Valentina Terechkova a fêté ses 81 ans le 6 mars 2018. En juin, elle célébrera un autre anniversaire, celui d’un voyage qui a marqué l’histoire de la recherche spatiale, et probablement sa propre vie : il y a 55 ans, elle devenait la première femme à effectuer un vol dans l’espace. Du 16 au 19 juin 1963, celle que l’on connaissait alors sous le nom de code « La mouette » a même pulvérisé la durée totale des vols jusqu’alors réalisés par tous les astronautes américains de son époque.
La journée internationale des droits des femmes, organisée ce 8 mars, offre l’occasion de mettre en lumière le parcours de femmes qui ont marqué l’histoire, souvent oubliées des manuels et des 364 autres jours où les droits des femmes ne font pas l’objet d’une journée officielle.
« La mouette », première cosmonaute de l’histoire
À ce jour, 59 femmes ont voyagé dans l’espace — des cosmonautes, des astronautes ou des spécialistes de charge utile. 50 d’entre elles ont volé sous l’égide de l’Agence spatiale américaine, la Nasa. Deux autres ont participé au programme spatial de la Chine.
Quant au programme spatial russe, il a permis à huit femmes de s’envoler dans l’espace. Parmi elles, Valentina Terechkova a pris place à bord de la mission Vostok 6, un vol qui fait toujours d’elle la seule femme ayant voyagé en solitaire dans l’espace, mais également la plus jeune cosmonaute.
Des origines modestes
Valentina Vladimirovna Terechkova est née le 6 mars 1937 à Maslennikovo, un village situé dans l’Oblast de Iaroslavl — l’oblast est une unité administrative, l’équivalent d’une région. Le lieu de sa naissance abrite d’ailleurs aujourd’hui un musée dédié au vol historique réalisé par la cosmonaute. Ses grands-parents, originaires de Biélorussie, font partie des premiers paysans à travailler dans le kolkhoze du village. Son père conduisait des tracteurs et sa mère s’occupait des enfants du couple, Lioudmila, Valentina et Vladimir.
Son père, appelé au front lors de la Guerre d’Hiver — qui oppose l’URSS à la Finlande —, meurt alors que Valentina est âgée de deux ans. En 1945, alors que la Seconde Guerre mondiale s’achève, la famille s’installe dans la ville de Iaroslavl. La mère de Valentina trouve un emploi dans une usine de textile, Krasny Perekop, et scolarise ses enfants.
Malgré son intérêt pour les mathématiques, la musique, le français et l’histoire, Valentina Terechkova cesse d’aller à l’école à 17 ans, pour soutenir financièrement sa famille en travaillant dans une usine de pneus locale. En 1955, elle rejoint sa mère et sa grande sœur dans leur usine de textile pour devenir fileuse. Elle fait alors partie des Jeunesses Communistes, et suit des cours du soir dispensés par les Jeunesses Ouvrières.
Maths, français, histoire… et une passion pour le parachutisme
C’est à cette période que Valentina Terechkova réalise son tout premier saut en parachute, le 21 mai 1959, à l’aérodrome de Iaroslavl, un lieu où elle se rend régulièrement après ce baptême de l’air.
Deux ans plus tard, Youri Gagarine devient le premier homme à s’envoler dans l’espace. Le 12 avril 1961, il effectue la mission Vostok-1 dans le cadre du programme spatial soviétique. Cette prouesse historique incite plus que jamais Valentina à poser sa candidature pour participer au programme spatial de l’Union soviétique — elle sera choisie parmi plus de 400 candidates pour devenir la première femme à voler dans l’espace.
Entraînement intensif
Après le succès des vols simultanés Vostok-3 et Vostok-4, qui ont envoyé en même temps dans l’espace les cosmonautes Adrian Nikolaïev et Pavel Popovitch, l’URSS (alors dirigée par Nikita Khroutchëv) veut renouveler l’expérience avec les vols Vostok-5 et Vostok-6. Sergueï Korolev, le fondateur du programme spatial soviétique, propose d’envoyer une femme dans l’espace pour la première fois. Les critères de sélection sont les suivants : l’élue doit être une parachutiste, de 30 ans maximum, mesurant moins d’1,70 m et pesant moins de 70 kg. Cinq candidates sont retenues.
S’ensuivent alors des entraînements intensifs pour la jeune femme, qui réalise des vols en apesanteur, des tests d’isolement et de centrifugeuse. Valentina doit également s’entraîner au pilotage du Mikoyan-Gourevitch MiG-15, un avion de chasse construit au début de la Guerre froide.
L’URSS veut une femme, parachutiste, de 30 ans maximum
Les candidates sélectionnées passent un test de résistance de leur organisme à la chaleur : elles doivent notamment supporter, en portant leur combinaison de vol, une température de 70 degrés, et un taux d’humidité de 30 %. Chaque candidate passe deux jours dans une cellule isolée de tout bruit. « Les cinq femmes du groupe ont suivi une formation plus poussée que les hommes », a révélé la cosmonaute lors du 70e anniversaire de son vol.
L’entraînement au saut en parachute est décisif, car la future pilote du vaisseau spatial devra s’éjecter à 7 000 mètres d’altitude, et descendre en parachute lors de la phase de retour sur Terre.
Son identité est gardée secrète
Valentina Terechkova est choisie pour effectuer la mission Vostok-6. Ses indéniables qualités intellectuelles et son endurance ne sont pas les seuls critères qui ont pesé dans la balance : avec son origine modeste, les artisans de la conquête spatiale russe voient en elle une manière d’encenser la réussite socialiste soviétique. Par ailleurs, la jeune femme est une très bonne communicante.
L’URSS a cultivé le secret autour de ce vol le plus longtemps possible, ne révélant l’identité de Valentina Terechkova qu’au dernier moment. C’est pour cette raison qu’elle est connue sous le nom de code « La mouette ». Le jour de son envol, même sa propre mère, qui la croyait partie sauter en parachute, apprend qu’elle est en fait la première femme à s’envoler vers l’espace.
Le vaisseau Vostok-6 décolle le 16 juin 1963, à 9 heures 29 (et 52 secondes) de la base de Baïkonour. À son bord se trouve Valentina, désormais âgée de 26 ans. Au total, elle effectue 48 orbites autour de la Terre, un périple de 70 heures et 41 minutes. Elle parvient à établir le contact avec Valery Bykovski, en vol à bord du Vostok-5 depuis son décollage deux jours auparavant, au moment où les deux vaisseaux ne se trouvent qu’à cinq kilomètres de distance.
48 orbites autour de la Terre, pendant 70 heures
Le vol ne s’est passé exactement comme prévu. Si le décollage s’est déroulé sans encombre, la cosmonaute a révélé plus tard que le « programme automatique d’orientation du vaisseau présentait des défaillances ». Au lieu de monter, Vostok-6 descendait ; autrement dit, le vaisseau de Valentina s’éloignait un peu plus de la Terre lors de chaque révolution, au lieu de s’en rapprocher.
Informé par la cosmonaute, Sergueï Korolev a fait modifier les données du système de commande de Vostok-6 pour le renvoyer sur l’orbite prévue. Il a demandé à Valentina Terechkova de ne parler à personne de l’incident, dont elle a gardé le secret pendant des années. En 2011, elle racontait notamment son histoire dans une interview filmée.
Lors de la phase finale d’atterrissage, la cosmonaute s’éjecte comme prévu en parachute à 7 000 mètres d’altitude, mais craint alors de tomber dans un lac. Elle parvient finalement à le survoler et atterrir sur la Terre, où elle accepte, contrairement aux consignes qu’elle devait suivre, la nourriture locale qu’on lui propose. Elle ne parle pas de l’incident survenu lors du vol — une information dont elle ne souffle mot pendant plus de quarante ans.
À bord de Vostok-6, Valentina Terechkova a tenu un journal de bord, pris part à des expériences médicales et photographié l’horizon. Le 22 juin 1963, elle reçoit le titre de Héros de l’Union soviétique, soit la plus haute distinction de l’URSS.
Quelques années plus tard, Valentina Terechkova est nommée formatrice des nouveaux cosmonautes à la Cité des Étoiles, une ville gardée secrète à quarante kilomètres de Moscou. Elle occupe ce poste pendant 28 ans, et prend sa retraite le 28 avril 1997. En plus de ce travail, elle multiplie les travaux scientifiques — elle en compte une cinquantaine à son actif.
Des années de militantisme
Valentina Terechkova est également connue pour ses engagements politiques. En 1962, elle devient membre du Parti communiste. Élue à plusieurs reprises députée au Soviet Suprême d’URSS, elle a par ailleurs eu un rôle important pour faire évoluer les droits des femmes dans son pays. En 1968, elle est nommée à la tête du Comité des Femmes Soviétiques, une position dont Valentina Terechkova use pour obtenir un congé maternité plus long : cette année-là, elle obtient que celui-ci soit prolongé d’un an (il était auparavant de 112 jours).
En 1981, elle fait adopter une mesure renforçant l’aide financière destinée aux familles, et le congé maternité est définitivement payé aux mères jusqu’au un an de leur enfant.
À l’époque, Valentina Terechkova est la seule femme à avoir effectué un voyage dans l’espace, qui plus est en étant la seule personne aux commandes de son vaisseau. Dix-neuf années s’écoulent avant qu’une autre femme ne lui emboîte le pas en la personne de Svetlana Savitskaïa, également soviétique, et vingt ans avant que l’Américaine Sally Ride ne s’envole à son tour.
L’URSS a devancé les États-Unis
Il est d’ailleurs intéressant de constater que l’URSS semble avoir été, d’une certaine manière, à l’avant-garde des États-Unis, en étant le premier des deux géants de l’époque à envoyer une femme cosmonaute dans l’espace. Pourtant, dans les années 1950, la Nasa considérait les femmes comme des candidates intéressantes pour l’exploration spatiale. Randolph Lovelace, alors chargé de la sélection des candidates au programme d’entraînement des astronautes de la Nasa, avait soumis des femmes aux mêmes tests que les hommes dans sa clinique au Nouveau-Mexique.
Étant généralement plus petites et plus minces que les hommes, les femmes requièrent en effet moins d’oxygène. Mais si le raisonnement de Randolph Lovelace peut sembler progressiste pour son époque, il faut rappeler que le physicien songeait avant tout à un futur où plusieurs stations spatiales graviteraient autour de la Terre, avec des êtres humains à leur bord. Et pour faire travailler ces gens en orbite, le physicien pensait que la présence de femmes était nécessaire… pour accomplir des missions de secrétariat ou d’assistance.
La Nasa misait sur les femmes… avec des motivations stéréotypées
Finalement, la volonté d’envoyer des femmes dans l’espace restait motivée par une vision stéréotypée des rôles sociaux. Il ne s’agissait pas de considérer les femmes comme des scientifiques à part entière, autant capables que les hommes de mener à bien une mission dans l’espace.
Certaines critiques émises contre le vol des femmes concernaient notamment la gestion de leurs menstruations une fois dans l’espace. En 1964, Randolph Lovelace s’inquiétait ainsi que les règles des cosmonautes n’altèrent leurs performances au cours des vols spatiaux — ce qui est bien entendu faux. En tout cas, cela n’a pas empêché 59 femmes à voyager dans l’espace, jusqu’ici.
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