Devant des députés, le président de l’agence spatiale française a fait part de sa perplexité sur la trajectoire de la station chinoise Tiangong-1. Avant de souligner la nécessité que la France conserve un certain niveau d’autonomie de surveillance de l’espace.

Autrefois en orbite basse autour de la Terre, la station spatiale chinoise Tiangong-1 gît désormais au fond de l’océan Pacifique, non loin du Point Nemo, qui est le lieu le plus éloigné de toute terre émergée. Plus exactement, ce sont ses restes qui ont coulé : en effet, une bonne partie de la structure a été détruite lors de la rentrée atmosphérique, et seuls quelques débris n’ont pas été désintégrés.

Des débris dont la masse totale est toutefois estimée entre 2 et 2,5 tonnes (la station pesait 8,5 tonnes) par les équipes du Centre national d’études spatiales, qui ont pu suivre l’ultime trajectoire de Tiangong-1 grâce au logiciel Debrisk, qui « est destiné à réaliser les analyses de survivabilité des fragments issus des véhicules spatiaux lors de leur rentrée dans l’atmosphère ».

Tiangong-1

Image radar de Tiangong-1

Quant à la zone de retombée, elle est estimée faire entre 1 000 et 1 500 km de long, selon Aurélie Bellucci, une experte en rentrée atmosphérique. En comparaison, la distance qui sépare Brest de Berlin est de 1 300 km. Impossible, donc, de repêcher ces débris, d’autant que la profondeur moyenne de l’océan Pacifique est de 4 300 m et que la largeur de la zone de retombée doit faire quelques dizaines ou centaines de km.

Cette chute a toutefois été un bon entraînement pour les spécialistes du Cnes : elle « a permis d’éprouver nos outils et nos modèles numériques de rentrée », fait savoir Jean-François Goester, un expert senior en mécanique spatiale. En particulier, l’outil Electra a permis d’évaluer les risques pour le territoire français et de déterminer plusieurs heures à l’avance s’il y a un danger pour la population.

Tiangong-1 « a permis d’éprouver nos outils et nos modèles numériques de rentrée »

Electra sert en effet à calculer la probabilité qu’une rentrée atmosphérique tue quelqu’un en tenant compte de certains paramètres (par exemple si le retour sur Terre est contrôlé ou non). Or, « 24h avant la rentrée, Electra nous disait qu’il n’y avait plus aucun risque qu’un débris de la station chinoise tombe sur la France ». En effet, plusieurs zones auraient pu être touchées par un débris.

Fin mars, quelques jours avant le jour fatidique, le Cnes estimait entre une chance sur 40 000 et une chance sur 308 000 la probabilité que certains territoires (Perpignan et ses alentours, la Corse, la Réunion, la Martinique, la Guadeloupe mais aussi toutes les îles françaises situées dans le Pacifique) soient touchés, selon l’emplacement des territoires et leur superficie.

ocean-mer

Les débris de Tiangong-1 ont fini au fond de l’eau.
CC Tim Marshall

Pour suivre la course folle de la station spatiale chinoise, la France a pu s’appuyer sur son Grand Réseau Adaptée à la Veille Spatiale (GRAVES), sur les radars SATAM (« Système d’Acquisition et de Trajectographie des Avions et des Munitions ») et de la Direction générale de l’armement. Par ailleurs, des échanges d’information étaient réalisés avec l’agence spatiale américaine et l’armée de l’air américaine.

En cas de trajectoire menaçante pour la France, ces différents outils auraient permis en amont de remonter l’information à la direction du Cnes et, si besoin, aux autorités politiques et militaires de préparer l’intervention des secours. Heureusement, ce scénario n’a pas eu à être expérimenté puisque tous les débris ont par chance rejoint une zone maritime extrêmement isolée.

Une chute incontrôlée ?

Par chance, vraiment ? Au cours d’une audition devant la Commission de la défense nationale et des forces armées qui a eu lieu le 4 avril, deux jours après le crash océanique de Tiangong-1, Jean-Yves Le Gall, président du Cnes, a affiché une certaine perplexité devant les membres de l’Assemblée nationale, se demandant à mots voilés si cette station était vraiment si hors de contrôle que ça.

« Les Chinois nous affirmaient, depuis quatre ans, qu’ils avaient perdu le contrôle de la station. Pour leur rentrée dans l’atmosphère, tous les objets sous contrôle sont orientés vers le point dit « Nemo » dans le Pacifique sud, […]. C’est là qu’on avait précipité la station Mir. Et aujourd’hui, on nous explique que cette station chinoise, théoriquement hors de contrôle, est tombée, comme par hasard au point Nemo ! », a-t-il dit.

Jean-Yves Le Gall

Jean-Yves Le Gall.
CC ITU/L.Jeitler

Avouant qu’à ses yeux la façon dont cette station est retombée est « mystérieuse », le patron du Cnes a pointé une statistique : « la probabilité que cela arrive spontanément est d’environ 1 %. Nous avons lancé des investigations et nous saurons peut-être un jour de quoi il retourne. Mais je doute que seul le hasard ait contribué à cette chute appropriée ! ».

Derrière ces déclarations qui pourraient apparaître comme complotistes, Jean-Yves Le Gall a surtout pointé, avec le cas Tiangong-1, « l’importance de la surveillance de l’espace et de l’intérêt stratégique qu’elle revêt pour un pays comme la France ». Le président du Centre national d’études spatiales a ainsi rappelé que l’institution « s’est organisée pour avoir une capacité d’analyse permanente ».

« La surveillance de l’espace revêt un intérêt stratégique pour un pays comme la France »

En effet, a-t-il expliqué, « le Cnes cherche à assurer la sécurité des satellites qui lui sont confiés et pour cela il doit connaître la position précise des autres satellites et des débris ». C’est ce qu’offre par exemple depuis 2012 le service Caesar (Conjunction Analysis and Evaluation Service, Alerts and Recommendations) au Centre orbitographie opérationnelle à Toulouse.

Ce service sert à gérer les risques de collision en orbite sur les satellites qu’il surveille, en calculant leurs trajectoires et celles des débris et des obstacles et en opérant si besoin des manœuvres pour éviter l’impact.

Monge bateau

Le Monge, un bâtiment d’essais et de mesures.
CC Rama

Le Cnes peut aussi s’appuyer sur les moyens de l’armée de l’air et de la Direction générale de l’armement : « Nous travaillons main dans la main avec les militaires pour avoir une vision synthétique des trajectoires des objets, afin d’éviter les collisions de satellites civils et de savoir ce qui se passe », car eux ont « besoin de connaître la position des satellites adverses », a rappelé Jean-Yves Le Gall.

Le Cnes a aussi accès aux alertes détectées par les systèmes étrangers, notamment américains, dans le cadre de la coopération internationale. Ainsi, le commandement stratégique américain a la capacité de suivre tous les objets spatiaux et met des données à disposition. Mais l’enjeu est tel qu’il vaut évidemment mieux avoir un certain niveau d’autonomie en la matière.

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