Il y a deux ans, l'étude franco-britannique Anamia menée entre autres avec le CNRS et Telecom ParisTech avait conclu sur les "conséquences paradoxales de l'interdiction" des sites de communautés pro-anorexie (ou "pro-ana"). Leurs travaux avaient montré que la censure des sites qui vantent l'anorexie est contreproductive. Non seulement les sites fermés laissaient place à d'autres, mais surtout et c'est beaucoup plus important, les chercheurs ont constaté que les sites de communautés pro-ana étaient en réalité une aide importante apportée aux personnes qui souffrent d'anorexie. Elles y découvrent une "nouvelle sociabilité pour rompre l'ancien isolement", et s'entraident à vivre avec leur maladie, pour peut-être finalement la surpasser et guérir.
C'est donc certainement en écoutant les bons conseils des professionnels que les députés ont adopté mercredi soir un amendement à la loi Santé présenté par la députée Maud Olivier (PS), qui condamne d'un an de prison et 10 000 euros d'amende "le fait de provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l’exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé".
Si le texte de l'amendement ne parle pas d'internet, les explications fournies par les nombreux signataires socialistes ne laissent aucun doute. "Certains sites connus sous le nom de « pro-ana » peuvent entraîner les personnes dans le cercle vicieux de l’anorexie sans être inquiétés par l’autorité publique", se lamentent-ils, en se réfugiant derrière une étude de 2006 menée par Stanford qui démontre (implacable !) que "96 % des jeunes filles ayant consulté les sites dits pro-ana dans le cadre de l'étude (…) y ont découvert de nouveaux moyens de continuer à perdre du poids et de le cacher à leur entourage et aux médecins". Forcément, si vous faites une étude auprès des pirates pour savoir s'ils ont trouvé des moyens de pirater en allant sur un site de trucs et astuces de piratage, vous aurez probablement pas loin de 100 % de réponses positives. Mais les députés oublient que l'étude en question constate également que "les utilisateurs de sites pro-anorexie ne se différencient pas des non-utilisateurs en termes de résultats de santé". Qu'ils soient utilisateurs ou non de ces sites, le point commun des malades est d'être malade. Ils ne provoquent pas la maladie.
CET AMENDEMENT "MET EN DANGER DES MILLIERS DE MALADES"
"La création d’un nouveau délit apparaît nécessaire car les dispositions du code pénal actuellement ne permettent pas de s’attaquer à l’action de ces sites", ont défendu avec succès les députés.
Anamia, de son côté, regrette dans un communiqué publié jeudi que son étude n'ait pas été entendue. "Cet amendement crée un nouveau délit dans le code pénal, celui de l’incitation à la maigreur excessive sur Internet. Cet amendement ambitionne de combattre les troubles alimentaires. Mais en fait, il finit par mettre en danger des milliers de malades et par empêcher le travail de professionnels de la santé et d’associations de lutte contre les troubles des comportements alimentaires (TCA)".
"Avec nos travaux et nos publications internationales nous avons montré que la répression est inefficace et nuisible, que ces sites web constituent des lieux de parole tout à fait inédits et complexes, parfois sources d’entraide et d’orientation vers le suivi médical de personnes atteintes de troubles alimentaires", rappellent les universitaires.
"Criminaliser ces sites revient en fait à lutter contre les malades, et non pas contre la maladie".
Mais la censure est hélas devenue la réponse à tout, d'autant plus lorsque l'on accuse Internet d'être responsable de tous les maux. Plus facile que de mettre en place la "vraie politique de santé publique pour les troubles du comportement alimentaire", réclamée dans une pétition par de nombreux professionnels, associations et personnalités.
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