fusée, en prenant l’exemple de la fusée Ariane 5 — dont une version ES a décollé du sol guyanais en décembre 2017.
M – 6 : l’assemblage du lanceur
Le lancement d’une fusée ne commence pas le jour J, ni même quelques semaines avant son décollage : des mois de préparation sont nécessaires avant d’installer le lanceur sur son pas de tir (autrement dit, sa zone de lancement).
« L’étape de la fabrication des étages commence trois à six mois avant le lancement, nous confirme Christophe Bonnal. Le transport des morceaux se fait principalement par bateau. C’est ensuite l’étape de la campagne de lancement, qui a lieu généralement deux mois avant. » Les équipes techniques sont alors envoyées sur place : pour Ariane 5, elles prennent la direction du centre spatial guyanais.
Le bolide est assemblé dans un lieu bien spécifique : le BIL, soit le bâtiment d’intégration des lanceurs. « Pour Ariane 5, c’est le moment où nous procédons à l’installation du grand étage et rien que cela, c’est une opération qui peut durer quelques jours. La phase dans sa totalité est une étape minutieuse, il n’y a pas un seul boulon qu’on ne prenne pas en photo. Cette phase dure entre un mois et un mois et demi », poursuit notre interlocuteur au Cnes.
« Il n’y a pas un seul boulon qu’on ne prenne pas en photo » — Christophe Bonnal
Jusqu’à cette étape, le lanceur accapare toute l’attention du personnel. Mais le satellite, ou les satellites qui seront lancés, reviennent ensuite sur le devant de la scène, comme l’explique Christophe Bonnal : « Le satellite arrive généralement en avion. On prépare alors la charge utile [ndlr : la partie du satellite chargée d’accomplir la mission], avec le déploiement des panneaux solaires, diverses opérations mécaniques et la fin de l’assemblage. »
Les ingénieurs redoublent de minutie et de prudence lors de la phase suivante, puisqu’il s’agit du remplissage du carburant. Ils revêtent, précise l’expert, « des tenues que l’on appelle, dans notre jargon, des ergoliers. Ce sont en fait des scaphandres, nécessaires pour manipuler ces produits dangereux ».
M – 1 : l’assemblage final et le transport
« La charge utile est ensuite montée sur l’adaptateur, la durée de cette phase dépend de la taille du satellite », poursuit Christophe Bonnal. À partir de cette étape, il ne reste plus qu’un mois au Cnes pour préparer le lancement. La fusée s’apprête à entamer un séjour dans son deuxième bâtiment hôte, le BAF, c’est-à-dire son bâtiment d’assemblage final.
L’engin spatial commence de plus en plus à ressembler à la fusée qui quittera la terre ferme, environ 30 jours plus tard. « Le lanceur est posé sur sa table de lancement, l’interface liée au sol est installée et le satellite est assemblé sur le lanceur. La coiffe est installée : c’est un grand cône surplombant le satellite destiné à le protéger pendant la traversée de l’atmosphère », nous décrit le spécialiste.
L’heure d’entamer le compte a rebours sonne alors : « C’est à ce moment que commencent les opérations de countdown, avec le transfert du lanceur vers le pas de tir. Pour Ariane 5, la fusée est transportée sur un rail de quatre kilomètres. »
Le jour J : l’automatisation et les points météo
Au fur et à mesure que le lancement se rapproche, les humains cèdent de plus en plus la place aux machines. « Dix à douze heures avant le vol, les opérations deviennent de plus en plus automatiques, précise Christophe Bonnal. La centrale inertielle va indiquer la position du lanceur en vol. Les réservoirs doivent être assainis et refroidis. »
Un facteur essentiel au bon déroulement des opérations est alors scruté de près par le centre spatial : la météo. Cinq heures avant le moment fatidique, il est l’heure de faire un point météorologique. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, « la pluie n’est pas ce que nous craignons le plus, c’est du vent et de la foudre dont nous nous méfions », explique le représentant du Cnes.
« Nous nous méfions du vent et de la foudre » — Christophe Bonnal
La zone est désormais évacuée de tout personnel. Sur le pas de tir, la fusée entame divers processus nécessaires à son lancement. « Les réservoirs se remplissent en hydrogène et en oxygène, détaille Christophe Bonnal. Le lanceur, lui, n’est pas encore froid. Quant au moteur, il faut le pré-refroidir en deux heures. »
Une heure avant le décollage, les ingénieurs reprennent contact avec la Montagne des Pères, le centre spatial guyanais. Le Cnes s’assure une marge de manœuvre de trente minutes, pour anticiper un éventuel problème. Un ultime point météo a lieu dix minutes avant le lancement.
Bang ! L’heure du décollage
Au cours de la phase de lancement, le radar chargé de vérifier que tout se passe comme prévu reçoit environ 1 000 mesures en provenance de la fusée. « C’est le début de la séquence synchronisée, lors de laquelle on procède à l’allumage de Vulcain [ndlr : le moteur-fusée qui propulse l’étage principal cryotechnique du lanceur]. Pendant sept secondes, on vérifie les paramètres du lanceur. Si on stoppe le lancement à ce stade, on parle de tir avorté », précise Christophe Bonnal.
L’étape suivante va allumer les deux boosters latéraux de la fusée : le lancement devient alors irréversible. « Les boosters poussent pendant deux minutes, avant d’être largués par la fusée qui décolle. Ils retombent en mer à 400 kilomètres de distance », estime le spécialiste.
Quand les boosters s’allument, le lancement est irréversible
Allumé au sol pour éviter une panne, l’étage principal cryotechnique brule près de 150 tonnes de carburant en dix minutes. « Il se sépare ensuite de la fusée, et retombe au large de l’Afrique. La coiffe est larguée de la fusée lorsque celle-ci sort de l’atmosphère. » Dans le cas de SpaceX et des Falcon 9, les fusées décollent sans boosters : c’est le premier étage qui lance l’engin et c’est aussi lui que l’entreprise américaine parvient à récupérer.
À son tour, le moteur de l’étage supérieur s’allume, et pousse la fusée pendant une vingtaine de minutes jusqu’à l’amener en orbite à 700 kilomètres d’altitude.
Dans les airs : le ballet céleste
Une fois dans les airs, la fusée ne peut plus recevoir qu’un seul ordre. S’il est donné, cela signifie que le décollage ne se passe pas comme prévu : il s’agit en effet d’un ordre de destruction.
Si le lancement se déroule sans problème et que la fusée atteint l’orbite prévue, c’est le début de ce que Christophe Bonnal appelle poétiquement le « ballet de l’espace ». À supposer que l’on puisse l’observer de près, cette chorégraphie céleste serait de toute manière invisible à l’œil nu.
Le satellite bouge à la vitesse proche de celle de « l’aiguille des minutes d’une montre »
« Le système propulsif de contrôle d’altitude (SCA) émet des petites quantités d’hydrogène, pour faire bouger le satellite avec une vitesse qui équivaut à celle de la rotation de l’aiguille des minutes d’une montre », nous raconte l’expert à la direction des lanceurs du Cnes.
La séparation des satellites et des étages est l’ultime mouvement de cette danse spatiale. « Les étages sont vidangés, afin d’éviter tout risque d’explosion. C’est ainsi que se termine la mission », conclut Christophe Bonnal.
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